«Concordia civium murus urbium» La concorde entre les citoyens, voilà la muraille des villes. Depuis que le gouvernement illégitime de Siniora a accusé, mardi 6 mai, le Hezbollah d'atteinte à la souveraineté du Liban en entretenant un réseau de télécommunications parallèle à celui de l'Etat et d'avoir installé des caméras d'espionnage à l'aéroport de Beyrouth, son bras de fer avec l'opposition a pris un tour violent. Les premiers affrontements entre partisans de l'opposition, alliée de l'Iran et de la Syrie, et de la majorité, soutenue par les Occidentaux, avaient éclaté à Beyrouth le 7 mai. Ils faisaient suite à des mesures prises par le gouvernement pour contrer l'influence du Hezbollah, interprétées par le parti chiite comme une déclaration de guerre. Le Hezbollah avait alors pris le contrôle de l'ouest de Beyrouth après avoir chassé ses rivaux sunnites pro-gouvernementaux. L'armée avait ensuite décidé de geler les décisions gouvernementales et appelé les hommes armés à se retirer des rues. Mais l'opposition a promis de poursuivre son mouvement de ´´désobéissance civile´´. Ces combats font suite à 18 mois de paralysie des institutions du Liban, où la communauté chiite, alliée à une partie des chrétiens, revendique une influence accrue face à la majorité antisyrienne. La Ligue arabe - encore elle - a appelé à résoudre la crise libanaise sur la base d'une initiative en trois points, qui demande l'élection immédiate du commandant de l'armée, le général Michel Suleiman, comme président du Liban, et la formation d'un gouvernement d'union nationale, sans aucun groupe disposant du droit de veto, ainsi que la signature d'une nouvelle loi électorale. ´´Bien sûr que l'Iran appuie ce qui se passe au Liban, un coup d'Etat, et le soutient. Cela affectera ses relations avec tous les pays arabes, même les musulmans´´, a déclaré le ministre des Affaires étrangères, le prince Saoud al-Faisal. Il a appelé ´´toutes les parties régionales à respecter l'indépendance et la souveraineté du Liban, d'arrêter d'interférer dans ses affaires et d'inciter les tensions confessionnelles´´. L'Iran et la Syrie, pays à majorité chiite, appuient le Hezbollah, mais démentent toute interférence dans les affaires intérieures libanaises. Mardi, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, a réagi aux accusations saoudiennes, estimant qu'elles avaient été proférées sous le coup de la colère. Téhéran est le seul pays qui ne se mêle pas des affaires du Liban, a-t-il assuré. Le président américain, George W. Bush, avait averti la veille l'Iran et la Syrie que la communauté internationale ne permettrait pas que le Liban retombe sous domination étrangère. Qui est derrière? Selon le quotidien britannique, le Guardian, les Etats-Unis sont entrés dans un jeu dangereux au Liban et sont responsables de leur aventurisme dans ce pays. ´´Les Etats-Unis ont adopté une stratégie injuste et dangereuse pour éliminer le Hezbollah, tout comme cela a été le cas pour le Mouvement de la Résistance islamique de la Palestine, Hamas´´, précise le quotidien. ´´ Les alliés libanais des Etats-Unis n'ont pas pu satisfaire les exigences de Washington au sujet de la Résistance libanaise´´, a ajouté le Guardian avant de conclure: ´´ Les Etats-Unis ont adopté une stratégie censée créer des affrontements au Liban et ils n'ont jamais eu le souci d'apporter la paix pour les Libanais ni pour les autres peuples de la région´´.(1) Signe des tensions, le navire de guerre américain USS Cole, dont le déploiement en février au large du Liban avait notamment été critiqué par la Syrie, est de retour en Méditerranée, après avoir franchi le Canal de Suez, a annoncé, dimanche, un responsable de l'Autorité du canal. «On n'oubliera pas aussi, écrit Georges Corm, que le très sérieux journaliste américain Seymour Hersh nous a avertis depuis mars passé, que certaines branches de l'Administration américaine et un membre très influent de la famille royale saoudienne (le prince Bandar ben Sultan, ancien ambassadeur à Washington) ont décidé de faciliter l'entrée au Liban et le financement de groupes sunnites jihadistes terroristes, notamment le Fath el Islam, hostiles aux chiites et ceci pour embarrasser le Hezbollah et attiser les tensions entre sunnites et chiites au Liban».La déstabilisation du Liban, initiée par la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies en septembre 2004, amplifiée par l'assassinat de Rafik Hariri en février 2005 et ceux qui ont suivi, continue à un rythme plus inquiétant qu'auparavant. La guerre d'intérêts Face à une situation explosive créée par une crise constitutionnelle grave qui secoue le pays depuis novembre 2006, l'armée a assuré à tous des espaces de liberté pour manifester et faire des sit-in...Cette fois cependant, le gouvernement libanais, malgré la démission des ministres de la communauté chiite et d'un ministre de la communauté grecque-orthodoxe, se refuse à partir ou à élargir le gouvernement pour prendre le caractère d'un gouvernement d'union nationale, et ceci malgré les manifestations géantes et la permanence du sit-in des partis de l'opposition. Le gouvernement, qui a perdu sa légitimité multicommunautaire, résiste à l'appel de la raison, fort du soutien des Etats-Unis et des Etats de l'Union européenne.(2). Autre son de cloche cette fois diabolisant aussi le Hezbollah, l'accusant de tous les maux. Pour Antoine Basbous, politologue, spécialiste du monde arabe: «C'est l'Iran et la Syrie ce qui se passe au Liban, c'est une guerre civile pilotée par des intérêts étrangers. Le guide de la révolution iranienne, le président iranien et le vice-président iranien disent depuis des mois que le Liban est la terre où il faudra vaincre l'impérialisme et le sionisme. Ce pays a été désigné comme un théâtre des opérations, comme une terre de Djihad. Le mouvement chiite dispose de 40.000 à 50.000 missiles, d'un bon entraînement militaire, de structures sociales et sanitaires et a mis en place une organisation de la société calquée sur l'Iran. (..) Après la guerre de 2006 contre Israël, le Hezbollah est devenu l'acteur incontournable du pays. Aujourd'hui, il prend le pouvoir en faisant du Liban un lieu privilégié de la confrontation régionale, une "Ghaza bis" à la disposition de Damas et de Téhéran. (...) L'Etat du Hezbollah a, en effet, installé son propre réseau filaire de télécommunication sécurisé. Il s'agissait d'abord de sécuriser ses actions militaires. Puis, ils ont creusé des tranchées partout dans les villes et les campagnes. On a alors découvert qu'il ne s'agit pas seulement d'un réseau téléphonique mais d'un système, notamment au profit de Damas et de Téhéran, qui espionne les ministères, les politiques et les citoyens. L'Etat du Hezbollah était en train d'effacer l'Etat légal dans un pays où il n'y a plus de président de la République depuis six mois, bientôt plus de patron de l'armée. Une "irakisation" du Liban se profile. Une guerre civile, la plus atroce et la plus cruelle entre radicaux chiites et sunnites, se dessine sur instruction de Damas et de Téhéran».(3) Thierry Meyssan auteur de l'Effroyable imposture s'inscrivant en faux contre les attaques du 11 septembre 2001, dans une analyse plus fine, nous incite à démêler l'écheveau: Les émeutes de Beyrouth sont un trompe-l'oeil. Elles ont été volontairement facilitées par les Etats-Unis qui espéraient pousser le Hezbollah à tuer les principaux leaders du gouvernement. Car seul un carnage aurait pu justifier une intervention de l'Otan. En trois jours (7, 8, 9 mai 2008), les cartes ont été entièrement redistribuées au Liban. Si l'on s'en tient à la propagande de l'Otan déversée par les agences de presse occidentales, le Hezbollah aurait organisé un coup d'Etat et pris le contrôle de Beyrouth-Ouest. Or, cette version ne tient pas une minute au regard des informations transmises par ces mêmes agences de presse. Premièrement, le Hezbollah a livré de brefs combats contre des intérêts de la famille Hariri à Beyrouth-Ouest, mais s'est immédiatement retiré en passant le relais à l'armée, il n'y a donc pas eu de prise de contrôle de la ville. Deuxièmement, un «coup d'Etat» est une prise du pouvoir par surprise, mais jamais le Hezbollah n'a tenté de s'emparer du Palais du gouvernement ou de liquider l'équipe gouvernementale. Au contraire, le Hezbollah, comme d'ailleurs toute l'Alliance nationale, continue à ignorer le gouvernement de facto dont il ne reconnaît pas la légitimité parce que dénué de base constitutionnelle. «Les événements de ces trois jours sont un épisode supplémentaire du feuilleton ouvert depuis le vote par le Congrès des Etats-Unis du Syria Accountability and Lebanese Sovereignty Restauration Act, le 15 octobre 2003. Cette loi, adoptée dans la foulée de l'invasion de l'Irak, donnait au président Bush un blanc-seing pour lancer une nouvelle guerre con-tre le Liban et la Syrie lorsqu'il le jugerait utile... L'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri au moment où il se rapprochait du Hezbollah, la campagne médiatique pour rendre mensongèrement la Syrie responsable de ce crime, les élections législatives truquées, le retrait de l'armée syrienne hors du Liban, la sous-traitance de la guerre par le Pentagone à Tsahal, l'attaque israélienne et la destruction du sud du Liban, la victoire militaire du Hezbollah, enfin le maintien illégal au pouvoir du gouvernement Siniora et le blocage de l'élection présidentielle. (...) Récapitulons un instant les épisodes précédents: le 11 novembre 2006, la démission de cinq ministres entraîne la chute du gouvernement au regard de l'article 95A de la Constitution. Mais le Premier ministre Fouad Siniora décide de se maintenir au pouvoir. Le putsch est avalisé par la «communauté internationale» qui y voit la seule solution pour barrer la route à la coalition conduite par le Hezbollah. L'Alliance nationale, conduite par le Hezbollah et le Courant patriotique libre, s'abstient de marcher sur le palais du gouvernement. Au contraire, Hassan Nasrallah et Michel Aoun s'appliquent à faire la démonstration qu'ils feront passer l'unité du pays avant les intérêts partisans, fussent-ils majoritaires. «(...)Washington a prévu cyniquement de sacrifier ses principaux alliés politiques au Liban. Pour s'assurer que cette opération ne dégénère pas en guerre régionale, la CIA a préalablement éliminé les deux chefs militaires du Courant patriotique libre et du Hezbollah: François el-Hajj (assassiné à Beyrouth le 12 décembre 2007) et Imad Mugniyeh (assassiné le 12 février 2008 à Damas). Voici le détail de l'opération: dans la nuit du 25 au 26 avril 2008, des commandos US auraient dû débarquer à l'aéroport de Beyrouth et tenter d'éliminer Hassan Nasrallah. Qu'ils réussissent ou non, leur brève action aurait plongé la capitale dans le chaos et poussé les militants du Hezbollah à prendre à partie le gouvernement de facto et la famille Hariri. Plus le sang aurait coulé et plus il aurait justifié une intervention de l'Otan. (...) Washington avait prévu de laisser massacrer ses alliés politiques au Liban et de ne garder que ses agents opératifs sur l'échiquier. L'opération commando ayant été annulée après la découverte de caméras de surveillance placées à l'aéroport par le Hezbollah.» Crise constitutionnelle (...) Le bilan de ces trois jours est mitigé. D'un côté, le Hezbollah n'est pas tombé dans le piège qui lui était tendu, mais il a mis son doigt dans l'engrenage. De l'autre, le Courant du futur (famille Hariri) est apparu pour ce qu'il est: une coquille presque vide. Samedi 10 mai, le Premier ministre de facto, Fouad Siniora, s'est adressé à la nation. Il a déclaré ne plus reconnaître à Nabih Berri, le président chiite de l'Assemblée nationale, la neutralité nécessaire pour servir de médiateur. Faisant le reproche inverse à l'armée, il l'a réprimandée pour son non-interventionnisme, ce qui met un terme au caractère consensuel de la candidature du chef d'état-major, Michel Suleiman. Contre toute attente, l'armée a immédiatement répondu au Premier ministre de facto en refusant de limoger le commandant de la sécurité de l'aéroport et en s'opposant au démantèlement du réseau de communication du Hezbollah, considéré comme une arme indispensable à la défense nationale. Le 19 mai se tiendra la 19e session du Parlement pour l'élection du président de la République. Plus que jamais, il sera impossible de dégager une majorité qualifiée.(4) Il est dramatique que le pays arabe, qui représentait ce qu'on appelait à juste titre, la Suisse du Moyen-Orient, soit poussé aux extrêmes à cause des ingérences extérieures et de l'état déplorable du monde arabe. Nul doute que certains y verront une guerre sunnite-chiite. Pourtant, il ne faut pas oublier que c'est l'invasion du Liban en 1982 qui a permis la création du Hezbollah. Cherchez l'erreur! Il faut ajouter à cela l'incurie des dirigeants arabes tétanisés par leur impuissance et ce faisant, capables de toutes les combines et servilités pour plaire aux puissants et garder ainsi leur trône. Peu importe la détresse de leurs peuples. L'analyse de Gabriel Enkiri est d'une brûlante lucidité, nous le laissons conclure. «Chacun sait, écrit-il, qu'au Proche-Orient, les frontières des Etats sont mouvantes, fragiles par conséquent. Au gré des événements et des rapports de force (entre grandes puissances régionales et internationales), ces frontières évoluent. Les ´´dominants´´ du moment en profitent pour ´´reformater´´ des ´´Etats´´ à leur profit, bien entendu. Aujourd'hui, incontestablement, il y a du re-formatage dans l'air. De toute évidence, c'est le plus faible, le Liban, qui risque de faire les frais de l'opération. Les frontières dessinées en 1920, puis en 1949, puis en 1967, puis etc. ne donnent jamais satisfaction aux prédateurs. Le butin acquis, petit ou grand, en appelle d'autres. ´´Chacun attend son heure´´. Cela nous rappelle la malheureuse Pologne, prise elle aussi en tenailles entre ses deux puissants voisins, l'Allemagne et la Russie. Damas rêve d'atteindre la Méditerranée, soit par Beyrouth, soit par Tripoli au nord. Israël rêve du Litani, au sud du Liban, cette formidable réserve d'eau qui faisait, déjà, saliver les sionistes en 1920! L'ancien secrétaire d'Etat américain, Henry Kissinger, ´´spécialiste´´ du Proche-Orient, n'a jamais cessé de répéter ´´que la solution du problème israélo-arabe´´ se négocierait...à Damas....Henry Kissinger est toujours là, dans l'entourage de Bush Jr..Tout ce que l'on peut souhaiter pour le Liban, c'est que ses dirigeants, tous ses dirigeants, prennent conscience que leur pays est véritablement menacé de disparition».(5) (*) Ecole nationale polytechnique 1.Irib: Les Etats-Unis sont entrés dans un jeu dangereux au Liban 12/05/2008. 2.G.Corm: Le Liban dans la tourmente des conflits régionaux. La Vanguardia le 24 mai 2007. 3.Antoine Besbous: Une guerre civile atroce et cruelle se dessine au Liban. Propos recueillis par Ludovic Blecher Libération.fr 9 mai 2008 4.Thierry Meyssan: Intifada à Beyrouth: Les Etats-Unis parviendront-ils à pousser le Hezbollah à la faute? Réseau Voltaire 10 mai 2008 5.Gabriel Enkiri: Le Liban menacé dans son existence même. Irib 12 mai 2008