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«En Iran, la corruption généralisée est la goutte qui a fait déborder le vase»
Amélie-Myriam Chelly. Spécialiste de l'Iran et du chiisme
Publié dans El Watan le 02 - 01 - 2018

Dimanche soir, pour la quatrième nuit consécutive, des manifestants sont descendus dans la rue dans plusieurs villes d'Iran, dont la capitale Téhéran, pour protester contre les difficultés économiques (chômage, vie chère et corruption). Les manifestants ont attaqué et parfois incendié des bâtiments publics, des centres religieux et des banques ou des sièges du Bassidj (milice islamique du régime).
Au total, 12 personnes ont péri dans les violences qui ont émaillé les protestations déclenchées jeudi à Machhad, la deuxième ville du pays, avant de prendre de l'ampleur et de se propager à travers le territoire. Amélie-Myriam Chelly, spécialiste de l'Iran et du chiisme, qui vient de publier Iran, Autopsie du chiisme politique (Paris, Ed. du Cerf, 19 mai 2017), explique pourquoi ces manifestations ne sont pas vraiment une surprise.
Des protestations sociales ont éclaté la semaine dernière dans plusieurs villes de province de l'Iran, dont celle de Machhad. Pendant ces manifestations non autorisées, certains protestataires ont scandé aussi des slogans hostiles au pouvoir et au président Hassan Rohani. Ces événements vous surprennent-ils ? Selon vous, à quoi sont-ils dus ?
L'exaspération de la société quant aux questions économiques (prix exorbitants des produits de première nécessité, chômage de masse chez une jeunesse surdiplômée, petits porteurs et retraités ruinés suite à des défaillances d'établissements de crédit) est une réalité depuis bien longtemps. C'est d'ailleurs elle qui avait motivé le vote en faveur de celui qui incarnait au mieux l'ouverture et donc l'éventuelle sortie de la suffocation économique, avec une levée des sanctions qui se fait encore attendre depuis la présidentielle.
Ces événements ne sont, en ce sens, pas surprenants, ce qui l'est plus, c'est la coordination, la multiplication des protestations, leur étendue et leur durée. La raison principale des manifestations est donc économique. Le peuple se sent floué, d'une part, du fait d'une corruption généralisée, et d'autre part, des sommes considérables que l'Etat iranien alloue à ses opérations militaires extérieures ainsi qu'à des investissements dans les infrastructures d'autres pays de la région pour conforter sa stature de protecteur des chiites. D'où les slogans entendus lors des manifestations «Marg bar Hezbollah !» à savoir «Mort au Hezbollah !».
Qui sont derrière ces manifestations, d'après vous ?
La thèse la plus admise sur place consiste en ce que les partisans conservateurs de Ebrahim Raïssi, le candidat malheureux de la dernière présidentielle, celle qui a donné Hassan Rohani vainqueur, auraient été aux prémices des manifestations. Ce serait d'ailleurs la raison pour laquelle les manifestations auraient commencé à Machhad et ses alentours, ville-fief de Ebrahim Raïssi.
C'est de là que seraient partis les slogans «Marg bar Rohani», «Mort à Rohani». Après cela, les slogans ont échappé à ces conservateurs pour devenir des «Marg bar Khamenei», «Mort à Khamenei». Le gros des forces vives s'est ensuite constitué sans sympathie particulière à un parti ou à une tendance (même s'il y en a, évidemment, nous développerons la complexité des sympathies plus tard dans nos analyses).
Le peuple est sorti pour dénoncer la corruption, la difficulté à accéder à l'emploi, la gestion des dépenses de l'Etat qui iraient à d'autres qu'aux Iraniens (pensons au Sud-Liban), l'impossibilité pour les jeunes couples d'être en mesure de fonder un foyer, la difficulté à voir les salaires versés et la profusion des «aghazadeh» («les fils de»).
Ainsi, en premier lieu, les slogans contre le président Rohani peuvent être attribués aux sympathisants de Raïssi, mais aussi aux sympathisants de l'ancien président Mahmoud Ahmadinejad, dont on sait que les relations avec la Présidence, avec la famille Larijani et avec le guide Ali Khamenei sont de plus en plus tendues.
Avec le grossissement des troupes et la généralisation des revendications à celles qui concernent tout le pays, les manifestants ont commencé à s'attaquer aux symboles du régime et de son maintien : des centres de Bassidj (police des mœurs), des mollahs – et les mollahs sont des institutions en Iran –, des centres cultuels de processions chiites (très fréquentés par les bassidjs) ont été mis à sac…
La principale idée à retenir donc est que c'est d'abord l'opposition à Rohani qui a provoqué ces manifestations, avant que la situation ne lui échappe des mains. C'est cela ?
Comme nous le disions, beaucoup de commentateurs avisés estiment effectivement que les oppositions à Rohani ont initié les manifestations. Les partisans d'Ebrahim Raïssi en premier lieu, puis probablement les partisans de Mahmoud Ahmadinejad et de son bras droit Esfandiar Rahim Mashaï. Dans l'entourage de l'ancien président Mahmoud Ahmadinejad, beaucoup s'étaient enrichis grâce aux sanctions, en mettant en place des systèmes de contrebande, et se voient aujourd'hui arrêtés et emprisonnés.
Ces moyens d'enrichissement avaient d'ailleurs fait partie des arguments de campagne de Hassan Rohani à la présidentielle de mai dernier : si les conservateurs critiquaient les accords, c'était aussi parce qu'ils trouvaient leurs comptes sous les sanctions. Ahmadinejad, voyant ainsi son clan touché par des poursuites judiciaires, a exprimé de vives critiques à l'encontre du porte-parole du Parlement, Ali Larijani, qui instrumentaliserait le pouvoir judiciaire par le biais de son frère, Sadeq Larijani, pour l'anéantir politiquement. La théorie récemment formulée par Mahmoud Ahmadinejad consiste en ce qu'Ali Larijani aspirerait à la prochaine présidence et donc à l'élimination de ceux qui pourraient, dans cet élan, lui faire de l'ombre, et l'ancien Président se perçoit ici comme un obstacle de taille.
Avant de nous intéresser au gros des troupes, à savoir ceux qui ne se revendiquent pas d'un clan politique particulier, il est important de se pencher sur un slogan qui a aussi été entendu lors des manifestations et qui pourrait être mal interprété : «Pahlavi ! Pahlavi !» ou encore «Reza Shah ! Shahen Shah !» (Reza Shah, roi des rois). Les courants royalistes sont marginaux. La référence à l'ancien régime ne désigne pas une volonté de renouer avec la monarchie (en tout cas, pas pour le gros des troupes scandant ce slogan).
La référence à Reza Shah est avant tout une référence à une figure connue pour avoir «défroqué les mollahs». Le peuple a soif de symbole et de figure providentielle. D'ailleurs, contrairement au mouvement vert de 2009, où Moussavi pouvait faire figure de leader, ces manifestations-là sont sans tête.
On ne fait pas (ou peu) référence à Khatami, Karoubi, ou Moussavi. Ces protestations ne sont pas les héritières du mouvement vert, même si certaines données peuvent être mises en relation, et ici je pense notamment à un slogan très scandé en 2009 : «Ni Ghaza ni le Liban, je voue ma vie à l'Iran», et le slogan scandé ces derniers jours «Mort au Hezbollah». Ces slogans ne sont pas idéologiques mais économiques.
Et que veulent concrètement les Iraniens aujourd'hui ?
Les Iraniens disent leur frustration de voir des sommes qui devraient revenir à leur économie entre les mains de manœuvres qui ne les concernent pas directement. Les slogans sont nationalistes et anti-idéologiques. Le Hezbollah est perçu comme un instrument idéologique coûteux par la population, un prolongement des intérêts du régime. Ne nous y trompons pas, le peuple iranien a soutenu l'intervention en Irak et en Syrie.
N'oublions pas qu'en prenant la ville de Mossoul, le groupe EI avait menacé d'envahir Machhad. Si nous ajoutons à ces déclarations la peur, héritée du conflit Iran-Irak, d'attentats chimiques, les Iraniens ne pouvaient que soutenir le combat contre les groupes djihadistes (de surcroît takfiris).
Mais les largesses financières accordées au Hezbollah, largesses bien portées aux nues par Hassan Nasrallah, la construction de routes, d'écoles, d'hôpitaux au Sud-Liban, l'entretien de lieux saints chiites en Syrie et en Irak, irritent une population iranienne en proie à de réels problèmes économiques et dont les couches éduquées aspirent à du sécularisme.
Ce que les manifestants veulent, c'est aussi dénoncer la corruption, et elle est grossièrement de deux types en Iran : il y a une corruption endémique et une corruption généralisée des mœurs dans les affaires. La corruption trouve une visibilité dans la tenue de plusieurs procès : on a, par exemple, le cas emblématique de Babak Zanjani, arrêté pour corruption et détournement de fonds en décembre 2013, le cas Reza Zarrab, homme d'affaires turco-iranien arrêté en mars 2016 pour un blanchiment d'argent impliquant le sommet de l'Etat turc, ou encore le cas de la banque Mellat dont l'ancien directeur exécutif, Ali Rasteghar Sorkhei, est lié à des affaires de corruption bancaire en bande organisée. Il y a aussi la corruption généralisée dans le monde des affaires.
Parfois, les entrepreneurs iraniens ne parviennent pas à payer leurs employés par manque réel de liquidités, parce que les pays qui ont fait appel à eux tardent à payer les prestations des entreprises, parfois même en invoquant les sanctions pour ne pas verser les sommes dues.
Des procès sont d'ailleurs intentés, et dans nombre de cas, les tribunaux arbitraux ou les juridictions internationales font droit aux entreprises iraniennes. Mais il y a aussi des entrepreneurs plus malveillants qui, eux, ne versent pas les salaires, déposent l'argent sur des comptes bancaires à des taux d'intérêt élevés pour récupérer les intérêts et payer au lance-pierre irrégulièrement leurs employés. Les banqueroutes, les faillites dans le domaine des assurances, la circulation de prêts et de produits financiers toxiques circulent dans le pays et sclérosent l'économie, ce qui nourrit la colère populaire.
Pour la première fois, la télévision d'Etat a évoqué les protestations sociales en montrant des images et en jugeant nécessaire d'entendre «les revendications légitimes» de la population. De telles déclarations ne préparent-elles pas une révolution de palais… ou des réformes pour éviter justement une explosion sociale ? On annonce, par exemple, déjà que les Iraniennes qui transgressent le code vestimentaire imposé depuis la révolution iranienne de 1979 ne seront plus arrêtées…
On ne peut rien présager. Le président Rohani lui-même a expliqué que le peuple était dans son droit de manifester son mécontentement. Et, finalement, il n'y a pas de réel antagonisme entre l'argumentaire de campagne de Hassan Rohani et certaines raisons de la colère populaire.
Ne nous y trompons pas : les attaques populaires faites aux guides et aux symboles de la République islamique ne sauraient en aucun cas être compatibles avec l'argumentaire de Hassan Rohani lors de sa campagne. Cependant, les procès intentés contre ceux qui s'enrichissaient du fait des sanctions, la corruption dans ces milieux sont autant de preuves que le Président entendait effectivement s'élever contre de telles pratiques.
Les réformes qui font beaucoup de bruit en Occident concernant la dépénalisation du non-respect du code vestimentaire féminin n'ont pas forcément de lien direct avec les manifestations. D'abord, il s'agit d'une normalisation, à Téhéran, d'une pratique de longue date. Cela fait bien longtemps que les femmes portent «mal» le voile sans forcément être inquiétées.
Cette mesure normalise un état de fait. Le lien qui peut éventuellement être fait se trouve bien plus dans l'un des symboles de ces jours de manifestation : geste fort, certaines femmes retirent leur voile et l'attache à une barre, en faisant ainsi un étendard, signe que la réforme ne suffit plus et qu'une partie de la population aspire à un sécularisme qui n'est plus compatible avec certains fondements de la République islamique. L'explication qui est plus répandue en Iran concernant cette réforme consiste plus en un lien avec le contexte régional.
Pour beaucoup, une telle mesure aurait été prise pour que le roi saoudien Ben Salmane ne fasse plus figure de grand réformateur au Moyen-Orient, alors que la monarchie part de beaucoup plus loin en termes de droits sociaux, notamment liés à la condition féminine, que l'Iran ! Peut-être faudrait-il donc voir ici la volonté de jouer de réformes dans le cadre des rivalités entre les deux puissances.
La question de la relance l'économie iranienne, affaiblie par des sanctions internationales, a été justement au cœur des campagnes présidentielles de M. Rohani, en mai dernier pour un deuxième mandat. Aujourd'hui, le chef de l'Etat iranien a-t-il vraiment les cartes en main pour tenir cette promesse ?
Effectivement, le premier mandat de Hassan Rohani devait être celui de la mise en place des conditions nécessaires à la sortie de la crise économique, le second mandat, celui des retombées économiques. La volonté des Etats-Unis de maintenir coûte que coûte un statu quo en neutralisant la levée des sanctions liée au programme nucléaire par l'établissement de nouvelles sanctions quant au programme de missiles balistiques et au soutien au terrorisme, fait obstacle à la politique d'ouverture de Rohani.
Certaines pistes alternatives avaient bien été considérées, comme le fait de contourner le recours au dollar dans les échanges, mais pour l'instant ces solutions sont encore trop balbutiantes pour être efficaces et ne répondent pas aux besoins d'investissements étrangers massifs en Iran pour relancer l'économie. En voulant respecter ses promesses de campagne et en tentant bon gré mal gré d'adapter l'économie iranienne aux nécessités des échanges internationaux, le gouvernement est contraint de mettre un coup de pied dans la fourmilière et par conséquent d'ébranler des situations de rente qui intoxiquait l'économie du pays.


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