Du sang sur des blouses blanches. Le rassemblement, organisé, hier à l'intérieur du CHU Mustapha Pacha (Alger), à l'appel du Collectif des médecins résidents (Camra), a été violemment réprimé. Des policiers, déployés en force à l'entrée de l'hôpital, ont fait usage de leurs matraques : des dizaines de résidents ont été blessés, dont plusieurs grièvement. Quatre médecins ont été interpellés et leurs téléphones portables confisqués. Le visage tuméfié et ensanglanté, les bras fracturés, des médecins sont transportés, dans une cohue, au pavillon des urgences. «Mes amis de chirurgie générale du CHU de Bab El Oued ont eu plusieurs fractures à la tête. L'un d'eux a eu des complications. Il doit passer un scanner, mais on vient de me dire qu'il a des soucis avec l'assistant», s'offusque le Dr Belaroussi, délégué du CHU Lamine Debbaghine (ex-Maillot), serrant des deux mains une affiche. Les résidents de médecine générale, rejoints par leurs camarades des autres spécialités (pharmacie, biologie) déclarent être choqués par la violence policière dans l'enceinte même de l'hôpital. «Honte aux policiers ! Que valent pour eux les franchises hospitalières ?» s'interroge la déléguée des résidents du CHU de Beni Messous, le Dr Hadjab, dont la voix est couverte par les slogans hostiles aux pouvoirs publics («Pouvoir assassin», «A bas la répression», etc.). Pour les futurs spécialistes, c'est «la rupture de confiance» avec le corps de la police. «Une décision est prise par les collègues : ne plus prendre en charge les policiers dans nos services. Qu'ils aillent aux Glycines (hôpital de la police, ndlr) ! Nous comptons déposer plainte contre la police pour usage de la violence», signale la résidente, qui annonce aussi que le Camra adressera aussi un rapport détaillé aux organisations des droits de l'homme pour dénoncer la violation des franchises hospitalières. Des malades et leurs proches ou parents n'ont pas pu entrer ni sortir du CHU Mustapha Pacha encerclé dès la matinée par un impressionnant dispositif sécuritaire. «Je n'ai pas pu changer mon rendez-vous au Centre Pierre et Marie Curie (service cancérologie). Le policier m'a empêché d'entrer. Ici, c'est plus que ‘maâbar Rafah' (point de passage de Rafah (Ghaza)», enrage une sexagénaire, obligée par des policiers de faire le détour de l'hôpital pour passer par l'entrée nord de l'hôpital (côté Meissonnier). A cet endroit, des CRS filtraient l'entrée ; des parents ont dû attendre longtemps pour récupérer à la morgue le corps de leur enfant et se frayer un chemin parmi la centaine de personnes amassées devant le portail. En grève depuis sept semaines, les résidents ont décidé après la répression d'hier de durcir leur mouvement. «Plus de service minimum !» Selon un communiqué, rendu public en fin de matinée, le Camra informe qu'«après ces dépassements» des forces de l'ordre, le Collectif a décidé «l'arrêt du service minimum, y compris la garde et les urgences (le résident n'est nullement responsable de la garde et des urgences, puisqu'il n'est pas diplômé et considéré comme étudiant selon la tutelle)». Les grévistes dénoncent la «fuite en avant» du ministre de la Santé, le Pr Hasbellaoui, qui a «menti à l'opinion» en affirmant la main sur le cœur avoir satisfait les revendications des résidents grévistes qu'il a rencontrés dernièrement au siège de son ministère. «Le ministre de la santé a parlé durant 15 minutes, en nous avouant que la question du service civil et le service militaire ne sont pas de son ressort. Les délégués n'ont pas pu parler et n'ont pas eu leur PV», s'indigne le délégué Belaroussi. Le Collectif des médecins résidents a réclamé dans sa plateforme de revendications l'«abrogation» du service civil «dans sa formule actuelle». Il exige en effet une prise en charge des médecins envoyés dans les wilayas du Sud et des Hauts-plateaux (hébergement décent, regroupement familial, équipements adéquats, etc.). Le Collectif réclame une dispense du service militaire au même titre que les citoyens algériens nés entre 1985 et 1987 et l'abrogation des notes internes du MDN, qui ne prennent pas en compte les demandes de dispense pour cause médicale ou pour soutien de famille. Il s'est déclaré pour la révision du statut général du résident très «flou» et qui les prive des avantages que peuvent avoir des étudiants ou des travailleurs (hébergement, œuvres sociales, etc.). «La loi sanitaire parle certes de mesures incitatives, mais c'est dit vaguement dans le texte proposé aux députés. Il s'agit du zonage (4) pour le service civil qui deviendra de droit partout. Il y a aussi le droit à l'hébergement, qui était prévu. Donc, finalement rien de nouveau», déplore le Dr Khedraoui, délégué du CHU de Douéra. La réaction violente de la police a fait réagir. Le Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP) dénonce, dans un communiqué, la violente répression et réitère son appel à «l'intervention des plus hautes autorités du pays pour que soit rétabli le dialogue pour des négociations responsables», indique le texte signé du président du SNPSP. Karim Tabbou exprime, dans un post sur sa page Facebook, sa solidarité avec les protestataires et condamne la «brutalité policière injuste et injustifiée». «Nous ne voulons plus d'une police au service du pouvoir politique, nous voulons une police républicaine qui ne doit obéir qu'à la seule force de la loi», écrit l'ex-députée et président de l'UDS non agréé. Le Collectif des médecins résidents (Camra) décide d'aller au-delà de ses deux tutelles (Santé et Enseignement). «C'est l'impasse. La grève illimitée ne s'arrêtera pas jusqu'à la réouverture du dialogue et la satisfaction de nos revendications par les pouvoirs publics», affirme le Dr Hadjab, qui signale que le Collectif compte adresser une lettre au président de la République et au Premier ministre, à qui les délégués des résidents viennent de demander audience.