Dès lors, on doit s'attacher en priorité à réaliser et sauvegarder l'essence de l'être scientifique en valorisant les fonctions essentielles de notre université pour emprunter cette voie qui passe irrémédiablement par un processus constructif difficile engageant l'implication de chaque acteur en présence sur la base de principes et valeurs universitaires fondateurs aujourd'hui disparus ou fondus dans l'apparat et la précipitation qui nous ont toujours conduit à recourir aux autres censés être mieux que nous et à acquérir des modèles clés en main. «La véritable éducation consiste à tirer le meilleur de soi-même», écrivait Gandhi. Se référer à soi et à ses propres capacités est l'un des actes fondateurs de tout processus de construction et, a fortiori, lorsqu'il s'agit du système de formation du capital humain. La réforme LMD : une expérience inconvenante, mal vécue et inachevée Et voilà que l'expérience du LMD n'est pas encore consommée, que l'on songe à tenter une autre expérience plus profonde et plus sensible, qui est celle de l'autonomie et de la gouvernance des universités ! Pour qui se rappelle, une expérience du même genre a été initiée au début des années 2000 et visait à instaurer un mode de gestion par objectifs dans nos universités sans que l'on sache quel sort lui a été réservé. Pour qui se souvient, les délais de mise en œuvre de cette réforme étaient fixés pour l'année 2008/2009 ! Quid de cette entreprise ? Quant à l'expérience du LMD, encore en cours, elle paraît plus instructive et plus riche en enseignements. Concoctée à la fin des années 1990 et introduite à l'université, au titre d'expériences pilotes en 2004, cette réforme a vécu l'inversion système classique/système LMD en début de la décennie 2010. Sans trop attendre, on déclare aujourd'hui des résultats mitigés, voire même son échec. Cette réforme structurelle, comme on aime à la qualifier, fait partie du pack du modèle économique néolibéral imposé par l'onde de la globalisation à travers le processus de Bologne. Evidemment, en ses débuts, une critique sévère et négative a été apportée sans ménagement au système en place pour faire admettre l'idéalité et le bien-fondé du nouveau projet d'architecture de l'enseignement supérieur, le LMD, en tant que voie incontournable. Pour reprendre les termes crus de l'exposé des motifs du rapport introductif à cette réforme, le système classique a été affublé de «dysfonctionnements tant au plan structurel et organisationnel des établissements, qu'au plan pédagogique et scientifique des formations dispensées». Remarquons au passage que cette phrase-schème habite souvent les préambules de la majeure partie des réformes engagées dans divers secteurs de la vie publique pour signifier que l'existant est non opérationnel et qu'il faille opter pour le changement. Cela étant, on énumère dix-huit (18) griefs au passif du système de l'enseignement supérieur en vigueur sans faire mention ni de ses aspects positifs, aussi minimes puissent-ils être, ni de ses apports à la formation du capital humain, au développement du pays et au progrès scientifique et technologique à travers les très nombreux scientifiques qui ont intégré les universités et centres de recherche étrangers. Ceci voudrait-il dire que des décennies durant, les formations dispensées par l'université algérienne étaient biaisées et inopérantes, ou que les diplômes délivrés ne généraient pas de valeur ajoutée et les diplômés seraient-ils des impotents de la science et de la technologie ? Depuis, on a changé de coquille, à l'image du crustacé bernard-l'hermite qui du reste n'en a pas une, œuvre de sa propre réalisation, mais tout le reste (ressources humaines, apprenants, méthodes, modes de gestion, moyens matériels et financiers, types d'infrastructures, etc.) est demeuré en l'état ou sans changements qualitatifs notables. En d'autres termes, les variables principales de l'équation sont demeurées intactes et l'on a voulu impacter les résultats à la sortie du système de manière substantielle au fait que le nouveau système soit porteur de qualité. Que s'est-il passé entre-temps : on a contracté la durée des formations et dilaté le temps d'oisiveté des étudiants au nom d'un supposé effort personnel très faiblement investi, tout en gardant pratiquement les mêmes programmes, notamment pour les premiers paliers des formations, tout au mieux, ces derniers ont été disséqués en unités ou matières ; on y a ajouté quelques unités d'enseignement aux dénominations innovantes, introduit une multitude de parcours en réponse aux nombreux porteurs de projets, on a mis en place de nouveaux textes réglementaires relatifs à la progression dans les cursus et à l'évaluation des connaissances, à l'accès aux masters et doctorats, et enfin, on a bloqué incidemment le système de génération de l'encadrement universitaire par les retards enregistrés dans l'inversion système classique/système LMD, le processus d'extinction des magistères et celui du rodage de la fabrique des doctorats LMD ayant été mal et faiblement consommés. Après douze ans de mise en œuvre, on réalise que l'expérience n'est pas concluante, alors qu'on aurait pu créer un observatoire et un système d'évaluation progressive par étape de trois à cinq années et un processus de rectification des dysfonctionnements apparus sur la base de rapports d'étape. Par ailleurs, pour prononcer le verdict final de l'échec ou de la réussite du LMD, il aurait fallu attendre de mesurer l'impact réel et l'efficacité des produits du troisième maillon du système (le doctorat) sur le marché du travail, dans le système économique et les résultats de son implication dans les champs de l'enseignement et de la recherche. Si le système LMD semble avoir échoué malgré un énorme investissement en moyens, c'est parce que les résistances ont été féroces et les ingrédients en place n'étaient pas toujours favorables. Non que la recette en elle-même était mauvaise, mais le nouveau système nécessitait d'abord des ressources humaines qualifiées, bien au fait de la substance du LMD et de ses volets intrinsèques (université) et extrinsèques (secteur économique, environnement international). Il fallait également de la formation adaptée aux exigences de cette nouvelle architecture, obligatoire pour l'encadrement pédagogique et l'encadrement administratif en charge du suivi de la progression des étudiants. Faut-il rappeler ici que l'essentiel du corps enseignant reste jeune et inexpérimenté. Il aurait fallu le former progressivement à l'exercice de l'acte pédagogique en fonction de la nouvelle donne par un appui substantiel à concevoir un cours, un TD, un TP, à le présenter aux étudiants, à maîtriser la diversité des méthodes d'enseignement, des méthodes d'évaluation, à développer l'attractivité des cours et disciplines enseignées, à approfondir l'esprit de la culture générale, à asseoir la maîtrise de leurs outils linguistiques et didactiques avec l'intégration des NTIC et moyens numériques, à améliorer leur intéressement à la pratique de la recherche ; bref, à développer des compétences en pédagogie et en recherche pour quitter le champ de l'autosuffisance et de l'insuffisance néfastes. On oublie souvent que derrière les 6 ou 9 heures d'activités pédagogiques hebdomadaires, l'enseignant doit investir une bonne partie de son temps de travail en qualité de fonctionnaire à parfaire la préparation de ses cours, à exercer une activité de recherche et à accompagner l'étudiant. Mais cette action continue et productive aurait nécessité un investissement financier conséquent prioritaire pour présager d'une réussite même partielle de la réforme entreprise. Le rite de passage a été vécu comme une rupture brutale déstabilisante qui a conduit à un décrochement dans l'acte pédagogique à la fois de l'enseignant et de l'étudiant accompagné d'une tendance à l'exercice du moindre effort. A défaut d'une action collective organisée et encadrée par les détenteurs de l'expérience, c'est l'esprit de la débrouille et de l'acte individuel qui s'est développé entraînant incertitude et désillusion chez les étudiants. En appoint à la réforme, on aurait dû apporter en amont les correctifs nécessaires au système éducatif (collège et lycée) pour améliorer les prédispositions des élèves à ce système qualifiant. La réussite de la réforme LMD aurait été mieux consolidée si les paliers inférieurs dispensaient l'essentiel d'un socle commun d'où les élèves sortent munis de fondamentaux scientifiques avant d'aborder la formation spécialisée à l'université. L'indigence de la contribution d'un système économique sclérosé à la conception des profils de formation et à l'accueil des étudiants durant leurs formations par voie de stages en entreprise est pour beaucoup dans l'échec du LMD, si échec il y a, du moment que peu de mécanismes d'évaluation qualitative du système avec l'implication des principaux acteurs ont été mis en œuvre. Dès lors, le nécessaire pontage université-secteur économique n'a pas été réalisé : on se nourrit, à l'occasion de forums-festivals, de discours élogieux où les mots-clés de compétitivité, innovation, performance, qualité, excellence, sont clamés et répétés à souhait sans qu'ils soient sous-tendus par des actes performatifs dans la dure et triste réalité de l'être et du quotidien universitaires. On s'enorgueillit de conventions avec l'Ansej et l'Angem et, peut-être bientôt, avec… la CNAC (?) On ne s'est jamais interrogé si le monde socioéconomique possède les capacités pour y arrimer intelligemment les formations engagées, valoriser les résultats de la recherche universitaire, ou offrir des opportunités à la recherche développement, clé de voûte de ce pontage. Faut-il rappeler que pour ce volet, ce n'est qu'en juillet 2016 qu'un arrêté interministériel a été promulgué. L'une des faiblesses majeures de ce déficit latent réside aussi dans l'insuffisance des lieux de réflexion prospective et stratégique réunissant les principaux acteurs concernés (chercheurs, entreprises et autres) afin de détecter les tendances à l'œuvre et les ruptures dans les domaines des sciences et des technologies ainsi que leurs impacts essentiels sur l'économie et la société. Par ailleurs, la modestie, pour ne pas dire les déficits énormes, de l'encadrement pédagogique formé dans sa masse à l'ancien système constitue une variable lourde et pénalisante dans le processus inachevé de la mise en œuvre de la réforme engagée par manque de réactivité et d'intéressement. Enfin, les expériences pilotes ont certainement été peu ou mal évaluées, le principe premier ayant été de «faire avaler la pilule». Peu de critiques négatives ou disgracieuses ont été relevées à ce sujet, l'objectif étant de prouver le bien-fondé du nouveau système dans lequel on voyait une panacée, et de le rendre attractif pour y capter un maximum d'étudiants et d'enseignants, fléchissant inexorablement sous la puissance de la rhétorique fataliste du progressisme libéral qui consiste à nous faire admettre que toute action de ce type est inéluctable et que seuls ceux qui s'adaptent à l'onde de la globalisation pouvaient survivre. D'où le panégyrique outrancier du système LMD dans lequel étaient perçus tous les remèdes aux déficits du système classique et les solutions de choix à l'inertie paralysante de notre système économique. Pour bien achever les chevaux, on a récemment arrêté une nomenclature de l'offre de formation par l'entremise d'une opération de mise en conformité des licences et des masters aux antipodes de l'esprit du système LMD et qui semble sonner son glas en incarnant comme principe la contraction de la palette des parcours de formation et sa réduction à quelques profils jugés pertinents pour répondre, semble-t-il, aux soucis de la Fonction publique, signes prémonitoires du retour au système classique ? Celle-ci aurait trouvé disconvenante la forte diversité de l'offre de formation de l'université dans le cadre du LMD. Alors que dans les faits, la Fonction publique n'est concernée que par la valeur et la durée des formations des catégories générales des diplômes (licence, master et doctorat) sur son échelle de recrutement, les spécialités et les options relevant des secteurs utilisateurs en cas de besoins de profils précisément ciblés. Il est vrai que les excès de tout système de compétition et de spécialisation prématurée sous le fallacieux prétexte d'efficacité assassinent l'esprit… et suppriment même les progrès dans les sciences d'avenir comme le relève Einstein. Autrement dit, une course effrénée à un savoir asséché, en l'absence d'une culture fondamentale forte, tue l'émergence de l'émancipation intellectuelle par la production d'idées à la base de la création et de l'invention. Par contre, elle favorise l'imitation, l'innovation telle qu'elle se pratique aujourd'hui n'étant qu'une amélioration de l'existant avec une forte dépendance des concepteurs et développeurs d'idées et une tendance à l'automatisation des actes. Et il se trouve qu'il ne suffit pas de singer l'Occidental ou de lui emprunter ses découvertes pour se proclamer son égal. Il ne s'agit pas seulement d'apprendre, mais d'inventer, de créer. C'est Jean Mouhoub Amrouche, un autre grand esprit de chez nous, qui l'a écrit à la fin des années 1930 dans son ouvrage Eternel Jugurtha. Cela étant, on aurait dû attendre tout de même que le processus de décantation s'effectue avant d'engager l'opération de mise en conformité pour dégager les tendances générales et en faire une matrice de l'offre de formation de l'université dans sa globalité. La suppression de pans entiers de l'offre de formation en place au gré de comités nationaux dont certains membres ont été foncièrement opposés au LMD, portera un sérieux coup au souci de son ancrage dans la réalité socioéconomique, s'il y en une. Ce lifting réducteur a conduit à l'inflation des cohortes d'étudiants affectés dans les filières retenues qui se voient du coup, et de nouveau, encombrées comme il y a une douzaine d'années. Ce qui contredit l'un des objectifs fondamentaux du LMD, qui consacre le principe de la diversification des formations et le principe de disposer d'effectifs de sections maîtrisables pour assurer un suivi individualisé des étudiants, dispenser des formations ciblées de qualité avec une prise en charge conséquente en fonction des besoins des secteurs de la vie publique. Le LMD ne serait-il alors qu'un ersatz temporaire du système classique ou un leurre pour prétendre à un projet illusoire de la culture de l'excellence et de la qualité dans l'université algérienne ? Le problème est-il dans la taille de nos universités ? Concomitamment à la réforme de l'architecture des enseignements, un programme de restructuration des grandes universités a été initié pour «réduire la taille des établissements et les rendre plus viables et gérables». Ce type d'opération suscite en principe un certain nombre de questions sur l'opportunité et la nature des objectifs qui lui sont fixés. Partager les moyens pour les mêmes ressources, les mêmes modalités pédagogiques et de recherche peut-il impacter les compétences, les performances et la qualité des produits de l'université concernée par l'action de restructuration ? Quelle typologie pour nos universités : seront-elles généralistes ou pluridisciplinaires, ou auront-elles un caractère spécialisé et une identité propre en fonction de leurs domaines de prédilection respectifs ? Doit-on distinguer des universités de grande taille et de petite taille ? Doit-on aller vers une hiérarchisation des universités avec un ancrage territorial prédéterminé : nationales, régionales avec l'induction de niveaux de financement ? Des universités publiques, mixtes et privées ? Autant d'interrogations auxquelles il faut tenter de répondre et qui constituent des variables à la base d'une action de restructuration de l'organisation du système universitaire pour éviter qu'elle ne soit qu'un illusoire partage de moyens dans toutes leurs acceptions. En principe, au-delà de la réduction de la taille des effectifs, le processus de restructuration doit apporter une plus-value à l'établissement concerné et viser des objectifs nobles tels que l'amélioration de la qualité, la disponibilité de plus de ressources humaines et financières, la spécialisation dans un domaine déterminé où il jouit de compétences particulières, etc. Mais dans les faits, il est vite apparu que l'équation de la restructuration se résout à une division des effectifs, des ressources humaines, des moyens matériels et infrastructurels disponibles. Comme si l'émiettement des mêmes moyens et la dispersion des potentialités humaines pouvaient juguler la performance. En quelque sorte, on se partage le contenant et le contenu pour semble-t-il être plus efficace et produire de la qualité. Or, cette efficacité peut être simplement obtenue par une action sur l'organisation interne de l'établissement, plus d'autonomie aux organes facultaires et par leur multiplication dans un même établissement, autrement dit, en offrant davantage de spécialisation et plus de liberté de gestion aux facultés tout en sauvegardant l'établissement universitaire avec son organe central chargé de la coordination, l'évaluation et la supervision de la gestion globale. Evidemment, ce processus passe par des amendements du statut de l'université mais peut engendrer de l'émulation en stimulant la compétitivité et la concurrence entre facultés. Pour rappel, dans ce domaine, la leçon est par ailleurs à la fusion des établissements universitaires pour créer de grands pôles de haut niveau et des ensembles pluridisciplinaires à forte valeur ajoutée. Le principe de la fusion vise à consolider leur force de frappe par la mutualisation et la potentialisation des moyens et des ressources humaines en place pour mieux se replacer sur l'échiquier mondial grâce à la concentration de compétences et au processus de nucléation susceptible de doper l'initiation de pôles d'excellence. C'est ainsi que des pôles universitaires avec des effectifs de 60 000 à près de 85 000 étudiants sont nés récemment en France par la fusion de plusieurs universités pour engendrer des noyaux scientifiquement forts. Cette approche par agrégation d'établissements et accrétion du savoir a été aussi adoptée par les Länder riches en Allemagne qui ont investi dans les technologies de pointe et regroupé leurs universités et organismes de recherche en clusters tout en réformant le mode de gouvernance des universités en l'ouvrant aux représentants du monde économique. Mais il est vrai que le système d'enseignement supérieur allemand est caractérisé par des traditions singulières, enracinées dans un système de formation à structure multipolaire dont l'essentiel du financement est public, assuré qu'il est par l'Etat fédéral et les Länder. Ce système a connu des évolutions variées qui le distinguent des autres pays, alliant à la fois les déterminants culturels de la société allemande, les traditions de formation de l'enseignement supérieur et la volonté des gouvernants de s'inscrire dans la dynamique de l'Union européenne et celle de l'internationalisation de l'enseignement supérieur. C'est cela être spécifique tout en intégrant l'universel. Sans verser aveuglément dans le mimétisme, il est bon d'observer ce qui se passe autour de soi et s'interroger sur les démarches en cours et dans quelles mesures elles peuvent nous intéresser ou s'appliquer chez nous avant d'entreprendre des projets qui, parfois, n'aboutissent pas forcément aux objectifs escomptés, notamment lorsque la situation est qualitativement modeste et insuffisante. Scinder un établissement pluridisciplinaire par simple division pour en créer d'autres de même nature, c'est faire dans le principe des vases communicants, multiplier les difficultés, émietter l'encadrement et même engendrer des déficits et insuffisances d'un autre ordre, et par conséquent, réduire sa force de frappe scientifique. La restructuration ne peut procéder que d'un processus réfléchi sous-tendant une action constructive progressive dont les contours et les objectifs doivent être pré-dessinés, mené sur un terme déterminé. Le partage des idées ne doit pas conduire forcément à l'instinct d'uniformisation ou de mimétisme aveugle : des projets ou des concepts peuvent être mis en œuvre et réussir dans un établissement parce que les conditions nécessaires sont globalement réunies et échouer dans un autre. Réformer les esprits, revaloriser la culture scientifique et les valeurs universitaires et transformer les rapports université/société En tous cas, ce qui est sûr, c'est que la qualité et l'excellence ne se décrètent pas, elles se construisent… l'université elle-même, l'école ou la grande école, dans leur essence première, relèvent d'une construction scientifique humaine et historique et d'une construction de l'esprit à travers les étudiants qui y sont formés et l'encadrement qui les forme, mais aussi à travers leurs produits (enseignement ou transfert de connaissances, recherche ou création de connaissances, services et activités rendus à la collectivité). Les universités et les écoles ne se créent pas ex-nihilo orientées vers la qualité et l'excellence parce qu'on l'a décidé, pas plus qu'elles ne le seront parce qu'on les a dénommées en tant que telles ou qu'on a prétendu avoir réuni en leur sein les ressources les plus performantes, tant que les variables, notamment humaines, qui concourent à leur construction ne sont pas elles-mêmes portées intrinsèquement vers l'excellence et les principaux acteurs ne sont pas éduqués et orientés moralement dans ce sens. Cette dernière propriété ou plutôt qualité humaine relève tout aussi bien d'une volonté, d'un sentiment et d'un lien affectif à son espace de formation pour produire de l'excellence et pénétrer dans le champ de la qualité. Il y a donc une forme de responsabilisation, de contrat moral et social entre les acteurs et leur institution à en faire référence, à en défendre le prestige et à en assurer la pérennité intergénérationnelle. La recette consiste donc à opérer une mutation capitale où les acteurs doivent passer d'une relation de profit et d'intérêt à l'université, de dévalorisation et d'auto-diffamation, à une relation d'attachement, d'empathie et d'un lien fort à l'université avec un comportement prosocial. Aujourd'hui, il est facile d'observer que l'espace universitaire est vécu comme un centre de transit, un sas d'attente, une sorte de halte en attendant les chemins du départ vers d'autres cieux ou une occupation plus lucrative. Ayant perdu ses lettres de noblesse, l'espace universitaire est gagné par l'oisiveté et l'asociabilité avec le déclin de l'esprit de corps, l'esprit de groupes aux lieux communs et l'esprit de parité, au profit de l'esprit de groupes d'intérêt et de transactions en tous genres. Dès lors, il est vital de passer par une étape de mise à niveau générale de l'université pour la régénérer et lui restituer ses fondamentaux après une bonne phase de diagnostic sans appel qui permettra d'identifier les principaux leviers d'action. Pour ce faire, il faudra retourner aux origines même du concept d'université dont l'objectif majeur était d'enseigner les arts et les sciences contribuant à former l'esprit et rendre les hommes savants. L'enseignement supérieur est une totalité, une construction collective et intergénérationnelle. Pour paraphraser A. Einstein, les études sont l'œuvre de plusieurs générations, une œuvre collective exigeant de tous un effort enthousiaste et une peine certaine. Tout cela devient un héritage. On le reçoit, on le respecte, on l'accroît, et plus tard, on le transmet fidèlement à sa descendance. On est ainsi les mortels immortels, parce que nous créons ensemble des œuvres qui nous survivent. C'est ce qui donne un sens à la vie et à son progrès. Au final, il n'y a d'autre alternative que de réformer pour former l'esprit si l'on veut faire jouer à l'université sa mission de construction intellectuelle et citoyenne continue, une paideia qui appelle perfection et excellence. Incidemment, le reste relève de choix institutionnels et de décisions politiques tranchées. Il y a donc des choix à opérer, mais parfois, quand l'hésitation oscille entre les tendances antinomiques du champ économique et des fluctuations de la rente, on ne peut ni cultiver l'art de faire dans l'excellence et la qualité, ni aspirer à s'arrimer au gotha des nations qui les privilégient par le développement de l'intelligence pour accéder au bien-être social autrement que par le processus de distribution d'une richesse non effectivement générée par l'effort. Pour nous, il s'agira donc de développer un modèle, ou peut-être un contre-modèle, ouvert sur ce qu'il y a de positif chez les autres et incarnant un système d'enseignement à l'algérienne qui puisse intégrer nos potentialités, nos ressources mais aussi nos référents sociétaux pour lui assurer un ancrage fort dans notre génome socioculturel. La banalisation actuelle de l'être universitaire et son extraction de ce qu'il représentait jadis comme capital symbolique dans notre société, ne s'accommodent guère d'une démarche centrée sur la qualité et l'excellence qui restent de vains mots peuplant les discours ambiants, encore faut-il que leurs auteurs fassent preuve eux-mêmes de qualité et d'excellence. «Une once de pratique vaut mieux que des tonnes de discours», disait Gandhi. Sinon, que resterait-il à une société dépossédée de la maîtrise de son destin pour son propre bien et qui n'arrive même plus à entretenir le processus de transmission et d'accumulation du capital intellectuel ? Faut-il encore que la seule accumulation du savoir suffise à relever les défis ! En effet, A. Jacquard estime que le savoir ne participe à la construction d'une intelligence que par les questions dont il est l'origine. Se contenter de l'accumuler n'a pas plus d'intérêt que d'acheter une encyclopédie que l'on range dans la bibliothèque sans même la feuilleter. En sus, il faudrait donc disposer des moyens de mettre en relation les divers éléments de ce savoir à travers le système éducatif. Affaibli par la dérive économiste dans les pays occidentaux qui, au nom de la rentabilité et du profit, met beaucoup plus l'accent sur les aspects rentables des inventions et des découvertes que sur la compréhension de la réalité, le système éducatif n'est plus le lieu où chacun s'ouvre au monde, mais un champ clos où seuls sortent indemnes ceux qui auront su l'emporter sur les autres. Dès lors, l'introduction du critère vitesse et son corollaire, l'efficacité, dans la construction de l'intelligence fait participer la science à un mécanisme d'exclusion. Dans notre cas, contrairement au constat admis qui fait de chacun de nous un petit génie dans le pays des miracles, il semblerait que, malgré un potentiel intelligent latent, l'état actuel de notre société ne soit pas en faveur de l'émergence de l'esprit de compétition et de la reconnaissance de l'efficacité comme valeur suprême, ni non plus à l'émergence de l'innovation et de l'excellence tant le nivellement, l'assistanat, la résignation et l'indifférence collective induits par les effets de la distribution de la rente, ont largement érodé, voire neutralisé l'expression de la diversité et des différences positives. Et il sera très difficile de s'en extraire, même en consentant un coût conséquent à moins d'un exercice d'une inversion forcée. En effet, l'attitude de protection abusive qui conduit à déposséder une société du souci et de la responsabilité de son propre destin tend à développer en elle une attitude de démission résignée, de remise de soi et d'indifférence à l'égard de sa propre destinée, explique P. Bourdieu. Aussi, toute forme de politique d'assistance à consonance paternaliste a-t-elle pour effet, dans le meilleur des cas, de placer ceux qui en sont l'objet dans la position de sujets irresponsables et inconscients, dégagés de toute inquiétude concernant leur propre sort, et du même coup indifférents, ou si l'on veut, ingrats à l'égard de ceux qui font autant pour eux ! Le reste est le fait d'une dispersion du potentiel intellectuel et de sa désocialisation par le peu d'intérêt accordé à la chose intellectuelle sur l'échelle des valeurs dans notre société et de la piètre image qu'elle renvoie du processus de la réussite sociale qui se nourrit beaucoup plus d'un champ de transactions multiformes. D'où donc, la nécessité de rattraper une double perte de référence : la première est d'ordre moral face à l'inversion de l'échelle des valeurs dans le corps social et la seconde est relative à l'intégration scientifique devant les fortes évolutions technologiques qui ont provoqué une forme de désorientation du corps enseignant dans le champ de l'éducation en général. A long terme, la tendance dégénérante en cours dans le système universitaire et éducatif en général aura des effets plus néfastes et plus graves que les déviations de notre système économique actuel qui semble ignorer que le moteur de la croissance reste suspendu au comportement des hommes et à leurs valeurs culturelles. Elle signera l'apoptose de notre système sociétal de production et d'accumulation du savoir et l'on peut alors continuer à se fondre dans l'air du temps et disserter, à qui veut le croire, sur l'économie de la connaissance, ou encore, l'économie numérique, quand établir et délivrer un document biométrique, relevant ordinairement d'un acte banal et inaudible, est perçu comme une prouesse prééminente annoncée à grands coups de publicité et entretenue des semaines voire des mois durant. L'échec, la résignation et la stagnation ne peuvent être vaincus que par les actes constructifs fondateurs et en premier lieu, celui de l'entretien de l'intelligence, les évolutions culturelles positives et des institutions qui les portent, seuls garants pour freiner la tendance à la voracité et à l'utopie de l'hystérie consumériste. Le rêve de s'installer dans l'un ou l'autre des compartiments de cette caricature bicéphale séparés par ce que l'on a convenu d'appeler la frontière technologique qui divise les pays de ce monde en deux catégories, celle des innovateurs et celle des imitateurs, mais qui omet malheureusement l'essentiel de la population mondiale, celle-là même qui a faim et elle est plus nombreuse que tout, celle des pauvres exclus et oubliés, se nourrit de l'incandescence des mirages d'une féroce globalisation et de la rhétorique des discours distillés par les relais de ses concepteurs. Ce rêve est difficile à réaliser tant qu'on ne fonctionne pas sur un principe de vérité. Et pour preuve, au moment où dans certaines nations on se préoccupe d'une nouvelle donne qui est le vieillissement que d'aucuns assimilent à une malédiction et prévoient des risques de conflits intergénérationnels dans le monde du travail, chez nous le débat était focalisé sur la retraite anticipée et dire que près de 65% de la population est formé de jeunes de moins de 35 ans ! C'est dire aussi qu'après les errances répétées de notre système économique, l'érosion de l'échelle des valeurs, voire son inversion totale, et l'actuelle récession intellectuelle qui déstabilise le champ de la formation en général, constituent une autre signature forte et inquiétante des effets de l'hystérie rentière.