La direction générale du Centre de recherche en économie appliqué pour le développement (CREAD) à Bouzaréah (Alger) a décidé « la mise à la retraite forcée » de tous les chercheurs associés encore en activité. Dans une lettre de protestation, dont El Watan détient une copie, un collectif dénonce une décision « arbitraire » qui n'a à voir ni avec l'âge la vingtaine de chercheur, ni avec leur production scientifique, encore moins avec une quelconque considération d'ordre disciplinaire. « Ils (chercheurs) sont simplement désignés comme indus occupants et invités à céder leur placer à de nouveaux chercheurs permanents recrutés massivement ces derniers temps », précise le document. Le directeur par intérim du centre, Yacine Belarbi, installé quelques semaines plutôt, en remplacement de Yacine Ferfera, a signé une note de service datée du 26 novembre, où les concernés sont informés que le centre « fait face à un problème sérieux de disponibilité d'espace de recherche » suite à une compagne de recrutement des nouveaux chercheurs, prévus dans le cadre du programme de consolidation du corps des chercheurs permanents de l'année 2016/2017. Les chercheurs associés, qui affirment n'avoir pas été associé à la décision, ont essayé de réagir. « On a alerté la tutelle (Enseignement supérieur). Nous avons été reçus par un conseiller du ministre puis par un DG. Des promesses nous ont été données», précise à El Watan une des victimes de la mise en retraite d'office, l'économiste et directeur de recherche, Mourad Boukella. Une mise en demeure datée du 13 décembre viendra exiger des concernés de quitter manu militari leurs bureaux. Parmi les « victimes expiatoires » de la décision figurent les chercheurs « les plus anciens, les plus titrés et les plus qualifiés dans le domaine respectifs », à l'instar de Fatma Oussedik, Safar-Zitoune Madani, Mourad Boukella, Tayeb Kennouche, Zoubir Arous. « Véritable mémoire du centre, la plupart d'entre eux étaient présents non seulement à la création du CREAD en 1984, mais aussi à celle de son ancêtre, le CREA en 1975 », regrettent les concernés dans leur appel. « Ils ont vidé eux-mêmes nos bureaux», s'indigne Fatma Oussedik, sociologue spécialiste de la famille, qui affirme avoir annoncé sa décision de « prendre sa retraite en décembre ». Son collègue, enseignant d'économie, Mourad Boukella s'offusque aussi : «J'ai trouvé mon bureau vidé, mes documents encartonnés et jetés dans les sous-sols du Cread ». Pour les chercheurs associés, la décision de l'administration du CREAD, que El Watan a tenté vainement de contacter, hier, est «déontologiquement injuste et moralement condamnable » : « Sa brutalité traduit l'absence totale de sens du dialogue et de la concertation, expression d'une mentalité de dictateur en herbe bien éloignée de tout esprit scientifique. Il existe certainement d'autres démarches plus « régulières », plus respectueuses des personnes et plus productive que celle qui a été choisie par le directeur. » Dévitaliser les institutions Pire, la décision est considérée comme « illégale ». « Les collègues-victimes sont dans leur majorité sous contrats de recherche signés en bonne et due forme par le directeur, après son acceptation par le conseil scientifique du centre. Il s'agit donc d'une rupture unilatérale et abusive de contrat accompagné d'un avis d'expulsion à peine voilé. Ne manquait plus que l'huissier de justice pour parachever le tout », s'offusquent les rédacteurs de l'appel qui s'interrogent : Le chercheur associé est-il à ce point démuni de protection légale pour subir un tel arbitraire ? La sentence est considéré, par ailleurs, commune une « faute professionnelle grave et une erreur de management » puisque, assurent ses victimes, l'argumentation avancée pour justifier l'expulsion est de mauvais augure pour l'avenir de la recherche en Algérie : « liquider » des chercheurs qualifiés, porteurs d'une expérience inestimable forgée le long de toute une vie, pour faire de la place à des chercheurs entamant à peine leur carrière professionnelle. Les chercheurs s'interrogent d'ailleurs sur l'encadrement des jeunes recrues. Dénonçant un recrutement « massif », Tayeb Kennouche, sociologue, estime que les institutions comme le CREAD sont en train de se dévitaliser et de s'éloigner de la société : « Elles n'ont plus de substance, et lorsque les institutions n'ont plus de substance, elles ne sont plus légitimes. Un centre de recherche c'est un lieu d'accumulation. Il n'y a de science que si la science s'inscrit dans un processus d'accumulation, et il n'y a pas d'accumulation sans transmission. Il va falloir qu'on arrête la mise à mort de l'institution. Nous sommes en train de nous dessaisir de la société algérienne, en produisant de l'amnésie et en dévitalisant les institutions par la mise à la rue des chercheurs. » Le malaise au CREAD touche aussi les chercheurs permanents qui ont tenu, le 18 décembre 2017, une AG, où ils dénoncent, dans un PV de leur syndicat (SNCP-CREAD), « la dégradation » de l'environnement de recherche et la « défaillance dans la gestion » imputées à la nouvelle direction. Une demande d'audience adressée par le SNCP à la DG de la recherche au ministère de l'Enseignement supérieur est «restée sans réponse ». Les chercheurs associés interpellent, dans leur lettre de protestation, les responsables et l'opinion publique sur la « forfaiture » qui vient de se commettre au Cread. « Nous attendons une réaction citoyenne salutaire de la communauté scientifique nationale pour stopper cette tentative délibérée d'assassinat de la recherche en sciences économiques et sociales dans notre pays », espèrent-ils.