- Abderrahmane Achaïbou, le PDG du groupe éponyme, a publié dans la presse nationale une lettre ouverte au président de la république. Il y explique comment son groupe, représentant jusqu'en 2014 des marques Ford, Kia, Suzuki, Isuzu notamment, en a été dépouillé par le ministre de l'Industrie Abdesselam Bouchouareb qui «les a redonnées à des parents et amis». 1230 travailleurs sur les 1700 initiaux ont connu un plan social. Abdesselam Bouchouareb a «organisé la faillite du groupe Achaïbou». Le concessionnaire, connu pour avoir été le premier distributeur de voitures en Algérie dès 1992, affiche 400 000 véhicules écoulés sur le marché algérien, ce qui justifiait la confiance de marques aussi nombreuses que variées, y compris dans le lourd. J'ai rencontré Abderrahmane Achaïbou au printemps 2017. Un homme respectable, profondément meurtri par un sort kafkaien. J'ai pris longuement connaissance des éléments à charge contre le ministre de l'Industrie et des Mines, alors encore en poste. La lettre ouverte adressée par le chef d'entreprise martyrisé ne comporte pas toutes les turpitudes du ministre et les procédés utilisés pour en arriver à transférer l'exploitation des marques citées et l'émargement aux quotas de leur importation au profit de tiers acteurs. Cette chronique même s'est alors fait l'écho du réseau d'affaires de Abdesselam Bouchouareb et du risque que sa gourmandise délinquante faisait porter à tout le secteur qu'il était censé encadrer. La lettre publique de M. Achaïbou arrive malheureusement trop tard. Elle ne peut pas rattraper l'incroyable préjudice subi. La ligne de défense, le plan de bataille du patron du groupe Achaïbou est classique. Elle est propre au milieu. Ne pas faire de vagues. Tenter de rétablir une situation par la négociation interne. Abderrahmane Achaïbou a utilisé pendant près de deux ans tous les canaux formels (FCE, UGTA, etc.) ou informels (amis du ministre, etc.) pour tenter d'infléchir le plan de dépouillement de son bourreau. Pour le résultat que l'on sait. Des collègues de l'association des concessionnaires automobile ont choisi de jouer «perso» et sont passés entre les gouttes. D'autres se sont mis au banquet pour hériter des marques dépouillées du groupe Achaïbou. Très vite, il était devenu clair que le seul recours pour le groupe ainsi ciblé était de s'en remettre aux médias et à l'opinion publique. De rompre le rang. C'est cette ligne rouge que ne savent pas traverser de trop nombreux capitaines d'industrie éduqués à l'idée qu'il faut rester solidaire du système alors même qu'il organise tranquillement, à l'abri des regards, votre propre débâcle. - Abderrahmane Achaïbou aurait sans doute dû alerter l'opinion dès que lui avait été dérobée la première marque (Ford). Le choix du profil bas pour tenter de préserver les autres marques a plutôt sonné, chez le ministre prédateur, comme une invitation à continuer. Abderrahmane Achaïbou ne pouvait pas mobiliser de renfort décisif de type de celui qui a profité à Mourad El Eulmi. Le patron de Sovac, longtemps maintenu en stand-by pour le projet d'investissement de Volkswagen à Relizane, a bénéficié de l'intervention diplomatique directe de Berlin pour bien signifier qu'il ne devait pas y avoir de surenchère sur la composition du tour de table de cet investissement. Volkswagen en était partie prenante. Dans le cas Achaïbou, il fallait livrer bataille au grand jour. En réalité, c'est ainsi que devrait faire la très grande majorité des chefs d'entreprise indûment prise en otage par l'administration ou les membres du gouvernement. L'idée de pouvoir s'en sortir en naviguant dans les interstices du système renforce le plus souvent l'arbitraire, l'abus du pouvoir et la position de force en vue de l'extorsion de fonds, ce qui est le cœur du problème dans le cas du groupe Achaïbou et du ministre Bouchouareb. Bien sûr, une dénonciation dans les médias des pratiques du ministre, dès le début, aurait sans doute conduit dans un premier temps au maintien du ban contre toutes les activités d'importation ou de production du groupe Achaïbou. Mais aurait sans doute précipité la chute de Abdesselam Bouchoureb. D'autant plus vite qu'elle aurait fonctionné comme un signal de ralliement pour tous les autres investisseurs et opérateurs victimes du harcèlement marchand du ministre détenteur du droit de vie et de mort sur leur business. On ne peut pas raisonnablement faire grief à Abderrahmane Achaïbou d'avoir opté pour l'autre voie. Il est extrêmement névralgique d'arbitrer dans de telles situations, où autant d'emplois, autant de vies sont en jeu. Il reste que l'histoire de son démantèlement dans l'antichambre de la République par un membre du gouvernement doit produire ses enseignements pour les autres. La pédagogie par la transparence fait avancer tout le monde : l'opinion, les décideurs, les acteurs économiques, et les juges. - Un colloque d'experts internationaux sous l'égide de l'UNESCO a travaillé durant trois jours sur l'urgence de sauvegarder la Casbah d'Alger et de la revitaliser. Un sacerdoce qui a pétrifié présents et commentateurs. Dernière étape de la longue quête de réhabilitation de la médina historique d'Alger, classée en 1992 patrimoine universel de l'humanité par l'Unesco, le plan permanent de sauvegarde de La Casbah, lancé en 2012. 90 milliards de dinars affectés, 24 milliards déjà mobilisés. Lorsqu'on circule à l'intérieur du site historique, l'incidence visuelle de cette dépense est absente. Echec ? Sans doute. La priorité est donnée à la restauration de la Citadelle (complexe étatique du Dey sur les hauteurs de la ville) et aux palais de la Basse Casbah. Le reste continue de décliner. A grande allure. Au point d'avoir arraché un récit glaçant à un vieil expert allemand, Armin Durr, revenu trente ans plus tard, en 2010, sur le site d'une grande espérance. Il a déclaré : «De précieuses années pour la préservation de La Casbah ont été inutilement perdues. Nombreux projets préparés n'ont jamais été réalisés, tant de gaspillage de moyens financiers, d'énergies et d'idées d'innombrables experts ont été perdus ! Pourquoi n'a-t-il pas été possible de préserver et restaurer La Casbah ?» Les réponses se sont additionnées, télescopées durant trois jours. Une première évidence : ce n'est pas un problème technique de réhabilitation de bâti. Mais encore ? La Casbah de l'après-indépendance a perdu son modèle économique. Ses habitants ne vivent pas des mêmes activités qu'avant. Aucun modèle nouveau n'est venu supplanter l'ancien. Il existe pourtant ailleurs dans le monde. C'était le but de le montrer lors de ces trois jours à l'hôtel Aurassi. Les villes anciennes sont une offrande pour l'humanité. Elles vivent au XXIe siècle de la visite touristique. L'écosystème qui permet cela est fait de mixité sociale. Des investisseurs privés, des résidents plus fortunés et de la population locale. Ce modèle a des prérequis. Les habitants locaux sont là. Il manque les investisseurs privés et les touristes algériens et étrangers. Ce modèle, celui d'un nouveau marché, un nouvel équilibre offre-demande rénové, c'est exactement ce que ne savent pas faire les années Bouteflika. Elles savent compter en réalisations. Jamais en chiffre d'affaires généré. Armin Durr a terminé son requiem pour La Casbah ainsi : «Il reste l'amer sentiment que La Casbah est un patrimoine en péril. Alors avec grand regret de dire : au revoir ou adieu La Casbah».