En 1964, Alfred Hitchcock (1899-1980) réalise Pas de printemps pour Marnie. Ce film, diffusé sur Arte, est l'une des ultimes œuvres dans laquelle le cinéaste dépeint les traumatismes de l'ego comme il l'avait magistralement fait avec La maison du docteur Edwardes (Spellbound-1945), Fenêtre sur cour (Rear Window-1954), Sueurs froides (Vertigo-1958) ou Psychose (Psycho-1960). Alfred Hitchcock est un cinéaste frustré lorsqu'il engage le tournage de Pas de printemps pour Marnie. Il ne concevait pas de faire ce film avec une autre actrice que Grace Kelly qui avait travaillé sous sa direction dans deux classiques de sa filmographie : Le crime était presque parfait (Dial M for Murder-1954) et La main au collet (To catch a thief-1955). Grace Kelly était devenue princesse de Monaco et a mis un terme à sa carrière professionnelle. Alfred Hitchcock jettera son dévolu sur Tippi Hedren qu'il avait lancée dans Les oiseaux (The Birds-1963). Il n'y a pas de hasard dans un tel choix, car Tippi Hedren offre le profil idéal de l'héroïne hitchcockienne : elle est blonde comme le sont Kim Novak, Eva Marie Saint, Janet Leigh et Grace Kelly que le réalisateur avait employées auparavant. Il y a aussi des correspondances de caractères chez les personnages féminins d'Alfred Hitchcock. Ainsi, dans Pas de printemps pour Marnie, Marnie Edgar est-elle la réplique de Marion Crane, l'héroïne tragique de Psychose. Comme Marion, Marnie vole ses employeurs, les deux personnages ont le souci de fuir la compagnie des autres. Marnie Edgar est une redoutable kleptomane qui change d'apparence physique et d'identité. Jusqu'à ce qu'elle se fasse remarquer par Mark Ruthland (Sean Connery), un jeune et riche homme d'affaires qui s'éprend d'elle. C'est l'une des variantes préférées d'Alfred Hitchcock que l'intrusion du médiateur masculin, comme c'était le cas de Cary Grant dans La mort aux trousses (North by Norwest-1959), John Gaven dans Psychose ou Rod Taylor dans Les oiseaux. Plus qu'une convention récurrente, le procédé trahit chez Alfred Hitchcock l'opposition entre le mâle rédempteur et la femme souvent vénielle et chargée de péchés. Mark Ruthland incarne ainsi parfaitement, dans Pas de printemps pour Marnie, cette image salvatrice de la représentation de l'homme chez Alfred Hitchcock. Dans Les oiseaux, c'est un fléau qui s'abat sur Mélanie Daniels. Marion Crane, dans Psychose, est assassinée sous sa douche dans ce qui ressemble à une séquence d'immolation. Marnie Edgar, comme tant d'autres héroïnes d'Alfred Hitchcock, n'est pas une sainte. La raison en est à chercher dans l'histoire personnelle, plus directement dans la petite enfance, socle des secrets les plus terribles. A cet égard, nombre de films d'Alfred Hitchcock sont des avatars de La maison de docteur Edwardes et de sa fulgurante étude de la fêlure de la personnalité chez des adultes qui ne se sont jamais libérés de l'emprise d'une première enfance tragique. C'est sur les ombres plus que sur les lumières de la mémoire que le cinéma d'Alfred Hitchcock entend agir. Dans ce sens, Alfred Hitchcock explore les arcanes sinueux du refoulement qui expliquent que la frigidité de Marnie Edgar, son obsession à effacer ses traces, à se diluer dans la nature sont des réflexes d'autodéfense contre le bouillonnement d'une identité qui cherche dans le même temps à s'affirmer. Mark Ruthland est alors un directeur de conscience autant qu'un psychanaliste pour Marnie Edgar qui a grandi en refusant de se souvenir qu'enfant elle avait tué un compagnon de sa mère. Mark Ruthland parvient à convaincre Marnie que c'est cette névrose qui l'a toujours empêchée de vivre au grand jour. Ce thème de la culpabilité originelle a autant à avoir, dans le cinéma d'Alfred Hitchcock, avec Freud qu'avec les Ecritures : c'est presque l'histoire d'Adam et Eve. Il faudra pourtant se garder d'intenter un procès en misogynie à ce maître dont l'héritage traverse le cinéma actuel. C'est pour cela qu'il n'en finit pas d'être un cinéaste contemporain et, surtout, moderne.