Pourrions-nous dire que le célèbre Benjamin Franklin voyait parfaitement grand lorsqu'il disait au siècle dernier : « Nous ne nous battons pas uniquement pour les Etats-Unis, mais pour l'ensemble de la planète » ? La question est d'autant plus pertinente que l'analogie de Sea Island permet de faire le lien. Ainsi le nouveau manuel du professeur - patchwork, comme on dit chez Chirac - dans lequel son petit-fils George Bush vient actuellement d'affiner la formule, révèle déjà une sorte d'exportation de la démocratie libérale américaine et décèle surtout son fil conducteur : les Etats-Unis d'Amérique, et les Occidentaux en général, vivent la hantise d'un monde musulman en effervescence tombant dans l'islamisme, autrement dit dans le culte de l'Etat islamiste, comme disait récemment Michael Holtz dans le New York Times. Cela dit, en proposant au monde arabe un plan ambitieux dénommé l'« Initiative du Grand Moyen-Orient (Greater Middle East Initiative) », le Président américain, qui axera d'ailleurs son menu politique sur trois priorités : la promotion de la démocratie et la bonne gouvernance, l'édification d'une société de savoir et enfin le développement économique, offre un portrait affolant de la situation de ces 280 millions d'habitants qui peuplent les 22 Etats de la Ligue arabe. The Carnegie Endowment for International Peace, qui va dans le même sens en matière de constat, s'appuie sur les évaluations faites par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) afin de souligner la gravité du problème de croissance économique dans le monde arabe. Le centre estime que le produit intérieur brut de tous les Etats était de 531 milliards de dollars en 1999, alors que celui d'un pays comme l'Espagne atteignait déjà les 595 milliards de dollars. Fait exceptionnel, le revenu réel par habitant a connu durant la période 1985-1999 le mouvement le plus lent de la planète, une situation de quasi-stagnation de l'ordre de 0,5 % par année. Fait anodin dans le développement des pays arabes cette fluctuation paradoxale de la courbe de croissance. Entre 1975 jusqu'à 1980, le taux de croissance avait atteint 8,6 %, mais la dégringolade du prix du pétrole des années 1980 avait fini par clouer tous les pays arabes au chiffre honteux de 0,3 %, lequel a pu ensuite se repositionner à 3,8 % entre 1990 et 1998. On évalue actuellement le PIB par habitant arabe à 4793 USD contre une moyenne mondiale de 7446 USD. Les Arabes ne participent nullement à l'effort économique mondial. On les qualifie de vaches qui voient passer les trains. Dans le volet du savoir, le constat est encore plus désastreux. Le florilège des études porte en premier lieu sur la situation dramatique des femmes. Leur statut est incontestablement plus inférieur aux normes mondiales admises. Parmi les 65 millions d'illettrés arabes, plus des deux tiers sont des femmes. Un indice qui fait placer ces pays au bas de l'échelle, juste derrière l'Afrique subsaharienne. Autre aspect important de la crise, l'accès aux technologies de l'information et de la communication. Le CEIP, en se référant au PNUD, fait la mention suivante : comparativement aux 285 ordinateurs par 1000 habitants qu'on trouve dans le monde occidental, les pays arabes ne dépassent pas les 18 micro-ordinateurs/1000 hab, contre une moyenne mondiale de 78 micros/1000 hab à laquelle répond fièrement l'Algérie dans la fourchette misérable de 9 à 13 micros par 1000 habitants. Et encore ! 1,6 % de la population arabe utilise Internet. Au sujet des publications, on évalue à 4,4 livres traduits par million d'habitants, c'est-à-dire un livre par année et, ou un million d'habitants, contre 920 en Espagne et 519 en Hongrie. Dans le domaine scientifique, seuls 371 ingénieurs sur 1 million d'habitants travaillent dans la recherche contre une base internationale de 979 ingénieurs. Pour ce qui est de la capacité scientifique, on attribue à Israël la deuxième place mondiale de 3,8 scientifiques par 1000 habitants, juste derrière le Japon (4,1 scientifiques/ 1000 hab. Les Etats-Unis viennent en 3e place avec un taux de 3,2/100 hab). Le monde arabe ne pouvait sortir du néant avec moins de 0,003 scientifiques par 1000 hab. Mais la plaisanterie devient encore plus intéressante, si on dit qu'en 1996 tous les pays arabes n'ont pu produire que 1945 œuvres littéraires et artistiques. Moins qu'un pays comme la Turquie. Depuis l'avènement du cinéma, les pays du Golfe n'ont ni donné au monde la moindre production cinématographique ni participé dans le plus petit festival de films. En ce qui concerne les médias, le CEIP considère que la majorité des radios et des télévisions dans le monde arabe appartient à l'Etat. Elles sont souvent occupées par les potentats du pouvoir. Les rares publications et les journalistes qui échappent à l'emprise des régimes publics sont souvent soumis au harcèlement illégal, à des menaces et souvent à la fermeture et à l'emprisonnement. Le monde arabe est le leader mondial en matière de restrictions de la liberté de la presse et d'opinion. Au sujet de l'exploitation de la télévision, un taux officieux appliqué sur une semaine durant le mois de janvier 2002 et prenant l'ENTV algérienne, la 2 française, la TV égyptienne, la syrienne et la saoudienne avait démontré ceci : Bouteflika avait occupé un taux horaire maximal de 3h 40 sur 24 heures, contre 1h20 pour Al Assad, 58 minutes pour la famille Al Saoud, 50 minutes pour Moubarak et 4 minutes pour Chirac. Saïd Sadi comme Aït Ahmed avaient récolté 0 minute sur une base annuelle... Et dire que l'ENTV appartient à tous les Algériens.