Le Musée national d'art moderne et contemporain d'Alger (Mama) tient actuellement son premier Salon du dessin. Plus d'une vingtaine d'artistes de différentes générations et styles y exposent leurs œuvres sous le générique «Dessinez vos desseins». Le Mama reprend enfin ses activités après un ralentissement notable pour cause de restrictions budgétaires. Une bonne nouvelle qu'il convient de souligner. Exit les expositions à gros budget avec scénographies grandioses. Pour être modeste, le premier Salon du dessin est particulièrement intéressant. Il fait suite à l'exposition «Paysages et portraits» (octobre 2017), qui mettait en avant des œuvres de la collection du Mama et à «Iqbal/Arrivées» (mai 2017) dédiée à la scène algérienne des jeunes photographes. En art, comme dans tous les autres domaines, la baisse des budgets conduit à l'exploration maximale des ressources locales. Et c'est quelque part heureux. Cette première édition du Salon du dessin se présente comme «un préambule à un projet plus vaste». Elle entend mettre en valeur un médium considéré comme «mineur» ou servant d'étape préparatoire à des œuvres dans des disciplines plus «nobles» comme la peinture, la sculpture ou le design. Le dessin est pourtant le plus court chemin de l'esprit à la main. Il permet de découvrir l'esthétique d'un artiste dans son plus simple appareil. Comme indiqué dans la présentation, signée Nadira Aklouche-Laggoune, enseignante aux beaux-arts d'Alger et directrice du Mama depuis une année, le dessin connaît depuis quelques années une «embellie» sur la scène internationale de l'art contemporain. En Algérie également, l'on a pu observer des initiatives dédiées au dessin, à l'image de l'exposition «Purely Drawing» organisée en décembre dernier par la galerie algéroise d'art contemporain Seen Art. On citera également le Salon du dessin contemporain organisé depuis quelques années par l'association Civ-œil d'Oran. Bref, le dessin a des choses à dire et à montrer. Cette dynamique prend aujourd'hui sa place au Musée national d'art moderne et contemporain. Par leurs thématiques, leurs esthétiques et leurs techniques, les œuvres exposées dans cette institution offrent un bel aperçu des possibilités offertes aux artistes par le dessin sous toutes ses formes. Cela est peut-être la force et la faiblesse de ce Salon. En somme, les organisateurs ont choisi de ne pas choisir. On ne distingue pas d'orientation ou de parcours parmi les œuvres exposées. C'est un panorama de différents questionnements et univers artistiques qu'on découvre en traversant le hall du Mama. Sous le slogan «Dessinez vos desseins», les participants ont eu visiblement carte blanche pour mettre leurs projets en dessins. S'il se défend de prétendre à l'exhaustivité, ce Salon, qui réunit des artistes de différentes régions d'Algérie, affiche l'ambition de «mettre en valeur la diversité et le contraste de différents types de dessins : sériel, grands papiers, dessin en mouvement, fusain, encres, crayons, feutres, placoplâtres, plexis… Autant de techniques et supports mixtes qui montrent l'étendue des ressources infinies et inépuisables de ce médium». Entamons le tour d'horizon des dessins et desseins parmi les œuvres exposées au Mama et datant toutes de 2017. Art du dépouillement, le dessin permet de mettre en avant toute la virtuosité de l'artiste à travers sa maîtrise des traits, des ombres et de la perspective. C'est justement de vertigineuses perspectives que nous offre Driss Ouadahi dans «Patrimoine». L'artiste algérien, qui vit et travaille en Allemagne où il poursuit sa belle carrière internationale, dévoile une sorte d'architecture abstraite explorant l'esthétique des carcasses de bâtiments de banlieues. Des «ruines contemporaines» à l'esthétique troublante. De l'architecture au dessin industriel, Fethi Hadj Kacem dessine des métiers à tisser complexes, qui apparaissent presque comme des machines futuristes. L'artiste, actuellement étudiant à Montpellier, veut ainsi rendre hommage à une technologie ancestrale. Plus lyrique, Abdelmalek Yahia nous montre un clown solitaire au milieu d'une ville soufflée par un bombardement. Charbon sur toile, «Ludisme» est une sorte de poème qui dénote une certaine maîtrise technique. On ne s'étonnera pas de découvrir que Yahia a beaucoup travaillé pour le théâtre, tant l'image est elle-même soigneusement mise en scène. L'exposition nous offre également un aperçu des orientations actuelles de Mostafa Goudjil, qui fut enseignant aux beaux-arts d'Alger jusqu'aux années 90' et exerce depuis à Marseille. Sa série intitulée «Ville» est une sorte de vision cauchemardesque du logement social : un interminable conglomérat de bâtiments identiques, séparés par quelques mosquées. Le regard du spectateur est pris au piège en parcourant cette œuvre qui se déroule horizontalement sur 110 cm. Autre artiste de la génération des années 80, Zoubir Hellal s'illustre dans un triptyque autour de la main, outil de travail et d'expression des dessinateurs (et de toute l'humanité d'ailleurs). Le personnage squelettique aux mains levées est réalisé avec du feutre sur plexiglass. L'œuvre laisse une forte impression visuelle, qui se termine par un très gros plan sur la main en question. Abdelkader Belkhorissat explore pour sa part des scènes du quotidien qui émergent de ses croquis à la plume et au lavis. Le directeur de l'Ecole des beaux-arts de Sidi Bel-Abbès nous transporte dans les souks et ruelles de Tlemcen et Oran. Chez d'autres artistes, le dessin peut aussi lorgner du côté du graphisme. C'est le cas, par exemple, du personnage insolite et troublant de Thileli Rahmouni. Son gigantesque «MC», portant masque et pioche, est dessiné sur un adhésif vinylique collé à même le mur. On citera également «Les Mineurs», de Atef Berredjem, dessinés sur les cimaises du Mama, ou encore «Les Moutons», de Hamza Bounoua, qui vit dans le Golfe. Proches de la caricature, ses encres sur aluminium montrent une armée de personnages mutants entre l'homme et l'ovidé, avançant en rangs serrés ou exécutant des pas de danse grotesques. Le motif répétitif de ce personnage suggère comme une écriture picturale créée par Bounoua, coutumier des explorations calligraphiques. D'autres artistes affichent des choix esthétiques marqués, à l'image de Amar Briki. Ce peintre d'une grande originalité, né à Dellys en 1963, produit une sorte d'art «concret». Si ses œuvres ne sont pas toujours figuratives, elles refusent tout autant l'abstraction. Elles ne sont pas l'illustration d'une idée, mais la matérialisation d'une vision. Sa série d'encres est un refus radical, jusque dans la signature grossièrement griffonnée, de tout raffinement esthétique, de toute joliesse : coulures, taches et gribouillis représentent les «Paysages d'Algérie». Le peintre explique que pour lui «un paysage est un monde qui n'a pas de nom». Mounia Mya Lazali illustre, quant à elle, le thème des migrations à travers une composition évocatrice représentant des silhouettes désarticulées tentant de traverser des murs surmontés de barbelés. Réalisés sur un support peu conventionnel, le placoplâtre, ces dessins évoquent la tragédie des migrations, mais aussi et surtout l'espoir d'une vie meilleure qui fait mouvoir ces populations malgré les dangers évidents. Les dessins sont d'ailleurs intitulés «Hope» (Espoir) et «We Will Not Go Back» (Nous ne reviendrons pas). De son côté, le facétieux Mehdi Djellil continue son travail sur les conflits et contradictions sociales qui l'entourent. Dans cette exposition dédiée au dessin, on aurait pu s'attendre à le voir exposer ses encres, exposées plusieurs fois auparavant, représentant ses monstres rondouillards. Mehdi Djellil nous surprend encore une fois avec de grandes toiles mêlant pastels, craie et feuilles d'or. Tout un monde organique et charnel d'où ressortent des silhouettes humaines ou presque humaines, tantôt lascives, tantôt guerrières. Ses «Batailles» sont une variation sur le thème éternel de l'amour et de la guerre. Peintre de la même génération, Hicham Belhamiti a choisi d'explorer l'univers du sommeil et du rêve. Loin de l'explosion de couleurs de Mehdi Djellil, ici l'ambiance est plutôt mélancolique et sombre. L'œuvre intitulée «Sommeil profond» semble faire référence au voyage de l'âme durant le sommeil, tel que décrit dans plusieurs religions et philosophies spirituelles. Entre ombre et lumière, cet artiste nous plonge dans un monde de silence. D'autres créateurs parcourent le thème de la mémoire et du souvenir. C'est le cas de Sofia Hihat, qui matérialise la mémoire parcellaire par des vignettes disséminées sur une feuille blanche. Chacune est porteuse d'un détail reconnaissable ou non, qui renvoie au grand puzzle du souvenir. Un souvenir qui se construit aussi et surtout par l'imagination qui s'exprime dans les espaces blancs et recompose les fragments à sa guise. La mémoire peut aussi être collective et l'on parle dans ce cas d'histoire avec Slimane Ould Mohand. L'artiste, installé en France depuis 1990, donne corps à ses souvenirs de la terre natale et de l'enfance (espace et temps d'un seul et même tenant). Usant d'encre de Chine et de brou de noix, les dessins prennent des teintes ocre et terreuses. Des personnages aux regards inquiets sont survolés par un grand oiseau fantasmagorique dans l'œuvre intitulée «Les histoires nous traversent». Le dessin peut aussi avoir sa place dans l'art conceptuel et les installations. C'est le cas de Soufiane Zouggar, qui montre de nouveau son installation dédiée à la mémoire du militant communiste de Tlemcen, Mohamed Badsi. Exposée l'an passé aux Ateliers sauvages, cette installation mêle documents d'archives, dessins et animation pour tenter de retrouver des moments forts du parcours de cette figure de l'histoire algérienne. Intitulée «Caravan-Saraj», elle opère un parallèle entre Badsi et Hamid Serradj, personnage littéraire de Mohamed Dib. Plus énigmatique, Sadek Rahim montre un détail de sa série «Itinérante» (consacrée à la migration clandestine en Méditerranée) composée de formes géométriques réalisées sur du papier calque. Habitué des installations, Adel Bentounsi montre sa dernière prière (The Last Prayer). Il griffonne un minuscule personnage en position de prière sur un support peu habituel : des papiers mouchoirs. Au chapitre des supports insolites, on citera également Djamel Eddine Benchenine, lequel dessine des visages et des scènes sur du papier à cigarettes «Bob». Les figures hilares donnent une idée assez claire du type de «tabac» roulé dans ces massa, selon l'appellation populaire. Ou mass'art, selon le néologisme du jeune artiste oranais. Il n'y a pas que les supports qui peuvent sortir de l'ordinaire. Les artistes réinventent aussi leurs instruments, à l'image de Yazid Oulab. «'Houwa» (Lui) est réalisée à l'aide de graphite embouté à une perceuse. On citera enfin le dessin sériel de Akila Mouhoubi, reproduisant des dizaines de fois le même motif traité différemment dans «Jeu». Au sortir de cette belle exposition, l'on prend conscience que le dessin est finalement au cœur de tous les arts plastiques. En attendant de prochaines éditions, avec éventuellement des choix esthétiques ou thématiques plus marqués, cette première édition du Salon a le mérite de souligner l'importance de ce medium en offrant un large aperçu de ses potentialités.