Les déclarations enflammées d'Ahmed Ouyahia à Biskra, où il s'est exprimé samedi en sa qualité de secrétaire général du RND (Rassemblement national démocratique) à l'occasion de la célébration de l'anniversaire de la création de ce parti, risquent d'embraser le front social au lieu de l'apaiser. En tirant à boulets rouges sur les manifestants et les grévistes qui font l'actualité du champ social depuis plusieurs semaines, le patron du Rnd — et cela sans la moindre nuance, ne serait-ce que par souci pédagogique et diplomatique pour donner une chance au dialogue qui piétine déjà suffisamment pour corser encore davantage le contentieux — remet consciemment ou non les compteurs à zéro. Bien que coiffé de sa casquette de secrétaire général du RND, les propos qu'il a tenus à Biskra appelant à la résistance contre les «manœuvres politiciennes et démagogiques visant à déstabiliser le front social» ont mis le feu aux poudres. Pour nombre d'observateurs, le ton et le contenu du message d'Ahmed Ouyahia apparaissent en net décalage, pour ne pas dire carrément en porte-à-faux par rapport à la gravité de la situation et au caractère sensible et stratégique des secteurs ébranlés par les mouvements sociaux — la santé et l'éducation — ainsi qu'aux laborieux efforts entrepris par la tutelle, les syndicats autonomes et les représentants des médecins résidents grévistes pour trouver une issue à ces conflits. Après ces oukases, il sera difficile de réparer les dégâts et de (re)nouer le dialogue. Ceux qui s'étaient interrogés sur le silence du Premier ministre face à la dégradation du front social en viennent à regretter qu'il ait parlé suite à ses déclarations aux accents guerriers qui ne sont certainement pas de nature à favoriser la recherche d'une solution consensuelle et pacifique aux mouvements de contestation qui agitent le monde du travail et du savoir. D'ailleurs, la réponse des médecins résidents et des syndicats autonomes de l'éducation ne s'est pas fait attendre. A la menace à peine voilée proférée par Ouyahia pour stopper «le train de l'anarchie», les blouses blanches ont répondu par l'organisation improvisée d'un rassemblement samedi à l'hôpital Mustapha à Alger avec un slogan emprunté au même registre de la confrontation à l'adresse du Premier ministre : «Maranech khaifine» (nous n'avons pas peur). Le décor est planté. Hier, les médecins résidents ont appelé à nouveau à un autre rassemblement sur le même lieu dominé par le déploiement de l'emblème national pour répondre à leurs détracteurs qui doutent de leur patriotisme et de leur nationalisme. Au moment où une petite lueur d'espoir de parvenir à un dénouement de ces conflits commençait à se dessiner après d'incessants et de laborieux efforts de dialogue matérialisés notamment par la reprise de certains enseignants de leurs postes de travail et de nouvelles propositions dans le dossier des médecins grévistes faites au Syndicat national des praticiens de santé publique, la sortie médiatique d'Ouyahia risque de tout compromettre et de saborder les initiatives entreprises pour trouver une issue à ces conflits. La stratégie de la lassitude et du pourrissement sur laquelle semble miser le pouvoir pour neutraliser ces mouvements, en dressant les parents d'élèves contre les enseignants et les syndicats autonomes de l'éducation, en divisant le corps enseignant et en opposant les médecins à la population, ne peut être que vouée à l'échec. Plus grave, cette fatwa en règle pour le lynchage des enseignants et des médecins porte en elle les germes de graves dérapages et de lourdes menaces pour la cohésion sociale. Il reste à savoir comment décrypter tous ces télescopages de déclarations et de contre-déclarations, de positions contradictoires qui font désordre pour la cohésion gouvernementale et institutionnelle du pays.