La vérité complète n'est pas encore totalement dite sur la répression qui a visé des milliers de manifestants algériens en octobre 1961. Cinquante- sept ans après ces massacres qui ont fait, selon certains historiens, entre 200 et 400 morts, de nouveaux éléments liés à cette répression commencent à sortir des sombres archives françaises. Le livre témoignage de Marie-Odile Terrenoire, intitulé Voyage intime au milieu de mémoires à vif (les éditions Recherches) apporte de nouveaux éclaircissements à la fois sur le rôle joué par Michel Debré qui était à l'époque des faits Premier ministre, mais aussi sur l'état d'esprit et la position du président Charles de Gaulle vis-à-vis de ces massacres. Si ce livre possède donc un intérêt particulier, c'est parce qu'il est écrit par la fille de Louis Terrenoire qui était à l'époque des événements ministre de l'Information jusqu'au 24 août 1961, puis ministre délégué des relations avec le Parlement auprès du Premier ministre, Michel Debré, jusqu'au mois d'avril 1962. Marie-Odile Terrenoire avait 14 ans lorsque son père était devenu ministre de Charles de Gaulle. Après des années de tournoiements et de questionnements, elle a décidé d'exhumer les archives de son père pour, d'une part, apporter des éléments nouveaux concernant cette affaire et, d'autre part, soulager sa conscience. «Ce livre est né d'une douleur ancienne. J'avais 14 ans lorsque mon père était devenu ministre. En 2011, lorsque j'ai pris conscience de l'importance d'octobre 1961 dans la mémoire collective algéro-française et les crimes imputés à de Gaulle, j'ai alors pris la décision de l'écrire», a-t-elle expliqué lors d'un débat organisé par l'historien Gilles Manceron au café des Colonies à Paris. Elle ajoute : «J'ai compris en lisant des archives de mon père qu'il y avait à ce moment-là (octobre 1961) des discussions au sein du gouvernement français et que le pays (La France ndlr) était au bord d'une guerre civile.» Deux Algériens morts selon la police, entre 200 à 400, selon les historiens Invitant à regarder la «répression sanglante» d'octobre 1961 sous l'angle d'un pays (la France ndlr) déchiré et qui craignait une autre guerre, les archives exhumées de Mme Marie-Odile Terrenoire montrent que le général de Gaulle ne maîtrisait pas la situation à cette époque-là, même s'il croyait profondément que «le FLN de l'époque était celui qui représentait les Algériens de France et d'ailleurs». Les notes de la fille du ministre français Louis Terrenoire montrent aussi que de Gaulle voyait l'OAS (Organisation de l'armée secrète) comme l'ennemi à abattre. Par ailleurs, il est relevé dans la note du 12 octobre 1961 exhumée des archives, c'est-à-dire cinq jours avant la grande répression parisienne, que la décision d'imposer le couvre-feu uniquement aux Algériens ne visait qu'à protéger ces derniers du paiement de l'impôt prélevé par la résistance algérienne, ce qui était évidemment faux puisque les Algériens de France étaient acquis au FLN et devaient sortir manifester à l'appel de ce dernier. D'autres notes montrent également que les services de Michel Debré avaient donné carte blanche à Maurice Papon, alors préfet de Paris, pour réprimer durement les manifestants et en arrêter un maximum. Côté chiffres, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Roger Frey, annoncera la participation de 30 000 manifestants algériens dans plusieurs quartiers de Paris, l'arrestation de plus de 11 500 en un jour, le renvoi de 1500 Algériens vers les prisons françaises d'Algérie et la mort de 18 policiers. Côté manifestants, les services du ministère de l'Intérieur ne dénombreront pas plus de deux morts. Ici encore, on peut voir que le nombre des Algériens tués lors des massacres de 1961 a été minoré au maximum, alors que des historiens sérieux parlent aujourd'hui de 200 à 400 personnes. «Michel Debré était partisan de l'Algérie française» Une autre note a consigné l'exposé fait par Roger Frey, ministre de l'Intérieur lors du Conseil des ministres qui a eu lieu le 26 octobre 1961, c'est-à-dire dix jours après les massacres. Il disait : «L'état d'esprit des policiers est de venger leurs collègues tombés sous les balles du FLN dont le nombre était de six.» Quant à de Gaulle, il était convaincu qu'une partie de la police française était sous l'influence de l'OAS qui était à son tour très proche du Premier ministre, Michel Debré, connu pour être un partisan incorrigible de l'Algérie française. Et lorsqu'on posa la question pourquoi de Gaulle ne s'est pas séparé de Michel Debré, la réponse vient comme un couperet : il avait besoin de lui pour l'utiliser vis-à-vis de l'armée dont une grande partie refusait l'indépendance de l'Algérie. Le livre de Marie-Odile Terrenoire apporte certes de nouveaux éléments concernant octobre 1961, mais il est loin de révéler toute la vérité sur ces massacres qui ont disparu de la mémoire collective pendant trente années. Il y a eu des écrits sur cet épisode, mais ils ont été censurés et ce n'est que maintenant que les langues et les stylos commencent à se délier. Pour François Gèze, directeur des éditions La Découverte, il est clair qu' «en octobre 1961, la police française avait un permis de tuer l'Algérien, le ‘‘bougnoule'' dans une ambiance de racisme déchaîné». Il ajoute : «La question est de savoir si de Gaulle avait couvert Octobre 1961 ou non, et si l'appareil d'Etat français était au courant de ce qui se passait.» Le livre de Marie-Odile Terrenoire montre clairement que non seulement le gouvernement de Michel Debré était au courant de ce qui se tramait en octobre 1961, mais a soutenu la répression sauvage qui s'est abattue sur les Algériens dont le seul tort était de sortir dans la rue pour soutenir la Révolution algérienne. Pour tourner la page sombre du passé entre l'Algérie et la France, plutôt que d'ouvrir les archives au compte-gouttes, Emmanuel Macron s'illustrerait en rendant toutes les archives de cette guerre consultables. Toutes, sans exception.