Pourquoi une telle violence en Octobre 1961 contre des Algériens sans armes, manifestant pacifiquement pour leurs droits. Et si tout commençait par une manipulation politique au plus haut sommet de l'Etat, sur fond de désaccord du chef du gouvernement, Michel Debré, avec le président de Gaulle. A une période où les négociations battaient leur plein avec le FLN, et que les derniers écueils commençaient à se réduire entre les deux parties, il s'agissait de contrarier l'avènement de l'Algérie indépendante. Dans un texte publié sur le site internet Médiapart, l'historien Gilles Manceron revient avec beaucoup de détails sur l'énigme de la responsabilité du Premier ministre, Michel Debré, dans la répression des manifestants algériens le 17 Octobre 1961. Pour marquer cette responsabilité, il cite les notes de Louis Terrenoire, l'un des ministres qui soutenaient totalement la politique du général de Gaulle pour la reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie, publiées dans un ouvrage émouvant de sa fille, Marie-Odile Terrenoire, Voyage intime au milieu de mémoires à vif (Editions Recherches 2017), «Louis Terrenoire, en tant que ministre de l'Information depuis le 5 février 1960, prenait régulièrement des notes au Conseil des ministres et, de surcroît, comme il avait pris l'habitude de le faire depuis 1947, tenait un journal où il laissait libre cours à ses réflexions personnelles». Fidèle du général, le ministre, «comme Michelet, partageait pleinement le choix du général de Gaulle, annoncé en septembre 1959, un an après son élection comme président de la République, de mettre fin à la guerre d'Algérie par l' autodétermination». Louis Terrenoire savait que ce choix était ancien. Dans ses mémoires, il écrivait : «C'est le 18 mai 1955 que le général me parla, pour la première fois, de l'avenir de l'Algérie. ‘Nous sommes en présence, me dit-il, d'un mouvement général dans le monde, d'une vague qui emportera les peuples vers l'émancipation. Il y a des imbéciles qui ne veulent pas le comprendre, ce n'est pas la peine de leur en parler'». Gilles Manceron rappelle que Debré, «qui avait soutenu l'arrivée au pouvoir du Général en 1958, en pensant qu'il défendrait jusqu'au bout l'Algérie française, n'était pas favorable à sa politique algérienne, approuvée pourtant par la grande majorité des opinions française et algérienne. Après de premières divergences dès la fin de l'année 1959, ce fut un net désaccord à la fin de 1960, aggravé par la décision du Général d'accepter, en août 1961, la souveraineté algérienne sur le Sahara. Debré lui a présenté le 18 août sa démission, qu'il a refusée. Il lui avait retiré la responsabilité du dossier algérien en créant, en février 1960, un Comité des affaires algériennes qu'il présidait lui-même, puis en attribuant ce dossier en novembre à Louis Joxe, ministre d'Etat aux Affaires algériennes, sous son autorité directe. Mais, lors de la création du Comité des affaires algériennes, Michel Debré lui avait demandé de préciser que le maintien de l'ordre en France resterait sous sa responsabilité. En 1960 et 1961, il a organisé plusieurs conseils restreints de sécurité à Matignon qui ont mis en œuvre sous son autorité divers dispositifs dans la région parisienne en s'appuyant sur le préfet de police, Maurice Papon». Ensuite le général de Gaulle a cédé, le 6 mai 1961, à sa demande de remplacer le ministre de l'Intérieur, Pierre Chatenet, ancien conseiller de Pierre Mendès-France, qui désapprouvait les méthodes du préfet de police dont on verra la violence de la répression en octobre 1961: «Je sens l'insuffisance de Chatenet en ce qui concerne la police», écrivait Debré en décembre au général de Gaulle. Il avait obtenu son remplacement — au prétexte de sa mauvaise santé… —, par Roger Frey, ancien responsable du RPF, proche de Jacques Soustelle, qui partageait son hostilité à l'indépendance algérienne. Et, le 23 août 1961, il obtient le départ du ministre de la Justice, Edmond Michelet, qui était «fondamentalement hostile, comme proche de Témoignage chrétien et ancien résistant déporté, à l'usage de la torture et refusait la répression injuste des Algériens favorables à l'indépendance. Soutenu par sa directrice de l'administration pénitentiaire, Simone Veil, il avait accepté que les détenus du FLN sortent du statut de ‘droit commun' et obtenu qu'aucune exécution capitale n'ait plus lieu. Et il avait pris des mesures améliorant leurs conditions de détention, avec l'accord du Général, mais en cachette de Matignon qu'elles scandalisaient… Une fois ce départ obtenu, la répression extrajudiciaire et les violences orchestrées par Maurice Papon ont pu, dès le début de septembre 1961, se donner libre cours, avec une censure croissante de l'information et l'assurance que les plaintes déposées par des Algériens seraient enterrées». La terrible répression contre des civils de septembre et octobre 1961 résulterait donc bien d'une tentative de peser indirectement sur l'issue de la guerre en empêchant la voie voulue par le chef de l'Etat français.
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