A l'instar des autres pays, l'Algérie vient de célébrer la Journée mondiale des droits de l'homme. Des voix se sont élevées pour poser la problématique de leur introduction dans l'enseignement scolaire. La question mérite d'être posée. Il ne viendra à l'esprit de personne de remettre en cause le bien-fondé de cette introduction. Le futur citoyen se forme et se prépare sur les bancs de l'école. A des degrés divers, tous les citoyens exercent un rôle dans l'espace social etinstitutionnel de leur pays. Y compris les irresponsables et les inconscients. N'est-ce pas que la mission de l'école – outre l'instruction – est d'éviter que ne déferle sur notre société cette source de perversion des valeurs que sont l'inconscience et l'irresponsabilité ? Certes, l'école universelle n'a pas le monopole de l'éducation du futur citoyen. Toutefois, elle s'est investie de cette mission par les objectifs qu'elle se fixe et les programmes scolaires qu'elle élabore. A son tour, l'école algérienne tente vaille que vaille de s'acquitter de ce devoir. Des contenus de programmes sont ficelés, des manuels confectionnés et des matières rehaussées au statut de disciplines à part entière. Elles sont même intégrées dans le dispositif d'évaluation. Dressage et endoctrinement Pour certains, il s'agit de formater un produit fini à l'aune d'une idéologie souvent sectaire. A ce stade, l'éducation se confond avec le dressage, porte d'accès à l'endoctrinement. L'élève devient sujet passif et son cerveau un entonnoir où le maître déverse des connaissances bien souvent hors de sa portée – trop abstraites. Un tel objectif de départ nécessite une approche méthodologique spécifique : user de salive, parler, donner des leçons magistrales moralisatrices (il faut, il ne faut pas, tu dois, tu ne dois pas). Le souci de l'assimilation/compréhension par l'élève ne figure pas au registre des préoccupations de l'enseignant. Il n'a pas le temps. Il n'a pas été instruit pour connaître la portée réelle de son message. L'essentiel est que l'élève le reproduise tel quel dans son devoir ou sa composition. Cette méthode de transmission rebute les élèves, particulièrement au primaire et au collège. Ils font appel au bachotage et au parcœurisme. Il y a de quoi, quand on voit le sort réservé par les élèves – tous cycles confondus – à des matières aussi importantes que l'histoire ou l'éducation civique et morale. En sacralisant la note/sanction et en établissant une hiérarchie entre les matières enseignées, le système alimente une logique d'exclusion. Les matières dites secondaires, voire facultatives – telles que celles citées – sont les premières à en payer les frais. Cette conception de l'éducation scolaire n'encourage pas l'élève. Un simple calcul d'épicier et le voilà répugné à mémoriser les pages entières qui lui sont imposées pour décrocher la toison d'or. A quoi bon, puisque ma moyenne de passage n'en dépend pas ? Ce leitmotiv est repris à l'unisson dans tous les pays où l'évaluation quantitative imprime sa cadence. Transmis aux élèves de façon magistrale via la méthode expositive, le message du maître n'a aucune chance de motiver. C'est de la sorte que passent à côté de la plaque des thèmes sensibles tels que ceux sur les droits de l'homme, l'environnement, la toxicomanie etc. Cette vieille manie d'user systématiquement de la salive et du livre ne porte plus ses fruits. Elle était en vigueur dans l'école traditionnelle à une époque où les dires du maître et les pages du manuel étaient sacralisés. Dans un tel contexte pédagogique, un thème aussi sensible que celui des droits de l'homme ne peut accrocher son auditoire. Leur vecteur principal, l'éducation morale et civique, semble marquer le pas à l'instar de l'histoire. Les élèves ne les aiment pas. Ils n'en raffolent pas. Est-ce à dire qu'il nous faut les supprimer ou les dévaloriser ? Bien sûr que non ! L'urgence réside d'abord en une redéfinition de l'objectif majeur visé à travers ces disciplines scolaires. Et ensuite se posera l'incontournable question du comment faire ? Conscientiser par le concret La leçon de morale ou de civisme ne s'enseigne pas. Elle se vit, se pratique dans des situations d'apprentissage réelles ou simulées. Et le livre ne sert pas à grand-chose – d'appoint seulement. Seul compte l'exemple donné au quotidien par l'enseignant, sa personnalité, sa tenue. On ne parle pas de justice, d'égalité, de tolérance, de respect, de solidarité. Toutes ces valeurs, qui fondent la culture pour la paix, ont besoin d'être matérialisées, débattues et vécues par l'élève. Et c'est l'objectif assigné aux méthodes actives, situées aux antipodes des cours magistraux. Elles permettent d'outiller le futur adulte tant sur le plan intellectuel que sur le plan affectif – un versant de la personnalité complètement occulté jusque-là. Il existe des espaces où ces valeurs peuvent être matérialisées. La classe et l'école seront transformées en miniparlement ou minirépublique. Le maître apprendra à ses élèves à voter, à choisir et à définir des critères d'éligibilité. Une pratique régulière tout au long de la scolarité. On l'utilisera pour élire le chef de classe, les adjoints, ainsi que les comités chargés de l'embellissement, de l'hygiène, des fêtes, de la discipline. Dès le primaire, les élèves seront initiés aux vertus du débat, de l'échange d'idées et de leur respect. L'occasion leur sera offerte lors de l'élaboration des règlements intérieurs de la classe, de l'école des jeux scolaires, de la bibliothèque, voire du foyer, de la cantine et de la coopérative. Ce sont là les espaces qu'il faut créer pour que se meuvent au quotidien ces valeurs de tolérance et de solidarité. Le civisme du citoyen est à ce prix : lui assurer de solides fondations dès le début de sa scolarité.