La chanteuse algérienne Samira Brahmia est actuellement en course dans le célèbre programme musical The Voice que diffuse la chaîne saoudienne MBC. L'audience de ce programme est énorme avec presque 200 millions de téléspectateurs par semaine. Samira Brahmia sera la marraine, à partir de ce vendredi 2 mars, du Raid des Reines d'Algérie, qui traversera le pays du Nord au Sud. La chanteuse travaille également sur un album qui sortira en mai prochain. Vous travaillez enfin sur un album ! Parlez-nous de ce projet musical ? C'est un album dur à faire. Très compliqué même. Je voulais y mettre un peu de mon âme, de mon amour et de mon histoire. Je rends hommage dans la chanson Meryma à Miriam Makeba parce que je veux absolument que la jeune fille africaine s'identifie à une artiste tel que la chanteuse sud-africaine (Mama Africa). Des artistes qui avaient leur personnalité et défendu leurs origines, leurs droits d'être et d'être différents. C'est un album où je rends également hommage à la mère. Ecrite par Madjid Cherfi, cette chanson évoque une mère vivant en France, qui vient d'une autre culture, et qui fait face à des difficultés. J'évoque aussi dans cet album l'amour de mon fils. J'ai repris une chanson qui s'appelle Koubou (revisitée aussi par Cheb Khaled) qui rend aussi hommage à la femme algérienne. Une femme sentimentale qui a, en même temps, la fougue, la force et l'amour. Une femme qui a de la dignité avec une personnalité très forte. Femme folle et plurielle. J'adore dire en France que mon père m'a forcée à faire de la musique, alors qu'habituellement on soutient le contraire. Je veux défendre cela. La nouvelle génération a besoin de modèles. Nous devons leur raconter des histoires positives de femmes qui ont réussi. Ma sœur est par exemple commandant de bord d'un avion. Vous vous racontez en quelque sorte dans cet album... Voilà. Je dis qui je suis et comment je suis. L'équipe qui est avec moi a proposé que l'album porte le titre de Samira Brahmia, manière de marquer un retour et d'exprimer ce que je suis en ce moment et quelle femme suis-je devenue. Que peut-on trouver et écouter dans votre prochain album comme influences, d'autant plus que vous symbolisez l'ouverture musicale ? Il y a des sonorités africaines, algériennes, maghrébines et occidentales. Il y a beaucoup d'influence africaine. Je pense et je revendique mon africanité. Il faut qu'à un moment, la culture, et pas que, se retourne vers l'Afrique. J'interprète une chanson en français, écrite par un grand monsieur qui est Akli Tajer, qui évoque l'exil. Quel est le titre ? Pays de poussières. C'est une pensée pour les réfugiés syriens. Aujourd'hui, la migration n'est plus un départ économique, mais un départ de survie. Il faut qu'on arrête de dire, «attention, il va prendre mon bout de pain». Ce n'est pas du tout le cas. Nous passons toutes une sorte de test sur cette question. Si nous le ratons, c'est que nous avons raté notre humanité. Pour l'album, je serai accompagnée par Karim Ziad à la batterie, Allaoua à la guitare, Hicham Takaout à la basse, Mehdi Ziouche au clavier (il travaille aussi avec Idir), Alain au saxophone et Lamine Madani au son. Donc, j'ai une très belle équipe et je m'amuse bien. J'aime bien jouer de la guitare, mais j'aime aussi sauter sur scène et être libre. Je suis une artiste de scène. Je n'aime pas faire d'album. C'est pour cela que j'ai mis beaucoup de temps à en faire un. J'ai toujours un lien fort avec le public quand je suis sur scène, ça me porte et ça me nourrit. Dans l'album, vous avez repris une chanson du patrimoine, très connue au Maghreb, Manich Mena (Je ne suis pas d'ici). Pourquoi ? Une chanson est également un engagement, pour dire par exemple : «Je sais que je ne suis pas d'ici». C'est également une manière de saluer les femmes qui avaient suivi leur époux dans l'exil, alors qu'elles ne l'avaient pas choisi. Il faut savoir que les premiers migrants algériens en France vivaient dans des conditions très difficiles. Les femmes avaient subi beaucoup de choses, de la violence, du stress, etc. Imaginez une femme qui n'a pas fait d'études et qui va se retrouver en France dans une culture différente de la sienne, qui ne parle pas le français, qui a des enfants devant aller à l'école et qu'elle doit suivre. Ce n'est pas un cliché, mais les anciens couples avaient du mal à se parler, les femmes affrontaient les contraintes toutes seules. Je veux saluer ces femmes-là qui ont éduqué des hommes devenus ministres et des cadres. Des hommes qui ont contribué à la construction de la France, notamment. Manich Mena a une histoire (l'air a été repris par le maître de la chanson marocaine Abdelwahab Doukali dans Mersoul el hob) Oui, mon amie Naïma Yahi m'a dit que cette chanson a été faite pour les premiers migrants algériens dans les années 1920 et 1930 à qui on rappelait qu'il n'étaient pas chez eux. C'est aussi un engagement politique de dire et d'exprimer l'identité algérienne. Une identité qui a toujours existé. Dans mes derniers concerts, je termine toujours avec cette chanson pour dire aux gens : «Je sais que je ne suis pas d'ici, mais j'ai une place dans la société civile française.» A chaque élection, on nous rappelle que nous ne sommes pas de ce pays (France), cela devient de plus en plus violent. La musique me permet de dire les choses d'une manière plus subtile. Mon rôle est de chanter aussi les angoisses des gens. Le public vous respecte si vous lui racontez la vérité, si vous êtes vous-même. Il ne faut pas dresser un mur sur scène. Pour moi, la musique, c'est une thérapie. Vous participez actuellement dans l'émission The Voice sur MBC. Un programme grand public avec la participation de plusieurs concurrents des pays arabes. Parlez-nous de cette participation, surtout que vous êtes une chanteuse connue, pas une débutante ? Au début, quand ils m'ont appelée, j'ai hésité. Je me suis dit que je n'allais pas faire la tournée de toutes les émissions The Voice (après le passage dans The Voice France). Après réflexion, je me suis dit, les médias utilisent les artistes et bien moi je vais utiliser les médias. Je vais aller à The Voice pour leur dire, je sais chanter. J'ai tout de même quinze ans de carrière professionnelle. En France, on manque de plus en plus de visibilité et faire de musique arabophone est devenu délicat, compte tenu des événements. Le Moyen-Orient est tout de même un marché très intéressant. C'est un territoire qui ne connaît pas Samira Brahmia. Mon producteur, Meziane Azaïche (directeur du Cabaret Sauvage à Paris), m'a dit que je ne faisais jamais les choses comme les autres. Dans The Voice, vous avez choisi une célèbre chanson de Slimane Azem mixé avec un tube de Sting (Fragile). Pourquoi ? C'est une manière que mon origine est plurielle, arabe et amazighe. J'adore dire que je suis Africaine du Nord. L'équipe de The Voice a respecté mon choix, mon identité, ma différence et ma personnalité. En reprenant Slimane Azem, je voulais signifier que j'étais là, mais que j'étais différente et fière de l'être. L'Algérie est plurielle et riche dans son répertoire et dans son terroir. Je voulais défendre cela. J'aime les artistes femmes du Moyen-Orient qui, comme Elyssa (chanteuse libanaise, membre du jury de The Voice), assument leur féminité et disent ce qu'elles sont et montrent ce qu'elles font. Aux artistes présents dans l'émission, j'ai fait découvrir des chanteurs et de groupes algériens comme Youcef Boukella, l'ONB… Ils ne connaissent pas vraiment nos artistes mis à part Khaled, Iddir et Souad Massi. Mais surprise : ils connaissent tous la chanson Zina du groupe Babylone. Je souhaite que Babylone trouve des sponsors pour faire une tournée mondiale. Ils font un excellent travail. Comment trouvez-vous la scène musicale algérienne ? La scène musicale algérienne est très intéressante actuellement. Elle est très créative, utilise tous les supports médiatiques (Youtube, Facebook, Instagram, etc). Je souhaite qu'il y ait des échanges entre les groupes d'aujourd'hui et ceux qui ont émergé dans les années 1990 et qui ont fait la promotion de l'Algérie, comme Gnawa Diffusion, l'ONB, Cheikh Sidi Bemol, Rachid Taha, Zebda… Des rencontres entre tous ces artistes doivent être intéressantes, à mon avis. Pourquoi ne pas organiser des tournées mixtes avec des artistes de plusieurs générations. Vous serez bientôt en Rally. Parlez-nous de ce projet ? C'est vrai (grand éclat de rires). Je suis très heureuse d'être la marraine du Raid des Reines d'Algérie et de faire découvrir l'Algérie à des femmes qui ne connaissent pas notre pays. J'ai invité une amie marocaine et des amies qui viennent de France. Je suis fière de participer à ce projet. J'espère pouvoir le couvrir culturellement parlant. Il s'agit d'un Raid féminin qui va se dérouler du 2 au 11 mars. Nous allons traverser l'Algérie, d'Alger à Tamanrasset, en passant par Djelfa, Laghouat, Ghardaïa, Ménéa, In Salah et Tamanrasset. Vous n'allez pas vous séparer de votre guitare... Ah, non ! Elle sera dans le coffre.