Veste karakou sur un jean et escarpins, une robe kabyle courte et style latino, djebba fergani dos nu ou encore un bedroun en pantalon taille haute… Le patrimoine vestimentaire algérien fait, ces dernières années, son grand retour sur les podiums. S'il y a quelques année, le karakou, la melhfa, la blousa oranaise et les autres tenues traditionnelles de notre patrimoine se faisaient rares dans nos gardes-robes, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Vieilles, femmes, jeunes femmes et même adolescentes se remettent à porter nos habits avec ou sans fête et occasion. Constat confirmé par les stylistes et modélistes, qui ont fait de la confection de tenues traditionnelles une spécialité. Selon la créatrice et la styliste la plus demandée par les mariées à Alger, Nabila Chibah, les Algériennes marquent un grand retour vers le bedroun, les corsets et autre seroual medaouer… Les femmes ne portent plus autant de robes de soirée qu'avant, elles préfèrent le traditionnel, souvent avec une touche moderne. Expliquant : ce retour à la tenue traditionnelle est fortement lié à la médiatisation et les réseaux sociaux. «Aujourd'hui, beaucoup d'actrices ou d'artistes femmes postent leurs photos en tenues traditionnelles qu'elles portent dans les différentes occasions et quand elles sont invitées sur des plateaux télé, ce qui crée une sorte de concurrence et chacune veut faire comme l'autre et porter à son tour un habit traditionnel. A partir de là, ces dernières influencent les fans et les personnes qui les suivent… même les adolescentes et jeunes filles se mettent à porter le traditionnel.» Par ailleur, grâce à cette concurrence et ce retour, une campagne de sensibilisation et de sauvegarde est lancée sur les réseaux sociaux pour préserver le patrimoine algérien. «Journalistes, actrices, chanteuses, créateurs ou influenceuses… sont tous en train de mener une sorte de guerre pour préserver le patrimoine et l'habit traditionnel algérien. Notre but est de faire porter notre tenue, la promouvoir et la mondialiser», ajoute la styliste. Et pas que dans les coulisses, nombreux sont les créateurs qui nous offrent des habits traditionnels avec une touche de haute couture contemporaine. Samir Kerzabi, Karim Akrouf, Rym Menouba, Nabila Chibah… et beaucoup d'autres sont des créateurs et stylistes qui font tout pour réécrire une nouvelle histoire du patrimoine vestimentaire algérien. Traditionnel Et si ces derniers ont fait le choix du traditionnel, ce n'est pas parce qu'ils ne maîtrisent pas les autres styles. Pour la styliste Nabila Chibah, avant de défendre n'importe quelle cause ou se spécialiser dans un style quelconque, un styliste ou un modéliste doit impérativement toucher à toutes les spécialités. Dans son cas à elle, Nabila parle de créativité et de flexibilité. «Hormis le fait que, de nos jours, c'est la tenue traditionnelle qui marche le plus. Ajoutons à cela son côté de créativité et de flexibilité nous permet de créer et d'oser de nouvelles choses. Changer les couleurs, la découpe, le textile… Le vêtement traditionnel nous donne plus de possibilité de créer et de mettre sa touche, explique la spécialiste. Ce qui n'est pas possible par exemple dans la création des robes de soirée. Quand on crée une robe de soirée pour une société musulmane, on doit toujours garder un minimum de pudeur. Dans notre société, on ne porte pas tout ce qui est dénudé ou dégagé. Je ne peux pas créer des vêtement que même nos mannequins ne peuvent pas mettre sur le podium. Et puis, ce ne sont pas dans nos coutumes, je préfère travailler avec nos traditions.» Et si les robes et ensembles de nos grands-mères sont de retour dans nos dressings, cela ne veut pas dire qu'ils sont portés de la même manière. Car aujourd'hui, si la base ancienne et l'aspect patrimoine sont présents, la touche moderne ne manque pas. La veste karakou est beaucoup portée avec des jeans et des escarpins dans les différentes occasions, le peignoir sétifien se fait avec un décolleté plus dégagé ou encore la djebba fergani et la robe constantinoise sont souvent transformées en robe bustier ou en dos nu. «Cette nouvelle génération de stylistes a donné un coup de jeune au traditionnel. Nos tenues ne sont plus comme elles étaient autrefois. Le perlage, les couleurs et les techniques… on a modifié et ajouté beaucoup aux anciens habits pour rimer avec la modernisation de notre société. On ne voyait le karakou par exemple qu'en noir, bordeaux ou vert bouteille, aujourd'hui il est demandé et porté dans toutes les couleurs et avec différentes coupes tendances», affirme Nabila Chibah. Par ailleurs, parmi ces créateurs, qui représentent la nouvelle image de la tenue traditionnelle, Eddine Belmahdi a su se faire une place. Le jeune designer, qui fera bientôt ses 10 ans de carrière, a fait ses premiers pas aux côtés d'une créatrice marocaine de caftans, lorsqu'il l'a aidée à s'ouvrir aux autres tenues du Maghreb, telles que les nombreuse robes algériennes. Aussitôt, le jeune homme crée sa marque «Eddine Belmahdi». «C'est une marque qui reprend l'héritage algérien, dans un style dé-traditionnalisé, si je peux dire, de nouvelles matières, un style épuré, des coupes androgynes et surtout un jeu de couleurs plus actuelles et plus modernes.» Passionné de mode depuis son jeune âge, Eddine Belmahdi veut donner un souffle couture à nos tenues, inspiré par YSL ou Galliano, ou encore Azzedine Alaia. «Mon but est de faire porter notre héritage au monde entier», avoue le styliste. Karakou Dans son travail, Eddine Belmahdi reprend un style déjà connu et l'adapte au goût du jour. Il ne reproduit pas à l'identique les tenues de nos grands-mères avec leurs codes, leur lourdeur et leur style. Mais il s'en inspire afin de créer des choses nouvelles. «Je repense à la blousa oranaise faite pour Nesrine Tafesh (actrice algéro-palestinienne) qui n'était pas assez “tradi'' pour certains. Pourtant, la robe était inspirée d'une blousa portée par la grande chanteuse Saloua, sauf que ce style est plus authentique que les blousas que l'on voit partout depuis les années 1990 jusqu'à aujourd'hui.» Pour ce dernier, adapter une tenue ancienne au goût et aux couleurs du jour peut aussi être dans le style pin-up, bohême, etc. «En ce moment, on voit beaucoup d'inspirations maghrébines et de plus en plus de karakous algérois revisités par de grandes maisons, qui ne citent pas toujours l'Algérie. Elles doivent avoir leurs lots de clientes algériennes aisées. La tendance ethnique chic ou l'opulence orientale est à son apogée», ajoute-t-il. Dans sa collection automne/hiver, présentée en juillet de l'année dernière, lors de la fashion week de Paris, le designer libanais international, Elie Saab, a parfaitement repris le style de la veste karakou algéroise. Une veste noire brodée au fil d'or et ornée de boutonnières maghrébines, ou ce qu'on appelle «zwitnet». Un événement qui prouve que le vêtement traditionnel algérien n'est plus aussi inconnu à l'étranger. Selon les spécialistes, on peut dire que notre tenue a une promotion et est mise en avant. Et si les pays étrangers ne connaissaient rien de l'habit traditionnel algérien, aujourd'hui, on a des stylistes comme Karim Akrouf ou encore Samir Kerzabi qui font des défilés à l'étranger. A Dubaï, en Egypte, en France… on a désormais une idée du karakou et des autres tenues algériennes et on en parle. Et ce, d'une part, grâce aux réseaux sociaux qui jouent un rôle «éminent» et d'autre part, grâce à la participation des jeunes designers algériens dans des concours et émissions au niveau international. Et la présentation de nouvelles créations dans le traditionnel n'est pas en reste de ces promotions, car généralement, ces concours sont organisés et initiés par de grands créateurs et stylistes. «C'est vrai que jusqu'à présent, l'Algérie n'a jamais remporté un des concours, mais il faut dire qu'on est nouveau dans le domaine de la haute couture. Aussi, il ne faut pas oublier qu'on est un peu limité du côté de la création qui ne nous laisse pas trop oser. Comparativement à certains pays du Moyen-Orient, comme le Liban où on a beaucoup de chrétiens qui osent et sont à l'aise dans la création», souligne Nabila Chibah. Ajoutant que ces jeunes créateurs et toutes ces participations et cette promotion garantissent l'avenir de l'habit traditionnel algérien. Plus encore, pour moi, notre habit vient de naître, car c'est maintenant qu'il se fait découvrir et qu'il y va de l'avant. Chacun des créateurs a sa touche et son travail personnel. Identité Tous ensemble, on n'a qu'un seul projet, promouvoir et préserver la tenue traditionnelle algérienne. De l'avis d'Eddine Belmahdi, pour garantir un bel avenir au traditionnel algérien dans la sphère de la haute couture, il faut avant tout que chacun des designers et créateurs marque sa propre identité et sa touche personnelle afin d'arrêter de se reproduire. «Pour moi, nos cultures et nos traditions doivent évoluer avec notre temps, et si nous arrivons tous à imposer notre style, alors là et seulement là nous aurons su exaucer notre patrimoine. Il faut savoir qu'avant la sortie de chacune de mes créations, je me demande si elle valorise ou si elle porte préjudice à nos robes traditionnelles. Je trouve cela important, en tant que créateur je me sens comme “ambassadeur“ de notre culture.» Seulement, ce n'est pas aussi facile pour les créateurs algériens de se lancer dans le domaine de la haute couture dans un pays où aucune réglementation n'encadre cette profession. Le manque de moyens, de formations et de soutien étatique sont les premiers obstacles rencontrés. Les maisons et les créateurs sont livrés à eux-mêmes. La production et la promotion sont de leur totale responsabilité et aucun encouragement ne leur est offert. Un ministère absent et un sérieux problème de représentativité. «On est à 100 ans en arrière sur ce volet !» Les expositions se font très rares et quand on les fait, elles sont très mal organisées. Les défilés de mode sont oubliés, sauf ceux organisés par les particuliers. Pas la peine de parler de la fashion-week… «On ne nous connaît que le 8 mars, la journée de la femme, on nous appelle pour faire des défilés dans des salles de cinéma ou de spectacles. Comme si qu'on n'existe que durant cette journée là. Alors que tous les autres pays, même ceux du Moyen-Orient, sont très loin devant nous. Rien que les fashion-week, ils en font deux par an pour les collections automne/hiver et printemps/été», témoigne la créatrice Nabila Chibah. «Le peu de manifestations qui sont organisées par des particuliers et le privé, et souvent c'est uniquement pour l'argent, tombent sur des arnaqueurs et voleurs.» Effectivement, à l'intérieur du pays comme à l'étranger, quand les créateurs sont invités à participer à des défilés ou d'autres événements, ils sont obligés de payer tous les frais de la participation et du voyage, s'il y a nécessité. «Le ministère de la Culture doit revoir sa politique vis-à-vis de cette partie du patrimoine un peu négligée, malheureusement. Le ministère doit être présent et doit aider, surtout financièrement, les stylistes et créateurs dans l'organisation des défilés et événements à l'extérieur du pays. C'est de cette façon qu'il pourra aider à la promotion et la sauvegarde du patrimoine vestimentaire», déplore la styliste, qui a déjà été invitée à se déplacer en Egypte, au Liban ou encore en Inde, mais à cause des coûts de participation estimés entre 7500 dollars, 8000 dollars, Nabila n'a pas pu répondre à l'invitation. «On aurait aimé que, dans ce genre d'événement, la tutelle prenne en charge une partie des coûts par exemple, et nous aide d'une manière ou d'une autre pour pouvoir participer. Surtout envoyer les bonnes personnes et donner la chance à tout le monde. Car même quand il y a des manifestations culturelles à l'étranger, ce sont toujours les mêmes personnes qu'on propose, et qui souvent ne représentent pas vraiment la couture algérienne.» A cause de ces contraintes, plusieurs artistes, artisans et couturiers, très doués, restent dans l'ombre. Jeunes, si on ne les aide pas et les autorités ne leur donne pas un coup de pousse, ils risquent de rester toujours dans le noir et on aura raté beaucoup de choses.