La politique de lutte contre la corruption en Algérie est assimilée, par des observateurs, à un système qui lutte contre lui-même. Y a-t-il une réelle volonté de lutter contre la corruption en Algérie ? Le thème a été abordé par des experts au cours des « Débats d'El Watan » organisés jeudi dernier. La corruption crève les yeux », a commenté un citoyen présent aux “Débats d'El Watan” jeudi dernier. Il est en effet difficile de ne pas la voir. Partout, dans tous les domaines, la “tchipa” s'est généralisée. Mais il semble encore plus difficile de la combattre, non pas parce qu'elle soit devenue incontrôlable mais parce que la volonté politique et les moyens de contrôle ne sont pas suffisamment importants. Fatiha Tahalite, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris, a fait remarquer que “les grands déballages mènent souvent à la violence et à l'injustice”, appelant “surtout à éviter la délation”. Elle soulignera que “l'Algérie n'offre pas les conditions nécessaires pour dénoncer la corruption”. Il est vrai que toutes les tentatives de lutte anticorruption se sont révélées être des vœux pieux. Si les responsables algériens voulaient mettre fin à un tel phénomène, ils s'attaqueraient, d'après les experts de Transparency International, à la racine du mal. Toutes les dépenses de l'Etat devraient ainsi être étalées sur la place publique. “Tous les revenus de l'Etat doivent être transparents. Il ne faut pas qu'il y ait des caisses à côté pour les revenus du pétrole ou quoi que ce soit. Les citoyens doivent connaître le budget de l'Etat au plan national, régional et local. Il faut qu'ils sachent les sommes exactes consacrées à tel hôpital ou telle école…”, préconise Mme Huguette Labelle, présidente de Transparency International. Il est à rappeler, à ce propos, que les organisations internationales ont, à l'image de la Banque mondiale, critiqué à maintes reprises la gestion par l'Algérie du fonds de régulation des recettes. Ce fonds prend en compte la différence entre le prix du baril de pétrole fixé par la loi de finances (toujours à 19 dollars) et le prix réel du marché qui a dépassé les 60 dollars. Les bases d'une lutte anticorruption, a indiqué Mme Huguette Labelle, s'articulent autour des systèmes financiers et judiciaires. “Si nous avons une justice indépendante et des institutions financières performantes, nous avons déjà une base”, estime Mme Labelle. Y a-t-il une volonté politique de lutte contre la corruption ? Si le président Bouteflika a été le premier à dénoncer “les monopoles individualisés sur le marché qui agissent selon les textes de la loi de la République”, force est d'admettre que très peu de progrès ont été réalisés. Il n'y a pas de meilleure illustration de l'absence de volonté d'assainir et de moraliser la vie publique que le niet opposé par les députés du FLN et du MSP à l'article 7 du projet de loi de prévention et de lutte contre la corruption portant sur l'incrimination de la fausse déclaration du patrimoine. Des sources proches du ministère de la Justice ont affirmé, par la voie des médias, que 80% des responsables tenus de déclarer leurs biens ne respectent pas les textes de loi y afférents. Même lorsque les déclarations de patrimoine sont effectuées, elles ne peuvent être vérifiées en l'absence d'une véritable administration fiscale et de mécanismes de contrôle efficaces. L'autre obstacle à la lutte anticorruption en Algérie réside dans le fait que les institutions de lutte n'ont pas les budgets qu'il faut et leurs rapports sont rarement rendus publics. C'est le cas notamment de l'Inspection générale des finances (IGF). De l'avis même des cadres de cette institution, l'IGF joue actuellement un rôle de pompiers. Elle arrive pour constater les dégâts. Disposant de quelque 250 agents opérationnels, elle souffre, selon l'un de ses représentants, d'un manque cruel de moyens. “250 bergers ne peuvent contrôler un troupeau d'un million de moutons”, nous a affirmé un haut responsable de l'IGF. La tâche qui lui est assignée est, de l'avis de ses responsables, “immense”. Et c'est principalement ce qui la paralyse. Il n'existe pas, par ailleurs, comme en France, une commission pour la transparence financière de la vie politique dont la tâche est d'apprécier l'évolution de la situation patrimoniale d'élus et de dirigeants d'organismes publics afin de vérifier que les personnes assujetties n'ont pas bénéficié d'un enrichissement anormal du fait de leurs fonctions, en procédant notamment à la comparaison des déclarations de situation patrimoniale déposées en début et en fin de mandat. Pour Mme Labelle, la liberté d'expression et d'association est également nécessaire pour assurer la transparence. Le niveau de la corruption demeure élevé en Algérie. Transparency International a attribué à l'Algérie une note de 3,1 sur 10, en matière de perception de la corruption, dans ses résultats de l'édition 2006. En 2003 et 2004, l'Algérie avait obtenu 2,6 et 2,7. En deux ans, l'Algérie n'a donc évolué que de... 0,4. Selon le ministère de la Justice, les tribunaux ont jugé, en 2003, pas moins de 1095 affaires de corruption et 691 affaires liées au détournement de deniers publics. La dilapidation des deniers publics a concerné 232 affaires, contre 3732 pour la spéculation, 2114 pour la contrebande et 57.904 pour violation de la loi sur la concurrence. En somme, les affaires évoluent en dents de scie puisque, en 2004, 390 affaires liées à la corruption ont été jugées, 1464 pour le détournement de deniers publics, 448 pour la dilapidation de deniers publics, 22.287 pour la spéculation, 4096 pour contrebande et 65.514 pour violation de la loi sur la concurrence. Aux citoyens qui dénonçaient, au cours des “Débats d'El Watan”, les scandales des banques et autres Brown Roots and Condor (BRC), M. Jean Cartier-Bresson, économiste, professeur agrégé des universités (université de Versailles), répondra qu'il faut sortir du cercle de la dénonciation et réfléchir aux moyens crédibles et efficaces pour amenuiser ce phénomène. “Ce n'est pas une affaire de personnes mais de système”, dit-il. Il ajoute que la corruption a un coût économique et politique extrêmement important. Mais bien souvent, l'on confond les coûts provenant de la corruption avec ceux générés par mauvaise gestion et incompétence. Pour mettre un terme à ce fléau, il est nécessaire, d'après lui, de déterminer les institutions qui ne sont pas assez efficaces, celles qui cassent la machine du développement. Il est important de cerner l'origine du mal. Pour Mme Labelle, il suffit souvent d'idées simples pour gagner la bataille de la corruption. Elle en veut pour preuve l'exemple d'un hôpital tanzanien dans lequel il n'y avait pas de médecins et pas d'équipements. “Une fois que les responsables de l'hôpital ont affiché, au seuil de la porte, les budgets consacrés aux équipements et aux salaires des employés, il n'y eut plus aucun problème.” En somme, il ne peut y avoir une lutte anticorruption dans un système opaque.