Repose en paix Khaled ; Tu l'as bien mérité ce repos, dont la vie a été si avare ; Tu l'as porté à bras-le-corps ton Algérie rebelle en ces temps troublés ; Tes mains délicates ont cherché à recoudre les liens rompus par l'aveuglement ; Tu promenais partout ta conviction obstinée qu'un même fil pouvait relier ces mille perles dispersées dans une Algérie qui se déchire ; Au moment où de multiples camps happaient vos morceaux épars dans leurs prisons bien pensantes. Tu t'étais nommé ambassadeur d'une autre Algérie auprès des forums internationaux qui parfois flattaient les tensions et que tu dérangeais dans leurs apriorismes bien tranchés. Ton Algérie à toi n'était ni noire ni blanche mais belle et sereine. Sereine comme tu la voulais et comme tu l'étais. Tu l'enveloppais délicatement dans tes désirs de liberté ; Une liberté que tu refusais de négocier, quitte à heurter tes amis. Ta simplicité, ton sourire, ton calme... m'avaient frappés ; Ton personnage tranchait avec l'image que nous, Tunisiens, nous nous faisons de vous, Algériens. Je t'avais vu pour la dernière fois en 2004, nous faisions le vol de Amman ensemble vers notre Maghreb désuni, toi vers ton Algérie imprévisible et moi vers ma Tunisie qui couve sous les cendres. Tu m'avais parlé durant ce long voyage de ton Algérie, de ton travail, de toi et de cette maladie qui te rongeait. J'étais sous le choc, car tu n'en laissais rien apparaître. Tu montrais une force de titan à conduire autant de projets à la fois (ton journal, la coordination de multiples réseaux de liberté d'expression, etc.) et à en formuler d'autres pour construire notre Maghreb citoyen, redessinant des contours où les frontières s'effaçaient. Pourquoi faudrait-il que cette saloperie de maladie s'attaque à tous ceux qu'on aime ? Je découvrais qu'elle te donnait une liberté nouvelle par rapport à tout ; libéré de la peur, libéré de la mort que tu semblais avoir déjà apprivoisée, libéré de tout sentiment de culpabilité en accomplissant, dans le calme, ce que tu estimais être ton devoir. Est-il possible que la proximité de la mort donne autant de force ? Tu n'imagines pas la richesse dont tu m'as gratifié durant ce rare instant où tu t'es ouvert à moi. Pourquoi ne réalise-t-on l'importance que les gens ont dans votre vie que lorsqu'ils partent ? Pourquoi reste-t-on orphelins de gestes que l'on aurait aimé avoir et que l'on n'a pas fait ? Sache Khaled que tu as traversé ma vie comme une comète qui laisse ses traces sur votre être et vous fascine à jamais. Repose en paix, Khaled, tu l'as bien mérité. Khaled Mehrez : Journaliste algérien, premier coordinateur du centre algérien de solidarité avec les journalistes de la FIJ, fondateur et secrétaire général du Centre algérien pour la défense et la promotion de la liberté de la presse (CALP, membre du réseau IFEX).