Tokyo met fin à son pacifisme officiel imposé par les Etats-Unis à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après les députés, le Sénat nippon a entériné, hier, le projet de loi visant à doter le pays d'un ministère de la Défense, pour la première fois depuis 1945. Le vote a été très confortable, le principal parti d'opposition, le Parti démocrate du Japon (PDJ), s'étant rallié à la majorité de droite. L'adoption quasi unanime du texte par la diète (parlement) « est une bonne chose, car le Japon doit tenir son rang sur la scène internationale avec un véritable ministère », s'est félicité le secrétaire général du Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir, Hidenao Nakagawa, qui a rendu hommage à l'opposition pour avoir adhéré au projet. Le ministère de la Défense remplacera ainsi l'actuelle Agence de défense nationale, laquelle est reliée directement au chef du gouvernement et dirigée par un simple secrétaire d'Etat. Ainsi, le directeur de l'Agence de défense, Fumio Kyuma, 65 ans, a été promu par la même occasion premier ministre de la Défense de l'après-guerre. La décision est fondamentalement symbolique, mais elle traduit tout de même une certaine volonté de Tokyo de se « normaliser » sur la scène internationale. Normalisation qui a été défendue bec et ongles par le Premier ministre Shinzo Abe. Issu de la nouvelle génération qui n'a pas connu la Seconde Guerre mondiale, ce dernier a tout fait pour que cette initiative aboutisse. Après le vote favorable du Parlement, M. Abe a vite rassuré le monde entier, notamment ses voisins, surtout que le Japon n'a aucune visée expansionniste et qu'à travers cela, il faut prouver uniquement sa maturité politique. Tout en arguant le droit de son pays de se défendre à l'extérieur de son territoire, le Premier ministre dira encore qu'« il s'agit d'un pas important pour sortir du régime d'après-guerre et poursuivre les efforts pour construire notre nation ». « Je pense, ajoutera-t-il, qu'un Japon plus sûr de lui saura gagner la compréhension et la confiance du monde. » Le rétablissement d'un ministère de la Défense est accompagné d'un autre texte qui fait des opérations à l'étranger une des missions prioritaires des Forces d'autodéfense japonaises (FAD), dont un contingent se trouve depuis 2003 en Irak pour appuyer les marines. Outre l'institution d'un ministère de la Défense, après soixante ans passées à défendre ardemment le pacifisme dans le monde, le Japon compte se doter d'une nouvelle Constitution qui renforcera les prérogatives des militaires japonais. A l'heure actuelle, l'ancienne loi est toujours en vigueur : les soldats nippons n'ont pas le droit de tirer le moindre coup de feu sauf dans des cas « strictement définis de légitime défense ». Aussi, l'armée japonaise garde toujours son ancien statut de « forces d'autodéfense », mais pas pour longtemps, puisque la révision constitutionnelle est pour bientôt. La décision de Tokyo de rétablir son autorité de défense nationale obéit, selon toute vraisemblance, à une nouvelle stratégie dictée par les tensions régionales, notamment par rapport à la menace persistante de la Corée du Nord qui vient de se doter de l'arme nucléaire. Mais aussi un tel remodelage prouve l'intérêt crucial qu'accorde aujourd'hui le Japon à sa défense nationale. Cela constitue aussi, aux yeux de certains observateurs, une réponse à ses voisins, chinois et coréens, qui entrent dans une course infernale pour l'armement : les dépenses militaires de la Chine ont atteint l'année dernière 165 milliards de dollars, ce qui représente le tiers du budget américain de la Défense. Fort déjà d'être la deuxième puissance économique mondiale, le Japon compte désormais jouer les premiers rôles sur la scène internationale. Cela n'est pas sans susciter des vagues du côté de ses voisins, chinois et coréens, qui expriment d'ores et déjà leur crainte de revoir naître le Japon du début du siècle dernier. Ainsi, la tension dans la région ne fait que s'accentuer.