Les rituels bilans annuels du box-office cinématographique passent mais ne se ressemblent pas : ils creusent toujours l'écart des chiffres de production entre pays.Seuls au niveau de la programmation sur leur territoire, l'Inde, la Corée du Sud, la France et le Japon arrivent à endiguer la marée des films américains. Alors même que la France a enregistré une exceptionnelle cuvée, jamais vue depuis deux décennies (80 millions d'entrées pour des films hexagonaux en 2006), le score est aussi indicateur d'une autre donnée : ces films-là ont drainé 1,5 million d'entrées en moins que les concurrents hollywoodiens. Dans le courant de la montée en puissance de la diffusion des films américains, on observe aussi un renforcement des recettes de violence marquant les trames de scénario. Plus que jamais cette violence pollue la plupart des productions. Le New York Times en a récemment diagnostiqué les dimensions désastreuses prises en vil fonds de commerce aiguisant l'attraction. Au point que dans la plupart des titres pressentis à oscars, la violence y est récurrente. Le summum du genre est incrusté dans le nouveau film de Mel Gibson, Apocalypto, retraçant un pan d'histoire de l'Amérique précoloniale : « On y extrait à la chaîne les cœurs encore battants de prisonniers tout juste empalés, avant de faire dévaler leurs têtes du haut des pyramides mayas. » Le journal américain ne relance pas la sempiternelle polémique sur l'overdose de la violence et les écrans, et ses répercussions sur le regain, en effets de démonstration, de criminalité réelle dans la société : Hollywood en était fabriqué. Il en a été ainsi, par exemple, du fameux film Naissance d'une nation de Griffith (1915), de La charge fantastique (Walsh, 1941) ou de Gangs of New York (2002). La récurrence a été de représenter la violence en moteur fondateur de l'Amérique, entre autres contre les Indiens et les Noirs. La tendance actuelle est qu'elle domine le mode de conception du nec plus ultra des « œuvres », y compris celles à prétention de respectabilité. La rupture est consommée par rapport à 1994, année où le cinéaste Oliver Stone a été poursuivi en justice pour son film Tueurs – nés, accusé de complicité avec des meurtriers qui se sont réclamés inspirés de son œuvre. En 2001, la justice l'a disculpé : « Non, un film ne saurait être la cause d'un crime. » Les chercheurs qui travaillent sur les possibles effets de démonstration, psychologiques et sociologiques, n'ont pas pu faire valoir leurs présomptions. L'un d'entre eux observe subtilement pourtant : « Dans Elephant, ces images viennent d'ailleurs des jeux vidéo et de la télé : la question de la violence au cinéma a d'autant plus évolué que la salle et même le DVD ont perdu leur suprématie. Les images de cinéma sont prises dans un flux dru et divers dominé par celles des jeux vidéo, pratique culturelle numéro 1 des ados, où il s'agit d'abattre le plus d'adversaires possibles. En Amérique, les séries télé du câble, comme les Sopranos, n'ont rien à envier non plus, en termes de violence, aux longs métrages. Et les zozos de Jackass (MTV) s'infligent à eux-mêmes, ou entre eux, des sévices bien réels. Ils ont peut-être inspiré les innombrables séquences de violence plus ou moins fabriquée qui circulent sur les téléphones mobiles et sur Internet, du gage façon bizutage à la vraie scène de tabassage : le sinistrement fameux « happy slapping ». En 1998, le cinéaste autrichien M. Haneke (auteur de Benny's Vidéo, sur le pouvoir des images gore) pouvait encore affirmer que la violence au cinéma marquait le « retour du refoulé » dans un monde trop policé. Aujourd'hui cette hypothèse ne tient plus. La panoplie des recettes de violence développée par l'industrie du cinéma d'Hollywood s'est étoffée depuis la décennie 70 avec les « blockbusters », ces mégaproductions produites et calibrées pour susciter - y compris dans le format « boucherie » du fameux Dents de la mer -, l'effroi et les sensations immédiats. Pour le spécialiste de l'image Louis Guichard, « Hollywood a cessé de réfléchir sur la violence pour devenir un simulateur toujours plus performant de coups, de massacres, de guerres, de torture. Les notions d'éthique de l'image, de hors-champ, l'idée bressonniène de ne jamais montrer le processus même de la violence mais seulement son résultat, tout cela n'est plus l'affaire des studios ».