Toutes les législations qui se sont succédé depuis l'indépendance n'ont pu provoquer le déclic pour régler la question du foncier agricole afin de dynamiser ce secteur névralgique de l'économie nationale. Ni l'autogestion ni la révolution agraire, encore moins la restructuration des domaines autogérés, en passant par la loi 83-18 portant accession à la propriété foncière, n'ont pu mettre fin à toutes les controverses qui ont accompagné les réformes successives de cette question. Les pouvoirs publics avaient cru avoir trouvé la panacée en promulguant la loi 87-19 du 18 décembre 1987. Selon les dispositions de cette loi, les bénéficiaires pouvaient prétendre à un droit de propriété sur les bâtiments d'exploitation et les équipements et avaient un droit de jouissance perpétuelle sur la terre. Mais ce texte réglementaire, n'ayant pas tardé à montrer ses limites, a vite été contesté par les bénéficiaires eux-mêmes. Ils considéraient en effet qu'ils ne pouvaient travailler la terre convenablement si celle-ci ne leur appartenait pas. Les ambiguïtés contenues dans la loi ont donné lieu à plusieurs « dévoiements », et certaines de ces dispositions n'étaient pas appliquées, selon le directeur des affaires juridiques et de la réglementation au ministère de l'Agriculture, Ali Matallah. « Les terres étaient inexploitées ou insuffisamment exploitées, les bâtiments inutilisés ou détournés de leur vocation, des changements fréquents de la composante humaine des collectifs », raconte notre interlocuteur. Ainsi, des conflits internes, survenus au niveau des exploitations agricoles collectives, ont été portés en justice. Le règlement de ces affaires a dû traîner en longueur. Pendant ce temps, c'est la paralysie. Les terres agricoles étaient condamnées à rester inexploitées. A toutes ces défaillances est venue s'ajouter « l'absence d'octroi de crédits de campagne et d'investissement par les institutions financières », affirme-t-on. En d'autres termes, les banques refusaient de financer l'investissement lié aux exploitations agricoles sous prétexte que le droit de jouissance perpétuelle ne présentait aucune garantie. Un imbroglio. A partir de là, les autorités ont élaboré au début des années 1990 un nouveau projet de loi relatif à la cession ou à la location des terres agricoles du domaine privé de l'Etat. L'objectif de cette loi consiste à sécuriser et à stabiliser les agriculteurs et ainsi leur permettre de redevenir bancables. Cet arsenal juridique qui prévoyait la vente de ces terres n'aura pas passé l'hémicycle de l'Assemblée populaire nationale (APN). Nombreux étaient les députés qui s'étaient élevés contre ce qui s'apparente à une privatisation totale des terres agricoles du domaine de l'Etat. Selon les arguments de ces derniers, livrer ces terres à des particuliers est un danger pour l'activité agricole d'autant plus que le foncier agricole évalué à 47 millions d'hectares ne représente que 20% du territoire national. Ces terres de la « discorde », faut-il le souligner, sont les meilleures et les plus fertiles. L'autre problème et non des moindres a trait à la valeur de ces terres. Il était en effet difficile d'en déterminer le prix et on craignait que celles-ci ne soient bradées. Face à cette polémique, les autorités avaient décidé de geler ledit projet de loi avant qu'il ne soit retiré de l'APN. Le dossier a comme carrément quitté le cadre économique au profit de la politique où il a servi de tremplin électoral à certains qui en avaient compris les enjeux. Et c'est dans ce contexte que M. Abdelaziz Bouteflika a tranché en 2000 en faveur de la concession comme mode exclusif d'exploitation, tout en insistant sur le fait que la terre restera propriété de l'Etat. C'est donc dans cet esprit qu'a été élaboré le dernier projet de loi qui est en attente d'être examiné par le Conseil du gouvernement. Mais d'ores et déjà, des voix discordantes s'élèvent contre ce texte réglementaire. Il en est ainsi de la puissante Union nationale des paysans algériens (UNPA), qui estime qu'il n'est pas nécessaire de mettre en place un nouveau cadre juridique, mais de réviser l'ancienne loi, à savoir la loi 87-19, selon son secrétaire général, M. Allioui contacté par nos soins. « Nous sommes attachés à cette loi que nous considérons comme étant excellente si on avait mis à exécution les décrets d'application », a-t-il dit à ce propos. L'UNPA n'est toutefois pas opposée à l'option de la concession décidée par le chef de l'Etat, mais souhaite être consultée et associée dans les commissions gouvernementales et de l'APN chargées de ce dossier, ajoute la même source. Cette organisation s'oppose à la disposition contenue dans la nouvelle mouture de ce qui sera le nouvel avant-projet de loi qui prévoit le remplacement des exploitations agricoles collectives et individuelles par des sociétés civiles d'exploitation agricole. « Les agriculteurs algériens ne sont pas prêts pour une telle vision. Ils n'ont pas l'esprit managérial. Ça risque de créer davantage de conflits, car la mentalité de nos exploitants n'est pas adaptée à cela. Ils préfèrent de ce fait un régime de gestion individuelle », a-t-il expliqué.