Cédée par des revendeurs, sous le manteau, à 135 DA le kg, la semence aura enregistré jusqu'à 250% d'augmentation en l'espace d'une année. Cette hausse, qui ne reflète nullement la réalité des prix internationaux, est le fait de spéculateurs véreux qui auront totalement tétanisé la paysannerie et ouvert la voie à toutes les dérives. Les services étatiques en charge de la sphère économique viennent enfin d'ouvrir une enquête tous azimuts. Au niveau de Sirat, la véritable plaque tournante de ce juteux marché, toutes les boutiques auront miraculeusement baissé rideau. L'approvisionnement du marché en semence de pomme de terre, qui battait dangereusement de l'aile, aura ouvert la voie à une frénétique et insoutenable spéculation. A la mi-novembre, lorsque les premières cargaisons accosteront au port de Mostaganem, les prix — qui oscillaient entre 7000 et 7500 DA/q — affichaient une nette augmentation par rapport à l'année 2005/2006. En effet, des variétés comme la Spunta ou la Bartina enregistraient alors une augmentation de 2000 à 2500 DA par rapport à la saison précédente. Soit une marge supplémentaire oscillant entre 40 et 45%. Mais très rapidement, le marché ira en s'emballant en raison de la faible disponibilité sur le marché européen de semences de qualité. Sérieusement ébranlés par la physionomie des prix, de nombreux fellahs hésiteront avant de s'engager, dans l'espoir de voir les prix baisser, comme cela se faisait durant les années antérieures où certains importateurs iront jusqu'à octroyer des crédits à hauteur de 100%. Mais à leur grande déception, rien de semblable ne se produira cette année. Alors que chez les gros producteurs de la région, les plantations étaient menées au pas de charge, sur le front de l'importation, les quantités disponibles pour le marché algérien s'amenuisaient à vue d'œil. A l'exception de deux ou trois opérateurs qui adopteront des prix suffisamment attractifs pour le fellah, les autres n'auront aucun scrupule à pousser les prix vers la hausse. Aidés en cela par un sournois mais parfaitement structuré marché parallèle qui parviendra sans mal à monopoliser à son avantage tout le circuit de distribution. Si bien qu'à la fin de l'année 2006, alors que le tonnage réceptionné était d'environ 35 000 t, des variétés comme la Bartina ou la Spunta seront cédées entre 8500 et 9500 DA. Un moindre mal eut égard à ce qui va suivre. Des marges indécentes Des opérateurs plus gourmands attendront calmement le passage à l'année 2007 pour faire dédouaner les navires demeurés plus de 15 jours en rade. Juste pour bénéficier des quotas d'exonération découlant de l'accord d'association avec l'UE. Cette période creuse fera monter d'un cran la demande. Les processions de paysans vers les hangars de réception de la semence se feront de plus en plus pressantes. Le spectre d'une campagne à vide commencera à hanter les nuits des agriculteurs qui se rueront dans un indescriptible désordre sur les dépôts temporaires érigés à la hâte dans la périphérie immédiate de la ville. Leurs collègues de l'intérieur — restés en retrait pour des raisons de calendrier agricole plus tardif — viendront également en nombre faire pression sur les importateurs. Ces derniers, trop heureux de l'aubaine et parfaitement informés de l'état des stocks disponibles, n'auront aucune peine ni remord à amplifier leurs marges. Les revendeurs ne se gêneront par pour venir à leur tour prendre leur part du juteux gâteau. C'est pourquoi, à la mi-janvier, alors que la campagne de plantation entame son dernier virage et que le recours à la semence originaire du Canada ne pourra pas à l'évidence renverser la tendance, le quintal de la Spunta sera cédé à 11 500 DA, celui de l'Amorosa, une variété rouge aussi cotée que la Bartina ou la Kondor, aura atteint un véritable record à 13 500 DA. Exactement le double du prix affiché en début de campagne. L'opérateur qui aura attendu patiemment l'arrivée de la crise pourra engranger, sur un navire de 2000 t plus de 5 milliards de centimes que son collègue qui aura cédé le quintal à 7500 DA. Une vraie fortune en l'espace de seulement 40 jours ! Chez le fellah, c'est une véritable saignée qu'il n'acceptera de subir que contraint et forcé. A l'évidence, en ajoutant les intrants nécessaires au cycle de la pomme de terre, le coût de revient à l'hectare aura tout simplement doublé en l'espace d'une année. Par rapport à 2005/2006, le prix de la semence aura subi une augmentation de 250% ! Une hausse sans précédent qu'aucun paysan au monde n'acceptera de supporter tout seul. Ce qui présage une campagne houleuse que même les importations pour la consommation ne pourront juguler. A moins de quinze jours de la fin de la saison, les statistiques les plus optimistes tablent sur la réception d'à peine 50 000 t. D'où un déficit calculé sur une année normale de 30 000 t. Une pénalité de retard de 20 euros Cette situation, tous les opérateurs l'attribuent quasi-exclusivement à la promulgation de l'arrêté du 23 janvier 2005 du ministre de l'Agriculture par lequel le législateur fixa les calibres de la discorde, applicables à la semence d'importation. L'application de ce texte aura fortement influencé et perturbé la précédente campagne à l'issue de laquelle la pomme de terre à l'étalage aura dépassé le seuil des 70 DA/kg. La reconduction avec plus de sévérité de ce texte pour l'année 2006 aura totalement déstructuré le circuit d'importation. Certains fournisseurs européens, qui avaient très mal accueilli ce texte en raison des contraintes qu'il induisait sur leur activité, adopteront une attitude discriminatoire à l'égard de l'Algérie. S'abritant sous une baisse réelle de la production mondiale, ils ne se gêneront pas pour appliquer des prix coercitifs, tout en limitant les quotas. En effet, en raison de perturbations propres à l'Algérie, notre pays ne sera pas associé à l'étape de négociations préliminaires qui donnent une orientation à la structure des prix applicables à l'export. Si bien qu'au moment où les pays arabes passaient des commandes fermes, nos opérateurs étaient englués dans des discussions byzantines sur l'application d'un nouvel arrêté ou la reconduction de l'ancien. C'est ainsi que lorsque la décision sera enfin prise d'acheter, les prix auront fait un petit bond en avant. Qui se situe entre 15 et 20 euros au quintal. Ce qui explique les marges consensuelles pratiquées en début de campagne par quelques opérateurs consciencieux — et certainement quelque part patriotes — sans lesquels un grand nombre de paysans auraient chômé cette année. Car, par la suite, les évènements prendront une toute autre tournure pour aboutir en fin de campagne à des prix qui donneraient le tournis à n'importe quel spécialiste de la chose économique. Les conséquences encore une fois seront insoutenables, non seulement pour le consommateur et le fellah, mais également pour les fournisseurs traditionnels qui ne resteront pas les bras croisés à contempler les formidables dividendes engrangés par des spéculateurs sans vergogne. Qui auront littéralement détourné à leur profit les efforts des paysans des deux côtés de la mer. A l'avenir, qui pourra reprocher à ces producteurs d'exiger une part plus conséquente de cette plus-value ? On susurre par ailleurs que certains opérateurs auraient réussi à dénicher quelques juteuses cargaisons chez des fournisseurs européens. Il serait pour le moins curieux d'en apprécier les qualités agronomiques et surtout phytosanitaires. Car il est peu probable que de la semence répondant parfaitement aux critères énoncés dans l'arrêté de Saïd Barkat soit encore disponible en Europe. Il est vrai que les prix spéculatifs et alléchants pratiqués jusque-là peuvent asservir toutes les réticences. Les fellahs, totalement désemparés, espèrent enfin que cette incursion des services étatiques dans cette nébuleuse pourra aboutir à confondre ceux qui tirent les ficelles et prélèvent les dividendes.