L'abbé Pierre, fondateur des compagnons d'Emmaüs et apôtre des sans-abri, s'est éteint lundi matin à l'âge de 94 ans à l'hôpital parisien du Val-de-Grâce, où il était hospitalisé depuis une semaine pour une bronchite. « Avec cette disparition, c'est toute la France qui est touchée au cœur. La France perd une immense figure, une conscience, une incarnation de la bonté », a déclaré le président de la République, Jacques Chirac, qui se dit bouleversé par ce décès. L'abbé Pierre était le champion d'une charité active et l'inventeur du « tapage médiatique » au service des déshérités, en particulier des sans-abri et des mal logés. Il restera célèbre pour son appel à « l'insurrection de la bonté », lancé le 1er février 1954 à la radio, au cours d'un hiver particulièrement rigoureux. Cet appel avait déclenché un fort mouvement de solidarité et amené le Parlement à voter, quelques semaines plus tard, le lancement d'un programme de 12 000 logements d'urgence. La silhouette de cet homme de combat et homme de foi, dans sa vareuse grise sur une soutane, visage émacié, barbe grise et regard vif, était devenue depuis lors familière. Il avait fondé en 1949 les « Chiffonniers d'Emmaüs ». Et depuis, le mouvement des communautés Emmaüs, qui récupèrent des objets, les réparent et les revendent pour venir en aide aux exclus, a essaimé partout en France et dans près de 40 pays. C'est à 14 ans qu'il décide de se faire moine franciscain et d'abandonner la vie confortable à laquelle il était promis. Il refusera d'ailleurs sa part d'héritage et troquera son uniforme scout contre la robe de moine. Pendant l'occupation allemande, il entre dans la résistance. Il est aumônier, fabrique de faux papiers, imprime des feuilles clandestines, aide des juifs à se cacher et rencontre le chef de la France libre, le général Charles de Gaulle, en 1943 à Alger. La France pleure aujourd'hui un moment de conviction et d'engament. Il était de tous les combats pour les sans-papiers, les sans-logis, contre toutes les exclusions. Il a été parfois en opposition frontale contre le Vatican, notamment sur le port des préservatifs, la chasteté des prêtres et l'ordination des femmes. A son prochain, il ne délivre pas que des messages consensuels. « Si tu refuses le préservatif, tu es un salaud », lance-t-il. Et c'est parce que son message est universel que des hommages arrivent de tous les côtés. « Nous voulons exprimer notre profond respect et notre totale admiration pour la vie de cet homme de Dieu consacrée à la défense des humbles et des droits des plus pauvres à vivre dignement. Nous nous associons au deuil national et à la peine profonde que suscite la perte de cette grande voix qui exprime si fort le sentiment de révolte des pauvres du monde entier », se recueille Dalil Boubekeur, recteur de la Grande mosquée de Paris. Que deviendra Emmaüs après la mort de son fondateur ? « On me demande souvent ce que deviendra Emmaüs après ma mort. Mais il y en a d'autres moins vieux que moi, ils ne vont pas tous mourir en même temps », avait-il ironisé, il y a sept ans.