Soixante et un ans après avoir rencontré le général Charles de Gaulle à Alger, un 17 juin 1943, l'abbé Pierre avait retrouvé la capitale algérienne, indépendante mais meurtrie par le séisme du 21 mai 2003. «L'abbé Pierre est mort cette nuit à 05 h 25 (la nuit de dimanche à lundi, ndlr) au Val-de-Grâce entouré de quelques proches», a indiqué Martin Hirsch. «L'infection pulmonaire pour laquelle il avait été hospitalisé après une amélioration tout au long de la semaine l'a finalement emporté.» La nouvelle va faire le tour du monde en moins d'une heure et permettra de situer l'homme comme une des personnalités les plus estimées et les plus admirées de son époque. L'abbé Pierre, de son nom Henri Grouès, ancien résistant et député, était hospitalisé depuis le 14 janvier. Il avait fondé la première communauté Emmaüs en 1949 pour aider les pauvres et les réfugiés. En février 1954, il lança un appel resté célèbre sur les ondes de Radio-Luxembourg en faveur des sans-abri. Pour son action envers les pauvres et les démunis, il sera, pendant très longtemps, la personnalité préférée des Français. Jacques Chirac s'est dit lundi, matin, «bouleversé d'apprendre le décès de l'abbé Pierre». Selon un communiqué de l'Elysée, «c'est toute la France qui est touchée au coeur. Elle perd une immense figure, une conscience, une incarnation de la bonté». Le Premier ministre, Dominique de Villepin, a salué «une force d'indignation capable de faire bouger les coeurs et les consciences». Les Algériens garderont certainement de lui l'image d'un vieil homme de 92 ans venu de Paris au lendemain du tremblement de terre de Boumerdès de mai 2003, pour leur apporter une aide de 85 habitations. Avec un coût total de 892.000 euros répartis entre la fondation de France, 540.000 euros, la fondation abbé Pierre 312.000 euros et le fonds de concours du ministère français des Affaires étrangères 40.000 euros, le projet a été rendu encore possible grâce à la seule présence de l'abbé dans la zone sinistrée de Boumerdès. Chemise noire et pantalon tergal de même couleur, choisis avec goût et portés avec la même attention faite à la vie depuis plus d'un demi-siècle, l'abbé Pierre avait visité les villages sinistrés de l'est de la région de Boumerdès, passant du Figuier à Zemmouri et Dellys; grabataire, certes, mais donnant toujours l'air d'un zazou éternel. Soixante et un ans après avoir rencontré le général Charles de Gaulle à Alger, capitale française de la résistance, un 17 juin 1943, l'abbé Pierre retrouve la capitale algérienne, indépendante mais meurtrie par le séisme du 21 mai 2003. Le fidèle sourire accroché aux lèvres, qui embellit son visage de 92 ans comme un don de Dieu, l'abbé était resté fidèle à son image de contestataire, de défroqué de l'Eglise traditionnelle, des conventions sociales et protocolaires, laissant tous les responsables civils, militaires et consulaires pour «un moment de détente». L'abbé Pierre, fatigué par des heures de voyage et de veille, dormira une bonne heure dans un des appartements neufs qu'il était venu remettre à ses nouveaux bénéficiaires, usé par l'effort, fatigué par un siècle de vie engagée dans l'action pour les démunis. Vie intense, exceptionnelle et résolument engagée dans l'action, le parcours de l'abbé Pierre est celui d'un «révolutionnaire de la bonté». En 1941, cet abbé capucin, aide les juifs à se trouver des caches pour échapper à la Gestapo, puis entre en clandestinité. Il participe à la résistance et crée des maquis qui deviendront une partie de «l'armée du Vercors». En mai 1943, il est arrêté par l'armée allemande aux Pyrénées. Il s'évade quelques jours plus tard et se retrouve à Alger, le 17 juin. C'est la première rencontre avec le général de Gaulle dans la «capitale algérienne de la résistance française». Entre 1945 et 1961, il est député à l'Assemblée nationale puis président des Compagnons d'Emmaüs du Mouvement universel pour une confédération mondiale. Il se lance à partir de 1950 dans l'action sociale, l'aide aux démunis et le lancement de projets «à partir de rien» pour les SDF et les nécessiteux. La fondation du HLM Emmaüs est la plus célèbre entreprise sociale de cet homme tourné vers l'action directe et les réalités de son temps: désormais, il se pose comme le chantre des SDF, des démunis et des pauvres. Dès lors, une amitié et un respect à l'échelle internationale l'entourent. C'est le même combat qui le mène, en 1991, à jeûner à l'église Saint-Joseph de Paris, avec «les déboutés du droit d'asile» qui font une grève de la faim dans l'indifférence générale, et qui l'a mené encore à Zemmouri, ville-martyre du 21 mai 2003. «La vraie vie ne commence pas après la mort, elle commence maintenant dans le choix que nous faisons chaque jour d'être égoïstes ou d'être solidaires et sensibles aux joies et aux peines des autres. Le plaisir, ce sera cet instant de pleine conscience où chacun se verra tel qu'il s'est fait: égoïste ou solidaire», disait avec conviction ce défroqué de l'Eglise, ce grand enfant de Dieu...