L'audition par la Cour suprême de Abdelmadjid Tebboune, ancien ministre de l'Habitat, et de Abdeslam Bouchouareb, ancien ministre de l'Industrie et également chef de cabinet du secrétaire général du RND, dans le cadre du procès du groupe Khalifa, fait des émules. La raison ? Ces deux anciens membres du gouvernement sont les seuls à bénéficier d'une telle procédure d'exception, appelée dans le jargon juridique, « le privilège de juridiction ». Cette procédure spéciale, définie comme étant « le droit donné à certaines personnes de comparaître devant une juridiction autre que celle à laquelle les règles du droit commun procédural attribuent compétence », s'applique dans le droit algérien aux membres du gouvernement, aux walis, aux magistrats, aux présidents de cour, aux avocats, aux procureurs généraux, lorsque ceux-ci sont susceptibles d'être inculpés. Tout un sous-chapitre dans le code de procédure pénale, allant de l'article 573 à 581, est consacré à la définition des cas et conditions d'application d'une telle procédure. Quand bien même il est exhaustif, ce sous-chapitre n'est pas exempt d'imprécisions. L'article 573 de ce code reste flou sur le fait que si cette procédure s'applique uniquement aux responsables encore en fonction ou elle concerne aussi les anciens ministres, magistrats… Il stipule que « lorsqu'un membre du gouvernement, un magistrat de la Cour suprême, un wali, un président de cour ou un procureur général près une cour est susceptible d'être inculpé d'un crime ou d'un délit commis dans l'exercice ou par l'exercice de ses fonctions, le procureur de la République saisi de l'affaire transmet le dossier, par voie hiérarchique, au procureur général près la Cour suprême qui désigne un membre de la Cour suprême aux fins de procéder à une information ». Ce manque de précisions permet diverses interprétations au point que les juristes ne sont pas du même avis sur la question. Si nombre d'avocats que nous avons sollicités plaident la légalité de la procédure dans les deux cas, d'autres, précisément certains avocats qui assurent la défense des inculpés dans le procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank, s'élèvent contre cette « histoire » de deux poids, deux mesures. Plusieurs ministres en fonction sont déjà passés ou passeront dans les jours à venir à la barre, au tribunal criminel de Blida, après avoir été auditionnés par le juge d'instruction dépendant de la même juridiction. Si Abdelmadjid Tebboune, interpellé sur les dépôts d'importants fonds d'une cinquantaine d'Offices de promotion et de gestion immobilière (OPGI) dans la banque Khalifa, avait été ultérieurement auditionné par le juge d'instruction près la cour de Blida, Abdeslam Bouchouareb, quant à lui, en est à sa première audition, et c'est devant la Cour suprême. Pourquoi ? Une seule explication semble être possible, c'est qu'il s'agit là d'un autre procès concernant les dépôts colossaux de certains organismes, caisses et entreprises publiques dans la banque Khalifa. Maître Tayeb Belloula, avocat agréé à la Cour suprême, affirme qu'en cas d'inculpation de ces deux prévenus, il devrait y avoir un autre procès. Car la juge du tribunal criminel de Blida est tenue de se limiter à l'arrêt de renvoi où sont mentionnés les noms des inculpés et des témoins. L'inculpation des deux anciens ministres reste à vérifier devant le secret d'instruction qui frappe la procédure, même si l'on annonce par-ci, par-là qu'ils ont été mis en liberté provisoire.