L'ex-ministre des Finances, Mohamed Terbèche, a été entendu hier par le juge d'instruction près le tribunal de Chéraga dans le cadre de l'affaire Khalifa. Abdelmadjid Tebboune et Abdelmadjid Attar, respectivement ex-ministres de l'Habitat et des Ressources en eau, ainsi que le gouverneur de la Banque d'Algérie sont convoqués par le même magistrat. Après l'inculpation de l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, Abdelwahab Keramane, le doyen des juges près le tribunal de Chéraga, dépendant de la cour de Blida, a entendu, hier, l'ancien ministre des Finances, Mohamed Terbèche, dans le cadre de l'affaire Khalifa. Selon des sources judiciaires, l'audition a duré toute la journée et a porté « sur la non-mise en jeu des instruments de contrôle comme prévu par la loi sur la monnaie et le crédit pour éviter la grande escroquerie de Abdelmoumène Khalifa, notamment à travers la création de la banque et les activités douteuses de cette dernière, mais aussi le retrait d'importants fonds de quatre banques publiques pour les déposer dans les caisses d'El Khalifa Bank. Une telle décision ne pouvait être prise sans l'avis du ministre des Finances ou du chef du gouvernement ». Dans le même cadre, le juge d'instruction entendra, aujourd'hui, l'ex-ministre des Ressources en eau, Abdelmadjid Attar sur les dessous de « l'importation fictive » d'une unité de dessalement d'eau de mer par Abdelmoumène Khalifa « dans le but de couvrir un transfert illégal » d'une somme de 67,5 millions de dollars US. « Sur ce sujet, Abdelmadjid Attar devra expliquer au juge d'instruction pourquoi le ministère des Ressources en eau n'a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher une telle arnaque », a révélé notre source. En outre, le juge d'instruction entendra demain l'ex-ministre de l'Habitat, Abdelmadjid Tebboune, sur les dépôts d'importants fonds d'une cinquantaine d'Offices de promotion et de gestion immobilière (OPGI) répartis à travers les 48 wilayas du pays. Les responsables de ces organismes ont affirmé lors de l'instruction avoir pris la décision de retirer une grande partie de leur trésorerie des banques publiques pour les mettre dans les caisses d'El Khalifa Bank à la suite d'« une instruction verbale » du ministre de l'Habitat, Abdelmadjid Tebboune, dans le but de bénéficier des forts taux d'intérêt. « Or il s'avère que les taux pratiqués par El Khalifa Bank étaient fictifs », ont mentionné nos sources. En fait, les taux dont ont bénéficié les gros dépositaires n'ont réellement jamais dépassé les 7,5%. « En contrepartie des dépôts, les responsables d'El Khalifa Bank versaient des dessous de table aux dirigeants. Il s'agit donc de corruption et à chaque fois que ce délit est prouvé, les auteurs seront poursuivis », a déclaré notre interlocuteur qui a noté l'importance du volume de travail qui attend le doyen des juges d'instruction près le tribunal de Chéraga. Ce dernier a déjà entendu l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie (BA), Abdelwahab Kerramane, et l'a inculpé avant de le laisser en liberté provisoire en dépit de la demande du parquet relative à sa mise sous mandat de dépôt. Le parquet a d'ailleurs fait appel à cette ordonnance auprès de la chambre d'accusation qui devra statuer au cours de cette semaine. Le juge a également convoqué l'actuel gouverneur de la Banque d'Algérie, Mohamed Laksaci, et le premier vice-gouverneur, Ali Touati (frère du général à la retraite Mohamed Touati, conseiller à la présidence de la République), en leur qualité, pour le premier, de gouverneur de la BA durant la période 2003 et, pour le second, en tant qu'ancien responsable du contrôle des changes. La banque algérienne à l'index Dans cette affaire, l'ancien directeur général de l'inspection générale de la BA sera également auditionné par le juge, alors que M. Hadj Nacer, ancien gouverneur, a été convoqué pour être entendu en tant qu'expert en matière bancaire. Ces auditions devront s'achever d'ici à la fin de cette semaine, et déjà nos sources n'écartent pas l'inculpation d'autres responsables étant donné les lourds griefs qui pourraient être retenus contre eux. En effet, si au début de ce scandale les responsables de la BA (actuellement convoqués par la justice) ont voulu minimiser les dégâts en se limitant lors du dépôt de la première plainte au délit lié à l'infraction de la loi sur la monnaie et le crédit, le tribunal de Chéraga a, quant à lui, requalifié cette affaire en retenant les chefs d'inculpation suivants : association de malfaiteurs, vol qualifié, escroquerie aggravée, faux et usage de faux en écriture publique et privée, abus de biens sociaux, complicité, recèle et corruption. Des crimes pour lesquels le code pénal prévoit jusqu'à la perpétuité. « Pour la justice, il est question de lever le voile sur la plus grande escroquerie que le pays a connue et qui a causé au Trésor public la perte sèche de près de 7 milliards de dollars. L'instruction ne fait que commencer et pourrait atteindre d'autres personnalités encore plus importantes dans la hiérarchie de l'Etat à l'image de l'ancien chef de gouvernement, Ali Benflis », a déclaré la source judiciaire. Celle-ci a indiqué, d'autre part, que les premiers éléments de l'enquête ont montré que Abdelmoumène Khalifa « a prémédité son escroquerie puisque même les actes de création de sa banque et de toutes ses filiales sont frappés de nullité. Ils sont carrément illégaux. Il y a eu usage de faux en écriture publique et commerciale. Tous les responsables qui étaient en poste au niveau de la BA et qui n'ont pas réagi pour stopper cette escroquerie s'expliqueront de leurs actes devant la justice. » Notre interlocuteur a rappelé que le dossier de la banque n'est qu'un élément d'une longue chaîne d'affaires, actuellement ouvertes au niveau du tribunal de Chéraga. Parmi ces dernières citons celles liées aux transferts illégaux d'importantes sommes en devises (par swift) opérés par la banque Khalifa au profit d'au moins une cinquantaine de personnalités politiques, sportives et culturelles, au contrat signé par le patron de la télévision avec Khalifa Télévision et qui porte sur l'utilisation des archives et aux prêts bancaires alloués à quelque 200 personnes physiques et morales, notamment des sociétés écrans. Il est question aussi de restituer les sommes énormes en devise offertes à travers les cartes Gold à des hautes personnalités de l'Etat, que le juge d'instruction compte convoquer incessamment. Parmi ces personnes figurent de nombreux ministres du gouvernement Benflis, mais également des patrons d'importantes institutions publiques ainsi que le frère du président de la République et ancien avocat du groupe Khalifa. A signaler enfin que dans le cadre de cette affaire, seize personnes ont été inculpées, quatre détenues, cinq recherchées dans le cadre de mandats d'arrêt internationaux et sept mises en liberté provisoire.