En cette soirée hivernale du mois de février, le théâtre national d'Alger a renoué avec ses soirées d'antan où, dans un passé récent, les esthètes de théâtre se retrouvaient pour apprécier les spectacles... et se retrouver. Ainsi, la pièce théâtrale Le fleuve détourné, adapté du roman de Rachid Mimouni, a été un bon prétexte pour rassembler les hommes de culture. Pour la plupart des présents, les retrouvailles ont été des plus émotifs. La placette extérieure du théâtre compte déjà, à 18h, un monde impressionnant. A l'intérieur, c'est le rush absolu. Les agents de la sécurité sont débordés par la demande. On ferme les yeux sur les personnes qui exhibent un carton d'invitation, alors qu'elles sont plus de quatre. Prévue à 19 h, la pièce ne commencera que vers 19h 35. Ce retard, nous dit-on, est dû à l'attente de la ministre de la culture. Les lumières s'éteignent enfin, pour laisser place à un silence olympien. Une lumière tamisée laisse entrevoir au loin un décor des plus simples. Trois sculptures, aux signes et aux dessins multiples, se dressent majestueusememt. Un homme dépravé et dubitatif déambule dans ce sanctuaire où reposent des martyrs. Mohand Larbi Nath Mezghan, incarné par le talentueux comédien Mourad Khan, est un grand moudjahid qui, après une hospitalisation pour amnésie, retrouve la mémoire. Il trouve son nom gravé sur la stèle des martyrs. Le gardien du sanctuaire tentera de répondre aux questionnements de Mohand. Ce dernier ne reconnaît plus les lieux de sa dechra. Il veut absolument recourir à son identité en obtenant sa carte d'identité. Son cousin paternel lui promet monts et merveilles. Aidé par son ami de toujours, le chanteur errant Ali, dans le rôle Réda Doumaz, Mohand se rend compte que les promesses émises par son cousin ne sont qu'une ruse pour l'éliminer à jamais. Mohand a une autre quête, celle de retrouver son épouse Houria et son fils Idir. A travers son périple pour retrouver son identité, le personnage principal invite le spectateur à découvrir une Algérie capable d'exploits, mais également de vicissitudes. Pour cela, plusieurs tableaux ont été remarquablement plantés avec tantôt des séquences musicales chaâbies délicieusement interprétées par Réda Doumaz. Après une heure et vingt minutes, plus d'un est invité à découvrir, entre autres, les rouages de la corruption, de la condition féminine et des rapports humains. La fin de la trame est des plus émotive. Mohand retrouve son fils Idir. Ce dernier lui contera la vie amère qu'il a dû mener depuis la mort de sa mère, assassinée, en 1995, par la horde terroriste. Produit par le théâtre régional de Sidi Bel Abbès, la pièce Le fleuve détourné, adapté du roman du regretté Rachid Mimouni, est une réussite totale tant sur le plan textuel que technique. Le jeu des comédiens a été des plus éloquents. En effet, Lotfi Double Kanon, Mourad Khan, Réda Doumaz, Nisma, Nadia Boualem, Dounia Hamdaoui, Abdelaziz Hammachi, Kamel Chamek, Lazhar Belbaz, Saâd Saïdi, Mahfoud Berkane, Wahid Gasmi et Belkacem Kaouane se sont surpassés en talent. La metteur en scène et académicienne Fouzia Aït El Hadj a réuni tous les ingrédients nécessaires pour faire de cette œuvre, encore une fois, une référence. Effectivement, loin des messages stéréotypés, Hamida Aït El Hadj a offert une pièce digeste où l'arabe dialectal et quelques mots en bérbère ont été utilisés. Le fleuve détourné sera à l'affiche aujourd'hui à 15 h au théâtre national d'Alger. Cette pièce sera reconduite la semaine prochaine lors de la célébration du douzième anniversaire de la disparition de l'écrivain Rachid Mimouni à Boumerdès, et les 14, 15 et 18 à Béjaïa.