On l'ignorait — qui l'aurait soupçonné ?—, mais tout finit par se savoir. Un certain nombre d'écoles privées — pas toutes, heureusement — ont emboîté le pas aux maquignons de la pédagogie. Depuis des années, les pratiques maffieuses de ces derniers sont longuement commentées par la presse nationale. Cette rubrique est allée jusqu'à démonter les sordides mécanismes de cette machine à « bourrer de beurre les épinards ». Elle compte y revenir, car cette grave dérive morale est en train de pervertir le peu de morale qui reste à notre société. La triste réalité est là : des pseudo-éducateurs se sucrent sur le dos de leurs élèves. Utilisés comme arme imparable pour déclencher l'angoisse des parents et leur soutirer le pognon, les prétextes fourmillent dans les imaginations fertiles de ces pseudo-éducateurs. Qu'ils soient contradictoires, voire dérisoires — programmes lourds, examens à répétition, effectifs en surnombre, horaires insuffisants —l'argumentaire désarçonne toujours. Les pauvres parents sont entièrement acquis au respect du maître et de sa parole. Image d'antan quand tu nous tiens ! Instruits de la réussite matérielle de ces commerçants extraterrestres — ils ne payent pas d'impôts et puisent leur clientèle à portée de main — des responsables d'écoles privées ont flairé le bon coup. Des parents d'élèves nous ont écrit pour s'enquérir de la réglementation en vigueur en matière de cours de rattrapage. Dans cette école primaire privée de « Babez » dans la banlieue-est d'Alger, le leurre est tout trouvé : « Vos enfants sont en retard en langue française, nous avons décidé de leur consacrer les lundis après-midi pour une somme symbolique de 1500 DA par mois. » Puisque c'est symbolique, les parents n'ont pas de soucis à se faire. Ils déboursent, contents et fiers d'offrir à leurs enfants la clé d'entrée dans le palais de Voltaire. Ils ont oublié qu'ils payent chaque mois l'équivalent du salaire d'un ouvrier pour justement — selon leurs dires — fuir la médiocrité de l'école publique. Le montant annuel déboursé par un seul parent est de loin supérieur à la dotation allouée par l'Etat à l'ensemble d'une classe d'élèves scolarisés dans l'école publique. Le rapport est astronomique et le résultat est identique, puisque les cours de rattrapage (payants, ceux-là) sont légion. Conditionnement A l'ouest d'Alger, sur ces hauteurs dites huppées mais plongées dans l'odeur du poulet braisé, cette école privée a rencontré une certaine résistance de la part des parents. La direction avait projeté de dispenser des cours de soutien payants chaque lundi après-midi. Là, l'argument coule de source. Les élèves triment sur deux programmes — l'algérien et le français — à raison d'une double charge de travail dans chaque matière. Il semble qu'ils ont besoin de renforcer leurs acquis en arabe. A la clé une rallonge de 1000 DA mensuels. De repos, point ! Ni pour les portefeuilles des parents ni pour les neurones des élèves. Vigilants, les parents ont refusé dans un premier temps. Après une assemblée générale et des négociations serrées — de celles que l'on rencontre dans les souks algériens —, la vendeuse et les acheteurs coupent la poire en deux. Libres jusque-là, les lundis après-midi seront utilisés. En contrepartie le tarif mensuel est augmenté de 500 DA. Le prétexte des cours de soutien était finalement un artifice pour dire aux parents : « On augmente les tarifs. » Une séance de rattrapage ne se décrète pas selon le bon vouloir du maître, de la direction ou des parents. Elle s'impose à l'enseignant au vu d'un constat établi après une minutieuse observation du comportement et du rendement de ses élèves. Des instruments d'évaluation existent qui vont l'aider à affiner sa décision. Il suffit seulement qu'il se mette à l'écoute de sa classe et qu'il ne pas se contente pas de débiter la leçon et de fuir à la fin du cours. S'enquérir du moral de ses élèves et de leur degré de motivation relève des choses les plus élémentaires. Ce souci de la qualité débouche parfois sur l'indispensable remise à niveau des élèves en difficulté. Les séances de rattrapage ont cette vertu de les rassurer et les mettre en confiance. Ce travail au quotidien est inclus dans le salaire. Il est dicté par l'éthique et la déontologie de ce qui demeure — n'en déplaise aux maquignons — « le plus beau métier du monde » (dixit M.Feraoun). Que dire de tels agissements, si ce n'est que les parents acceptent de jouer le rôle de complice dans une entreprise où les seules victimes sont les élèves. Ces derniers apprendront très tôt que tout se monnaie dans ce bas monde y compris le devoir professionnel. Ils auront intériorisé des idées en vogue dans le sérail des adultes : l'argent sert de carburant à la relation humaine et l'éducation morale n'est que fadaise. Ils deviendront des machines froides qui dégainent les liasses pour s'ouvrir le chemin de l'illicite. Un illicite qui pour eux n'existe pas. Aller parler de morale à un adolescent qui, sa scolarité durant, a eu pour modèles des enseignants – il en existe d'honnêtes – qui le harcèlent pour acheter des cours de soutien. La probité, l'honnêteté, l'intégrité ont déserté les pratiques sociales et sont par conséquent des valeurs inconnues des jeunes. Il suffit d'un seul enseignant véreux - plus soucieux du pactole à ramasser que d'éduquer – pour que le bon exemple affiché par d'autres collègues intègres soit gommé. Une patate pourrie, et c'est tout le cageot qui en souffre. En guise de conclusion, il y a lieu d'ouvrir - et vite - un débat sur la gangrène des cours payants et d'en sortir avec des solutions. Cette pratique est scandaleuse. Elle aggrave la crise qui sape les fondations existentielles de l'Algérie. Elle alimente le feu de la corruption en formatant dès le jeune âge les futurs corrupteurs (actifs et passifs). Qui dit morale, dit forcément éducation. L'institution éducative ne peut pas tout faire. Elle n'est pas seule dans cette mission et ne saurait être tenue pour unique responsable dans l'explosion de la corruption ou des autres fléaux sociaux. A quand une réaction saine de l'élite des parents ? Sont-ils juste bons à mettre la main à la poche pour espérer mettre leurs enfants à l'abri ? Les deux témoignages relatés ci-dessus sont des indices de leur erreur de jugement. Elle est drôle l'économie de marché à l'algérienne qui dispose de deux atouts à rendre jalouses les grandes puissances de ce monde. Aux deux bouts de la chaîne, des suceurs d'argent à l'appétit vorace… et des consommateurs passifs et masochistes qui leur fournissent des repas gargantuesques.