Le tribunal criminel de Blida a entendu hier en tant que témoin Arezki Idjerouiden, ancien patron de la compagnie de transport aérien Antinéa, sur la cession des parts sociales de celle-ci à Abdelmoumen Khalifa. Le témoin, actuellement PDG de la compagnie Aigle Azur, raconte que Abdelmoumen Khalifa, qu'il a eu à rencontrer en 1999 à l'hôtel Sofitel à l'occasion de la cérémonie des remises des certificats du transport aérien par l'ancien ministre, Boulil, l'a appelé à plusieurs reprises vers la fin de l'année 2000, au moment où il était en pleine négociation avec un groupe français pour la vente d'Antinéa. « J'ai retrouvé au moins six numéros du groupe, laissés au niveau de mon secrétariat. J'ai appelé l'un d'eux et c'était Abdelmoumen Khalifa. Il était à Paris et il m'avait fait part de sa volonté d'acheter la compagnie. Il m'a demandé de le rejoindre à l'aéroport du Bourget, pour se diriger vers la représentation de Paris. Après avoir eu une idée sur le montant des investissements de la compagnie, nous nous sommes entendus pour se revoir. Lors de la deuxième réunion, il y avait de mon côté mes avocats et de son côté Mme Djazourli Djaouida et nous nous sommes mis d'accord sur le principe de la cession des parts du capital social de la SPA Antinéa, dont 49 % appartiennent à Gofast, un partenaire français, 51% à moi et mes enfants. Les actionnaires français ont, au début, envoyé leurs avocats, puis m'ont mandaté pour poursuivre les négociations. Antinéa possédait un Boeing 727 en toute propriété et une base de vie à Hassi Messaoud, bien équipée. Sa valeur était de 600 millions de dinars, et j'y ai investi 200 millions de dinars. La cession de la SPA était arrêtée au montant de 210 millions de dinars », explique Idjerouiden. Il ajoute que, une fois que Abdelmoumen a vu les comptes de la société, il lui a donné rendez-vous à Chéraga en janvier 2001, en présence de Me Rahal, le notaire. Rédigé, le premier acte de cette cession comportait des erreurs, ce qui a poussé le PDG d'Aigle Azur à le renvoyer pour des rectificatifs. « Le 9 janvier 2001, j'ai signé avec Abdelmoumen dans une villa à Chéraga », explique Idjerouiden. La présidente : « En tant qu'homme d'affaires averti, vous avez signé avant de prendre votre chèque ? » Le témoin : « Oui. Parce que dans le monde des affaires la confiance et la crédibilité valent plus que l'argent. Mais effectivement, j'ai eu des problèmes pour avoir mon chèque. J'ai appelé Moumen pour réclamer et il m'a demandé de passer. J'ai été le voir et il m'a demandé de l'accompagner par voiture jusqu'à sa banque à Chéraga. On y arrive, il me présente le directeur, Mir Omar, qui nous laisse son bureau. Il discute avec lui pendant 15 à 20 minutes et revient pour me dire que les micros étaient déjà éteints et les bureaux fermés et, de ce fait, il me demande revenir le lendemain. Ce que j'ai fait. Moumen était absent. Mir m'a demandé ma pièce d'identité et me présente un document à signer. J'ai appelé Moumen et j'ai protesté contre le fait qu'il m'ouvre un compte à sa banque. Il me dit : ‘'Pourquoi tu vas placer ton argent à la BEA ?'' Je t'ouvre un compte et tu prends l'argent de chez nous. » La présidente : « C'est votre argent, n'avez-vous pas trouvé sa réaction un peu anormale ? » Le témoin : « Moumen était différent des autres hommes d'affaires. Il était connu, faisait les unes de la presse. Je ne pouvais à ce moment-là douter de son honnêteté. » La juge : « Quelle adresse a-t-il inscrit sur le chéquier que Mir Omar vous a remis ? » Idjerouiden : « Celle d'Antinéa Airlines, à Saïd Hamdine. » La présidente : « Sachant que celle-ci est devenue sa propriété ? » Le témoin : « Oui. » Idjerouiden révèle avoir eu un premier chèque de 3 millions de dinars, retiré de l'agence de Chéraga et ayant servi au paiement des impôts, pas ceux découlant de la transaction qui étaient à la charge de Abdelmoumen. La magistrate : « Vous récupérez 3 millions de dinars de votre compte, alors que vous n'avez déposé aucun sou ? » Le témoin : « Je n'y ai rien vu d'anormal. » La magistrate revient sur le montant de la transaction et le témoin affirme qu'il était de 210 millions de dinars, mais assure n'avoir pu avoir que 208 millions de dinars. « J'ai souffert pour lui arracher le montant. J'ai pris connaissance du fait que mon compte était à découvert, alors que pour moi il est censé être alimenté d'une somme de 210 millions de dinars par Moumen, en vertu de notre contrat. J'étais fou furieux et je l'ai cherché partout. Le 10 juin 2001, il a nivelé le compte à hauteur de 208 millions de dinars. Vraiment, je croyais qu'il allait mettre mon argent dans mon compte et je n'ai à aucun moment suspecté sa volonté de garder cet argent à El Khalifa Bank. Quand j'ai su que j'étais à découvert, je commençais vraiment à m'inquiéter. » La présidente : « Saviez-vous qu'il vous a ouvert une ligne de crédit et non pas un compte ? » Le témoin : « Apparemment, il a utilisé la banque à des fins personnelles. Je n'ai rien vu de cela à cette époque. C'est vrai qu'il était avant la transaction mon concurrent et même mon ennemi. J'avais une petite compagnie avec un avion, avec une bonne organisation et lui occupait tout l'espace du transport aérien. Je n'avais pas de relation avec lui. » La présidente revient sur la procédure d'ouverture du compte. « Vous aviez une ligne crédit et il n'y a aucune trace de la cession de votre société à Moumen. Le compte a été ouvert et on vous a viré 208 millions de dinars de l'argent des déposants ? » Le témoin : « Je suis moi-même victime dans cette affaire. » La juge : « Le contrat comportait-il des clauses sur les modalités de paiement ? » Idjerouiden : « Non. Il n'y a que le chèque de paiement. Je ne pouvais deviner ce qui allait se passer. » Le témoin dit ne pas savoir pourquoi Moumen a choisi l'agence de Chéraga pour opérer le paiement de la transaction, lâchant à la fin qu'il a été victime d'une escroquerie. Le procureur général l'interroge sur le prix de cession d'Antinéa Airlines. Il déclare : « Le capital libéré est de 135,33 millions de dinars et l'investissement total est de 680,98 millions de dinars. L'acte porte sur une cession des parts. » Le magistrat lui fait remarquer que le montant réel était de 8 millions de dollars US ou 60 millions de FF. Information que le témoin dément catégoriquement, estimant que la société est de droit algérien et ne peut être cédée qu'en dinars. Il note que le montant de 208 millions de dinars, versé par Moumen, lui était destiné ainsi qu'à son associé français. « J'attendais 210 millions de dinars, il ne m'a remis que 208 millions de dinars. L'affaire a entre temps éclaté et les actionnaires en ont été informés », relève Idjerouiden. Le procureur général l'interroge sur les montants transférés aux associés français et le témoin, encore une fois, déclare qu'il n'y a jamais eu de transfert. « Les 135 millions de dinars portent sur la cession des parts, cela se passe ainsi partout dans le monde. Mon intérêt n'était pas de dissimuler des montants quelconques. Je suis prêt à justifier tous les investissements de la compagnie domiciliés dans les banques publiques. » Me Meziane, avocat de la liquidation, l'interroge sur le Boeing vendu à Moumen qui, selon l'avocat, était en mauvais état. Le témoin conteste et déclare qu'il s'agit de rumeurs colportées sur internet. La présidente lui fait savoir qu'il n'y a aucune trace de la cession de la compagnie et qu'à ce titre le liquidateur risque de lui demander de rembourser le montant avec des intérêts. Idjerouiden répond : « Si c'est le cas, je demanderai alors la récupération de ma compagnie. » Une résolution et des interrogations La présidente appelle alors à la barre Beldjoudi Mohamed Tahar, DG actuel de la Caisse nationale des retraités (CNR), et ayant occupé le poste de directeur général adjoint à l'époque des placements. Entendu en tant que témoin, il affirme que c'est le bureau du conseil d'administration (CA), alors présidé par Meziani Abdelali, président en même temps du CA qui a signé la résolution portant sur le dépôt de 12 milliards de dinars. Il reconnaît n'avoir pas informé la tutelle et que les décisions du bureau du CA ne sont pas légales. Il note que s'il était directeur général, il n'aurait pas accepté d'exécuter une telle décision, précisant qu'il n'était pas de ses prérogatives d'informer la tutelle ou de protester contre la résolution. La présidente appelle à la barre Menad Mustapha, ancien directeur des opérations financières de la Cnas. Poursuivi pour corruption, trafic d'influence et acceptation d'avantages illicites, il déclare d'emblée que la décision de placement a été prise en vertu d'une résolution signée par Abdelmadjid Sidi Saïd, alors président du CA, en février 2002. Il reconnaît, selon ses informations, que la réunion du conseil n'a pas eu lieu. La présidente lui demande sur quelle base a-t-il exécuté la résolution de Sidi Saïd. Menad : « D'abord, la convention signée par le DG et ensuite lorsque j'ai parlé avec ce dernier il m'a dit qu'il y aura une résolution. » Pour lui, il n'a fait qu'exécuter une décision du président du CA et le jour où il a reçu celle-ci, il ne savait pas que la réunion et l'approbation n'ont pas eu lieu. « Nos relations étaient basées sur la confiance », dit-il, notant que la Cnas a été la dernière des caisses à avoir placé ses avoirs chez El Khalifa Bank d'El Harrach. A propos des avantages, il déclare n'avoir rien reçu. Mais la présidente lui rappelle la carte de gratuité. Il explique qu'il l'a eue et utilisée qu'une seule fois, dans le cadre d'un voyage professionnel en France, alors qu'il était à la tête d'une délégation de 22 cadres, ayant bénéficié d'une formation à St Etienne. Il relève qu'il était le seul à bénéficier de la gratuité, alors que les autres avaient 50% de réduction, en vertu d'une convention avec Airways signée par le directeur de l'administration, M.Kacimi. A propos de la carte de thalassothérapie, il précise qu'il était client depuis des années dans ce centre et que probablement c'est la direction du centre qui a commis une erreur en mettant son nom sur la facture remise à Khalifa. Le procureur général lui demande s'il a subi des pressions pour placer les fonds de la caisse. Menad dément et signale qu'il n'a jamais subi quoi que ce soit. A propos des garanties portant sur le cadre légal des placements, il affirme les avoir eues du DG, Abdelmadjid Bennaceur, et ce dernier les a eues à son tour de Abdelmadjid Sidi Saïd. Le procureur général l'interroge pourquoi la caisse était pressée de placer ses fonds, après qu'en juin 2001, la Casnos a déposé ses fonds, suivie, le 26 septembre 2001, par la Cnac, puis en septembre 2001, la CNR, et enfin, en juin, la Cnas. « Nous n'étions pas pressés », lance-t-il. Il affirme que son fils est un sportif pris en charge par Khalifa dans le cadre du sponsoring, au même titre, d'ailleurs, que son frère également footballeur. La présidente appelle Azzi Abdelmadjid, ancien secrétaire général de la Fédération des retraités et membre du CA de la CNR. Il affirme que la réunion du 22 février 2002 n'a jamais eu lieu et que les membres du CA n'ont jamais été informés jusqu'à septembre 2002. Il déclare que lorsqu'il a eu écho des problèmes de Khalifa, il a demandé à Kerrar Slimane, directeur des opérations financières, de retirer les fonds s'ils sont placés à Khalifa. « Mais ce dernier ne nous a pas dit la vérité », ajoute-t-il. Il signale que le CA a toujours été marginalisé que ce soit par la tutelle ou par la DG. La présidente appelle Mme Chentouf, responsable des caisses au niveau du ministère du Travail. Elle déclare que la tutelle n'avait jamais reçu de correspondance de la part du CA. Une enquête menée par une équipe mixte de l'inspection interne et de l'inspection des finances a montré qu'il n'y a aucune trace de ces documents. Onze membres du CA de la CNR et de la Cnas se sont succédé en tant que témoins à la barre et tous ont affirmé n'avoir jamais été mis au courant des placements et encore moins voté une résolution portant sur cette question. Mieux, certains ont affirmé avoir pris connaissance des pertes des caisses en 2005, après l'éclatement de l'affaire. Le procès reprendra demain avec la poursuite des auditions des autres témoins.