On évalue à plus d'un milliard d'êtres humains les usagers de l'Internet. Ce formidable outil et matrice de tous les réseaux de médias (presse écrite, radio et télévision) ouvre en plus des portes infinies à l'expression sociale, immédiate et quasi sans censure possible ; pour le meilleur et le pire donc. Il en est ainsi des blogs pour le journalisme tel qu'il a capitalisé ses lettres de noblesse et ses règles de déontologie et de régulation. Librement et facilement crées sur la Toile, ces nouveaux journaux (la blogosphère) ont tissé en même temps une offre diversifiée à l'infini de sujets et de manières d'en rendre compte, en même temps par l'écrit, le son et l'image. En traînée de poudre les messages sont recyclés sans cesse, à concurrence d'imagination et sans nécessité de vérification. Les données actuelles évaluent à 37 millions le nombre de blogs tous formats confondus ; trois mois après l'ouverture 55% des « éditeurs » continuent leur ouvrage et leur nombre double tous les six mois, et étant soixante fois plus grand qu'il y a six ans. Si leurs capacités matérielles de développement sont remarquables et exponentielles, l'interpellation de ces outils de communication que Michel Castells appelle « médias de masse individuels » est appelée à s'aiguiser ; même si par ailleurs ils introduisent de potentielles libertés par rapports au cadre de travail des médias établis jusque-là ; question sur laquelle il faudra revenir. Une illustration frappante des capacités de détournement de sens aisément opérables via les blogs a été offerte ces derniers jours en France et a convoqué pour la mise en scène pas moins que le défunt sociologue Pierre Bourdieu, intellectuel iconoclaste n'ayant pas hésité à inscrire son œuvre sur et avec les luttes sociales, dont l'immense recherche Travail et travailleurs en Algérie. Un blog piquant une bribe d'une de ses discussions sur Mai 68, enregistrée en 1999 et diffusée le 29 septembre dernier par la télé associative Zalea, y a trouvé matière, en version tronquée de 3 minutes trente secondes, de faire témoigner le sociologue que Ségolène Royal, actuelle favorite des socialistes pour la Présidentielle selon les sondages, n'est pas de gauche. Un autre facteur détermine l'explosion de cette nouvelle forme de communication ainsi créée : c'est l'arrivée concurrentielle d'autres langues sur Internet. A côté de l'anglais totalisant un tiers des sites, s'ajoutent le chinois en seconde place, le japonais, l'espagnol, le français, etc. On peut prévoir une extension du pouvoir d'impact des blogs dans l'adoption par les journalistes professionnels eux-mêmes. En Europe du Nord et en Europe la tendance en ce sens est confirmée. Ainsi le directeur des éditions électroniques du quotidien français Libération explique ce rush : « Les gens aiment cette différence de traitement de l'information. Ils veulent plus que le papier d'actualité qu'ils peuvent lire dans leur journal ». De son expérience professionnelle aux Etats-Unis en campagne présidentielle il a ouvert un blog pour « raconter des anecdotes pour lesquelles (il) n'a pas trouvé de place dans son journal. Il y a surtout une relation beaucoup plus personnelle qui s'installe avec le lecteur. » L'aspect complément aux médias « traditionnels » est revendiqué par d'autres journalistes. Du côté de la direction de Libération, pour l'instant, il est affirmé qu'il « n'y a aucun code, aucune censure. Nous faisons confiance aux journalistes pour rester dans le cadre du traitement journalistique de l'information. » Le directeur des rédactions du Monde est quant à lui plus attentif aux dérives professionnelles possibles : « Si le lecteur a l'impression que le plus important n'est pas dans le papier écrit ou dans l'interview radio mais dans les à-côtés racontés sur le blog, cela peut créer un renversement de la hiérarchie de l'information. »