Ils sont quelque 5 millions d'Arabes à s'installer, actuellement, en Amérique latine, notamment au Brésil et en Argentine, dont 5000 ressortissants sont établis au Pérou. Lors de la conférence qu'elle a animée, hier, à l'université d'Alger (fac centrale), la chercheuse péruvienne, Mme Leyla Bartet, a révélé que la présence arabe au Pérou remonte à l'époque de la conquête, car un certain nombre d'Arabes musulmans convertis au christianisme (moriscos) seraient arrivés avec les Espagnols dans les terres péruviennes. En d'autres termes, les moriscos auraient participé pendant le XVIe siècle à la fondation péruvienne. Elle relève que les moriscos n'avaient pas provoqué chez les Espagnols qui habitaient les colonies américaines le profond rejet qu'avaient suscité les juifs convertis, car il s'agissait surtout d'excellents artisans, peu fortunés qui faisaient un travail discret et utile. L'intervention de Mme Bartet, docteur en sociologie, se veut un résumé de son ouvrage, le premier consacré à ce thème au Pérou, intitulé Mémoires du cèdre et de l'olivier : la présence arabe au Pérou qui retrace le processus migratoire arabe de 1885 à 1985. Se référant au spécialiste des migrations, Edward G. Ravenstein, elle indique que l'immigration arabe vers l'Amérique n'a commencé que dans la seconde moitié du XIXe siècle, vers 1860, pour les premiers Levantins qui fuyaient la crise finale de l'empire ottoman. A partir de là, elle distingue trois périodes migratoires dans le cas du Pérou — et d'ailleurs dans celui de la plupart des pays d'Amérique latine. D'abord, de 1886 à 1914, une période qui suppose l'installation des pionniers qui quittent l'empire ottoman en pleine décadence et qui arrivent avec des passeports turcs, raison pour laquelle on les appelle « Turcs ». Il s'agit d'hommes jeunes, célibataires, chrétiens orthodoxes. Ils viennent tous du triangle chrétien composé de Beït Sahir, de Beït Yala et de Bethléem. Un certain nombre de Libanais et de juifs d'origine marocaine (mosaicos) sont également arrivés dans la région amazonienne du Pérou. La seconde période, explique-t-elle, s'étale de 1918 à 1939 qui correspond à la situation de mandats français et anglais sur la région du Levant, à la suite du démembrement de l'empire ottoman. Ces immigrants arrivent avec des passeports anglais, français ou d'autres pays voisins. Puis vint la période qui débute en 1945 et continue à nos jours. La population palestinienne fuit les guerres, le chômage, la misère et la violence injuste qui s'exerce sur elle, après la création de l'Etat d'Israël. Un nombre important de Levantins sunnites — et dans certains pays chiites — arrive en Amérique latine, même si ce sous-continent n'est plus un destin privilégié pour ces nouveaux migrants qui préfèrent partir en Australie, au Canada ou aux Etats-Unis. La partition juridique de la Palestine et l'annexion de la Cisjordanie, par le roi Abella, va indirectement favoriser chez les Palestiniens du Pérou, qui se retrouvent en quelque sorte sans patrie, une identification de plus en plus manifeste au pays d'immigration. Les Palestiniens et les Libanais arrivés à Lima dans les années 1960, 1970 et 1980 installent des boutiques dans le marché en plein air, appelé Mayorista (grossistes) même si l'on trouve aussi un commerce de détail. Peu après, les « informels » (commerce familial non déclaré) créent, vers la fin des années 1970, leur propre marché dans une rue appelée Jiron Gamarra, où l'on trouve aujourd'hui 7000 établissements qui sont source de travail pour 40 000 personnes et qui ont un chiffre d'affaires de 600 millions de dollars. Les Palestiniens et les Libanais connaissent un essor commercial remarquable grâce à leur savoir-faire. Selon l'oratrice, les Arabes sont parfaitement intégrés dans la vie nationale du Pérou, au point qu'ils occupent des postes de sénateur et député. A propos de l'identité, Mme Bartet affirme que les Palestiniens ayant grandi au Pérou se disent détenteurs d'une double identité, palestinienne et péruvienne. Une femme beyroutie, arrivée au Pérou au début des années 1950, lui a confié : « Je serai toujours à cheval entre deux mondes : là-bas, on m'appelle la Sud-Américaine, et ici on m'appelle l'Arabe ou la Libanaise. »