Vendredi 15 octobre, premier jour du Ramadhan, la télévision marocaine 2 M basée à Casa, redevenue étatique après une expérience échouée dans le privé, ouvre son JT (journal télévisé) de 20h (heure locale marocaine) sur « Le plan global de développement des provinces du Sud ». Tout est nickel dans cette salle lambrissée de « Layoune » capitale des « aqalimina el janoubia ». La mine réjouie, Driss Jettou, le Premier ministre, signe, sous l'œil vigilant de la caméra, le document exécutoire du projet en question. Pour soigner la mise en scène et faire authentique, on insiste sur les costumes d'apparat portés par des Sahraouis ou supposés... être sahraouis. Leurs djellabas bleu-gris sont mises en évidence pour dire, en pointillés, combien le retour à la mère patrie a été bénéfique. La couleur ocre-rouge de la façade imposante de lieu d'annonce de « ce programme ambitieux de mise à niveau de cette partie “aziza âalaina'' du royaume » est consolidée par une caméra généreusement insistante sur tout ce qui rappelle les symboles de l'autorité de Sa Majesté, notamment le drapeau trônant sur le fronton de l'immeuble où le cérémonial d'annonce n'avait négligé aucun détail. Sans transition, la présentatrice du JT annonce, empressée ,l'adhésion de Abassi Madani aux thèses « légitimes » marocaines sur « Sahra Elmaghribia ». Une photo fixe du père géniteur des dix années de terreur terroriste, figée en haut, à droite de l'écran, suit le commentaire de l'ex-numéro 1 dissous qui dit textuellement ceci : « Le Maroc n'abandonnera pas un mètre carré de son territoire. » Le décor pour l'escalade verbale est planté pour la suite du programme. Après un détour en images d'horreur brièvement commentées sur la guerre en Irak (là aussi on insiste sur des plans de destruction et de massacres endeuillant journellement les populations, les cités symboliques de Falloudjah et Baghdad), la présentatrice, toujours empressée, avertit qu'un « programme spécial Algérie-Maroc » va suivre. Une page pub est lancée sur deux, trois minutes, juste pour reprendre ses esprits et c'est l'ogre algérien qui est au menu des spécialistes du « dossier du conflit algéro-marocain ». Il est évident qu'il n'y avait aucun contradicteur au sein de la brochette de débatteurs invitée à donner son avis sur « cette obstination » algérienne. En bas de l'écran, cette fois-ci, une phrase en gros caractères arabes intervenait de manière régulière comme un spot. La phrase, sans verbe, disait ceci : « Le visage et le masque du jeu algérien (El ouajh oua el kinaâ fi elouba el jazaïria). Les invités à la « table ronde » consacrée dans son intégralité « au refus algérien » de se plier aux désirs marocains entament le bal dans une violence verbale et surtout des désinformations inouïes. Mohamed El Yazghi, le premier secrétaire de l'Union socialiste des forces populaires (USFP), membre du gouvernement actuel, évoque à chaque tournant de phrase « la bonne volonté de son pays » et rappelle « la main tendue du Maroc », « la suppression du visa en est la dernière preuve ». Il parle de « fraternité séculaire » qui unit les deux peuples mais n'oublie pas cependant d'insister sur la marocanité de « aqalimina el janoubia ». Il demande enfin dans un accès de colère difficilement refoulée à ce que l'Algérie cesse de saborder « les efforts du régime chérifien » dans la construction du Maghreb arabe. El Yazghi qui dit faire différence (el ferq) entre le peuple algérien et ses gouvernants (el houkam) reconnaît cependant que les dernières reconnaissances de la RASD par l'Afrique du Sud et le Nigeria constituent une défaite pour la diplomatie marocaine : « Hazima », répétera-t-il plusieurs fois. « El Barazani » (surnom donné à un transfuge du Front Polisario), visage crispé et bave blanchâtre aux commissures des lèvres, tire à bout portant sur l'Algérie. Pour lui, tous les maux marocains proviennent de l'Algérie. N'accordant aucune espèce de circonstances atténuantes ni à ses anciens camarades de lutte comme Mustapha Sayed « ni au pays qui l'a hébergé durant plus de 15 ans », il affirme sans ambages que ce qui intéresse l'Algérie de Bouteflika, c'est la façade atlantique. « El Jazaïr laha atmaâ », martèlera-t-il au bord de l'hystérie. Concernant les dernières reconnaissances, il fustige la nation de Nelson Mandela en affirmant que cette dernière n'a pas établi « des relations diplomatiques avec la RASD mais avec l'uranium du Sahara ». Arborant l'attitude du connaisseur du sérail de « l'Algérie qui commande », une Algérie dont il prétend « connaître les moindres recoins », il affirme d'un ton péremptoire que « le Polisario est une création algérienne ». Abondant dans le même sens, avec une frénésie à peine contenue, le directeur de l'hebdomadaire marocain El Ayam dit que le bruit de bottes n'est pas une vue de l'esprit et que « l'Algérie se surmilitarise pour attaquer son voisin ». Et pour donner plus d'écho à son tambour de guerre, il prédit sur un ton de complot imminent « l'acquisition par l'Algérie des 60 Sukhoys et des Mig 29 hypersophistiqués ». Le journaliste animateur qui préside l'émission « en direct » interrompt les intervenants présents autour d'une table dessinée en V pour suivre un bref reportage sur l'arrivée, à l'aéroport de Casablanca, de passagers en provenance d'Alger. Les Algériens disent tout le bien de la suppression du visa. Les gros plans insistent sur le sourire qui s'affiche sur le visage de ces voyageurs surpris par les questions des journalistes. Les commentaires n'iront pas évidemment au-delà de la formule « nous sommes contents » (ahna farhanine). La manipulation est grossière, mais on semble s'en ficher, c'est le résultat escompté qui compte. Retour sur le plateau et sur les invectives adressées à l'Algérie qui ne veut pas se rendre à la raison (el hikma). Les journalistes marocains (les titres de certains ne sont pas spécifiés) sont plus véhéments à l'endroit des houkam algériens. En direct, et se faisant aider par des références puisées notamment chez le philosophe français Régis Debray (allez savoir pourquoi cette inclination), ils affirment, sûrs de leur argumentaire, que « la liberté de ton employée chez eux ferait pâlir d'envie les Algériens ». Mohamed Bennouna, le représentant permanent du royaume alaouite auprès des Nations unies, est interviewé en duplex à partir de New York. Dans le style ampoulé qui sied aux diplomates, il tente dans un premier temps de remonter « le différend algéro-marocain » en attribuant bien sûr le beau rôle aux thèses de son pays. Il nous apprend même qu'il a eu une discussion très franche avec son homologue algérien aux Nations unies au sujet des droits inaltérables du royaume sur « akalimina el janoubia » et puis sans crier gare comme pris de colère subite, il traite ni plus ni moins les Algériens de « schizophrènes ». Le plan Baker (le représentant de Kofi Annan qui a jeté l'éponge) est longuement discuté par les présents devant des spectateurs de studio sagement assis à l'arrière. Mais là aussi, le téléspectateur ne retiendra que la main accusatrice des intervenants à l'endroit de l'Algérie et son régime « ennemi des constantes marocaines ». Bouteflika et Boumediène sont jugés plus sévèrement que les autres présidents qui se sont succédé à la tête de l'Etat algérien. Devinez pourquoi ? Le premier est né à Oujda, il se devait donc, d'après eux, d'avoir au moins la reconnaissance du lieu de naissance et donc abandonner ses principes. Le second était chef d'état-major du FLN sur des bases arrière, installées en territoire marocain, il était donc malséant qu'il se comporte ainsi envers ses alliés d'hier, même si ces derniers se transformaient... en colonisateurs. C'est en somme la morale à retenir.