La vie économique est rarement indifférente aux symboles politiques forts. Lorsqu'ils ont encore un sens. Le 24 février est de ce point de vue la date la plus parlante idéologiquement pour un pays émergent qui se bat pour sauver un noyau d'indépendance économique. Avec la nationalisation des hydrocarbures et la naissance de l'UGTA, les enjeux ne sont jamais en carton : contrôle par la collectivité des ressources naturelles et autonomie organisationnelle du mouvement syndical. La commémoration de cette journée de l'émotion a beaucoup perdu depuis quelques années de la résonance magnétique d'un mythe fondateur. Faut-il s'en plaindre ? Après tout, toutes les mesures populaires de collectivisation n'ont pas résisté à l'épreuve de l'efficience économique. Qui songerait vraiment à revendiquer avec le même éclat le 17 juin, date du lancement de la révolution agraire en 1971, une redistribution des terres sans doute nécessaire sur le fond, mais assurément vouée à l'échec dans le contexte bureaucratique des années du couple pétrole-industrie ? Non, si la symbolique du 24 février s'est étiolée ce n'est pas parce qu'elle renvoie à une impasse stratégique, pas du tout, mais bien pour des raisons inverses. Parce qu'elle demeure, à l'ère des grands renoncements politiques, le témoin fort embarrassant d'une autre ambition économique et sociale de l'Algérie d'avant. La tentative fort zélée de dénationaliser l'amont pétrolier et l'aspiration de la direction de l'UGTA dans l'appareil administratif de l'Etat dans sa période idéologique la plus opposée au symbole du 24 février ont rendu ces dernières commémorations franchement surréalistes. Le sursaut de l'été 2006 rétablit-il les apparences ? La loi amendée sur les hydrocarbures a certes renationalisé la propriété des gisements de pétrole et de gaz qui seront découverts. Mais le goût n'y est plus lorsqu'il faut réinventer pour les besoins de l'armement « patriotique » des jeunes générations, une épopée du syndicalisme survolté rencontrant des expropriations courageuses des champs pétroliers au profit de Sonatrach. Une symbiose « kitch » mais si longtemps « utile » avant la montée de l'irrationnelle islamiste. A quoi a droit aujourd'hui la date du 24 février ? A la mise au premier plan de deux des personnalités politiques les plus controversées du pays. D'une part Chakib Khelil, ministre sémillant de l'Energie et des Mines qui a conduit la réforme du secteur au pas de charge, pas toujours à tort. Mais qui est allé trop loin trop seul en offrant des cadeaux - que le recul a rapidement montré comme injustifié - aux investisseurs étrangers. Désavoué par la conjoncture des affaires énergétiques dans le monde, il n'a pas démissionné après la remise en cause par le président de la République de la loi qui a mobilisé une partie appréciable de son « énergie ». C'est un ministre qui a détricoté le 24 février qui le célèbre. Circonstance aggravante, Chakib Khelil est rattrapé par la tempête montante de l'affaire BRC, cette joint venture du secteur qui a bénéficié d'un traitement de faveur fort suspect en trustant des contrats en gré à gré sur lesquels la justice va demander des explications aux responsables de Sonatrach et fort probablement à sa tutelle. D'autre part, Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général en sursis de l'UGTA, qui a laissé le tribunal de Blida pantois en assumant un faux aux conséquences terribles pour les affiliés de la CNAS dont il présidait le conseil d'administration. Le 24 février a résisté des années au feu de l'imposture. Cette semaine, il a touché le fond dans un sordide bal des vampires.