Henri Troyat, l'écrivain français d'origine russe est mort à l'âge de 95 ans. Natif de la rue de l'Ours à Moscou, ce colosse, qui ne s'est jamais départi de ses lunettes, fut contraint, comme le furent beaucoup de ses compatriotes, de fuir cette Russie en soubresaut de l'année 1917. Un long exode le mena avec ses parents, négociants prospères sous les tsars, au Caucase avant d'arriver en 1920 à Paris, où il sera scolarisé au lycée Pasteur, à Neuilly. Toutefois, Troyat, de son vrai nom Lev Aslanovitch Tarassov, saura se faire un nom en France en dépit des péripéties qui l'ont marqué lui et sa famille. L'enfant étranger qui ne demandait qu'à se laisser séduire par sa nouvelle patrie, comme il se décrira dans son discours à l'Académie française, écrira plus de cent livres, tous époustouflants. La publication de son premier roman, qui obtiendra le Prix du roman populiste, le trouva sous les drapeaux. Besogneux patenté, sa fonction à la préfecture de la Seine ne l'empêchera jamais d'écrire des livres avec, toutefois, cette propension à ne pas trop se mêler à la vie mondaine de son époque. Bien qu'il eut été élu à l'Académie française, ce trait de caractère lui colla jusqu'à la fin de ses jours. Cet héritier des réalistes, comme s'ingénie à le soutenir une certaine critique, obtient le prix Goncourt, en 1938, pour son roman L'Araigne. Deux années plus tard, il se fera fort d'entamer une grande épopée tirée de ses souvenirs de Russie : Tant que la Terre durera suivi de cinq autres tomes dont le nom générique est Les Semailles et les Moissons. Ses biographies, qu'il considère comme des « haltes » frustrantes, sont de la plus haute facture. Un couac : cet engouement pour les grands noms de l'histoire russe ne l'empêchera pas de se faire condamner pour « contrefaçon » au soir de sa vie, au moment où il publia la biographie de Juliette de Drouet, maîtresse de cet autre atlas de la littérature française, Victor Hugo. Des sources ne s'entendent pas sur la date exacte de sa mort. Comme quoi l'homme a toujours aimé ce pied de nez à une réalité qu'il considère « comme remplie d'invraisemblances ». Faut-il rappeler que Troyat signera une pétition en faveur des harkis en mai 1998.