Le colloque sur l'écrivain et journaliste Abdelhamid Benzine (1926-2003), organisé à la Bibliothèque nationale (BN), à Alger, a été marqué, jeudi dernier, par trois interventions. Ainsi, l'écrivain et journaliste Mustapha Benfodil, dans sa communication « La littérature est-elle une langue de bois », relève que « l'expérience a montré que l'on assigne souvent aux écrivains et aux intellectuels en général » une fonction de « critiques attitrés de la société ». Et il « arrive parfois que ceux-ci soient salués et consacrés précisément » pour le caractère « iconoclaste » et « irrévérencieux de leur œuvre ». Dans cette logique, il convient de « distinguer deux attitudes globales ». A savoir, « l'engagement dans la vie publique à travers, notamment, les médias et l'engagement dans et par le texte ». La première proposition est à écarter, selon le même intervenant, du moment « où l'écricain comme citoyen peut exprimer ouvertement ses convictions politiques, religieuses ou autres, et prend fait et cause avec les choses qui lui parlent ». Il en va « autrement quand il s'agit d'une œuvre littéraire où il est beaucoup plus difficile de prendre parti sans entamer la valeur esthétique du texte ». Ainsi, qu'est-ce qu'un « bon » texte littéraire ? Existe-t-il un « modèle » de roman « canonique ? » « Qu'est-ce qui pourrait nuire à la valeur esthétique du roman ? », s'interroge Benfodil. Pour ce dernier, le sujet est « d'autant plus délicat que nous vivons des temps » où « la mode » est à la « littérature de l'urgence ». Et qu'il « pèse sur les écrivains une telle pression de la part du public, des médias et même des éditeurs qu'il est quasiment attendu d'eux d'exprimer en tout temps et en tout lieu, un point de vue tranché, y compris dans leurs livres ». Le cinéaste Jean-Pierre Lledo dans son intervention « Le film documentaire, un engagement sur le chemin de l'histoire » voit en l'engagement le fait de « ne pas rester indifférent à son environnement ». Cela dit, il faut « séparer » le citoyen de l'artiste. Comme citoyen, l'artiste peut donner un point de vue sur une question d'actualité. Mais, l'engagement artistique « ne signifie pas dénoncer mais de faire apparaître ce qui est caché. L'art, c'est le déplacement du regard. De mon côté, je n'ai jamais pensé à transformer en tract, une œuvre. Je ne fais pas la différence entre le documentaire et le cinéma ». Ces deux facettes d'expression artistique relèvent de la « représentation et construction, car il faut une scène, des points de vue, des décors et des personnages ». Pour Jean-Pierre Lledo, « nous sommes confrontés à une stratégie qui fait qu'on rase la mémoire et ceux qui la portent ». Aujourd'hui, « changer les choses est la justification de l'existence humaine ». Critique de théâtre et metteur en scène, Kamel Laïche est intervenu sur le théâtre algérien. Un théâtre qui est resté dans les années 1990 « en retrait de ce qui s'est passé en Algérie durant cette période ». Il traduit l'image « des gens qui le pratiquent ». Une approche scientifique « ne peut être appliquée sur le théâtre algérien car il est fragile. Il n'a pas ses particularités. Comme il n'y a pas de revues spécialisées en la matière. L'émergence d'une classe qui le pratique n'est pas justifiée ». Et la presse a participé au « verrouillage » du théâtre, du fait qu'elle verse dans le « copinage » et la « complaisance ». Ainsi, « encense-t-elle la médiocrité ? » L'urgence, selon le même intervenant, est de créer « un état d'esprit objectif » pour favoriser la pratique du théâtre. Certes, les deux jours du colloque ont permis un débat riche sur l'art et l'engagement. Cependant, les notions d'élite, « engagement », « intellectuels » n'ont pas été placées dans leur contexte historique. Ce qui fait, souvent, qu'il est difficile de distinguer ces notions et celle de l'écrivain. Elles étaient sujettes quelquefois aux amalgames. Un écrivain est-il un intellectuel de facto ? Un intellectuel est-il de facto un écrivain ? Un universitaire ou un chercheur est-il un intellectuel. Faut-il être universitaire pour être consacré intellectuel ? La notion d'intellectuel est consacrée avec l'affaire Dreyfus à laquelle s'est mêlé Zola. Néanmoins, n'y avait-il pas avant l'auteur de Germinal des penseurs et écrivains qui se sont impliqués au risque de leur vie dans les problèmes de leur temps, à l'exemple de Voltaire et de Jules Vallès. Pourquoi ces derniers ne sont pas vus comme intellectuels ? Alain Robbe-Grillet a signé le manifeste des 121, mais dans ses romans, à commencer par Les Gommes, qui l'a fait connaître, il n'a jamais abordé les questions auxquelles est confrontée sa société. Est-il un engagé ou un écrivain ? Si on prend à titre d'exemple la notion d'« intelligentsia », elle est consacrée en Russie en 1870. Néanmoins, comme phénomène, l'intelligentsia existe bien avant. Pourquoi elle n'était pas d'usage à l'époque en Angleterre et en Finlande à titre d'exemple ? Les notions et les courants d'idées ne peuvent être abordés sans prendre en considération la conjoncture multidimensionnelle dans laquelle ils sont nés ou qui ont provoqué leur naissance.