Un procès unique et historique, s'accordent à affirmer tous ceux qui ont eu à le suivre depuis le 8 janvier jusqu'au 8 mars derniers. Le mérite revient surtout à cette grande dame qui l'a dirigé et su imposer l'admiration et le respect, y compris chez les accusés. Fait inédit dans l'histoire de la justice. Elle surprend l'assistance lorsque, à la fin des plaidoiries, elle prend la parole, tout en sachant les risques encourus en matière de respect de la procédure, pour lancer un des plus forts messages de ce procès. D'une voix entrecoupée de sanglots, empreinte d'une grande sincérité, maître Fatiha Brahimi, la gorge nouée, commence par rendre hommage aux magistrats de réserve, assis derrière elle depuis le début de l'audience, puis éclate en larmes, sous les applaudissements de la salle. « Je parais forte devant vous, mais je suis très faible, très faible… », dit-elle en pleurant. Elle continue : « Je suis juge magistrat de siège, j'aime ce métier. J'ai connu le procureur général 15 jours avant le procès. Je ne sais pas nager, mais c'est lui qui m'a appris les détails les plus petits et les plus grands de cette affaire et cela m'a beaucoup aidé pour diriger le procès. Il m'avait dit dès le premier jour de notre contact qu'il m'aidera et m'assistera dans cette affaire, et c'est ce qu'il a fait. Jamais je ne pourrai oublier cela. Si vous allez noter ce tribunal, je vous demanderais de donner un 40 pour mes deux assesseurs et un 20 pour moi, parce que tout le mérite leur revient. Ils ont joué le plus grand rôle dans le procès et je n'ai fait que transmettre leurs idées et leurs questions. Eux aussi, la première fois que je les ai vus, c'était 15 jours avant le procès. » Elle estime qu'elle porte une lourde responsabilité, avant de révéler que le jour où elle a quitté la cour d'Alger, pour rejoindre celle de Blida, elle a beaucoup pleuré et appréhendait énormément sa nouvelle juridiction. « Le premier jour, j'ai reconnu parmi les avocats maître Ksentini que je connaissais à Alger et la peur a disparu. Je sens que je suis dans une seule famille quelle que soit la distance. Notre seul but, c'est de travailler pour la justice, pour le droit et pour les justiciables. » Maître Brahimi, malgré les grandes lunettes qui cachent une partie de son visage, n'a pu dissiper le flot de larmes. « Je vous dis que je ressens une grande responsabilité sur mes épaules, mais je ne peux oublier de rendre un grand hommage aux membres du jury qui m'ont assisté avec abnégation. L'un d'eux a enterré la première semaine du procès son frère, mais il n'a pas voulu prendre une journée. Il a juste assisté à l'enterrement avant de revenir à l'audience, dans la discrétion la plus totale. Le deuxième était malade, mais cela ne l'a pas empêché de poursuivre le procès. J'ai une très grande compassion pour eux » Elle se tourne vers les accusés et leur déclare : « J'ai toujours été entourée par des accusés depuis le début de ma carrière. Mon nom doit être dans toutes les prisons d'Alger et des villes où j'ai eu à exercer. Ces accusés sont devenus ma famille et je ne sais pas s'ils ont une mère autre que moi. Je serai clémente à leur égard autant que je peux. » Un moment très fort qui a fait fondre les âmes les plus insensibles. Mouchoirs en main, avocats, journalistes, accusés et leurs familles, gendarmes et policiers n'ont pu cacher leurs larmes. C'était émouvant. La salle venait de subir un vrai électrochoc émotionnel. Maître Aït Larbi prononce difficilement au nom de ses confrères : « Vous avez été brillante, Madame la présidente. Je n'ai jamais entendu cela. » Elle lui répond avec un charmant sourire : « J'espère seulement que vous n'allez pas utiliser ma déclaration pour faire un pourvoi en cassation. »