De toute beauté et sagesse, l'actrice Juliette Binoche est du collectif de cinéastes français révoltés plus que jamais, après leur mouvement de l'été 1996, contre l'arbitraire des lois Sarkozy sur l'expulsion des enfants d'immigrés sans papiers. Elle défend ainsi son adhésion au mouvement : « L'immigration fait partie du chemin qui mène aux autres. Aller vers soi-même, c'est aller vers l'autre. Sans immigration il n'y aurait jamais eu de civilisation, ce sont des mouvements de brassage, de rencontres, de dialogues contradictoires qui font partie de notre histoire et singulièrement de mon histoire. Ma grand mère était polonaise, mon père a vécu au Maroc. Monsieur Sarkozy est lui-même issu de l'immigration. Que veut-il ainsi prouver ? Qu'il est plus gaulois que les Français ? » La mobilisation du collectif de cinéastes français, menée actuellement en synergie avec le Réseau éducation sans frontières (Resf), est héritière déjà d'une forte et démonstrative mobilisation qui, il y a une décennie, a permis toute une production d'images incrustées dans les journaux télévisés alertant sur l'évacuation musclée de l'église Saint Bernard à Paris, l'actrice Emmanuelle Béart malmenée par des CRS. Un collectif de soixante six cinéastes avait à la suite signé un « appel à désobéissance civile » contre la loi Debré, en se déclarant « coupables d'avoir hébergé des étrangers en situation irrégulière sans les avoir dénoncé » ; et demandant à être jugé pour ce délit. L'impact formidable dans l'opinion des actions des gens du cinéma est proportionnel à sa forte médiatisation. La défaite de la droite aux législatives de 1997 en a été probablement subséquente. La mobilisation actuelle est menée par pas moins de 350 professionnels du secteur signataires d'une pétition et d'un de la distribution, ces jours-ci, d'un film intitulé « Laissez-les grandir ici ! ». Tiré à 360 copies ce document est déjà assuré de projection en avant-première dans l'ensemble du réseau des salles Art et essai de France. Film de trois minutes seulement, « Laissez-les vivre ici ! » est d'abord chargé de valeurs pédagogique et civique. Le partenariat réalisé entre les cinéastes et les animateurs de Resf a pour objectif essentiel de montrer le drame affronté par une multitude d'enfants vivante en fugitifs en France. Les chiffres officiels indiquent que sur les 33538 demandes de régularisation seules 6924 adultes ont reçu un avis favorable. Dans la présentation du film - qui n'a pas d'auteur – douze enfants de différents âges et origines lisent face à la caméra un texte qu'ils ont conçu en atelier d'écriture. Peur, insécurité et arbitraire ressortent des voix et visages juvéniles disant ces mots : « On est en danger, on doit se cacher », ou : « Est-ce que c'est normal d'avoir peur quand on va à l'école ». Le mouvement de compassion sinon de solidarité suscité dans de larges strates de la société française à la rentrée scolaire dernière où des éléments de forces de l'ordre ont investi des écoles pour y expulser des enfants sera sans doute revitalisé par cette nouvelle mobilisation par les images. Le cinéaste Robert Guédiguian est optimiste du combat : « Je crois qu'un certain racisme idéologique tombe, dès lors que les gens se retrouvent confrontés à des gens dans des situations concrètes. Parce que ça concerne des enfants qui sont dans les mêmes écoles que des Français en situation régulière, tout d'un coup quelqu'un qui pourrait dur sur l'immigration pourrait se dire : « Oui mais là, ce n'est pas pareil, lui je le connais, c'est un copain de mon fils. » Prônant un projet de société consciente de sa pluralité, comme telle déclarée par le Président Chirac lui-même, dimanche dernier dans son message d'adieu à une troisième candidature, le film collectif donne une nouvelle fraîcheur aux idéaux de laïcité et de citoyenneté, en particulier à partir du moule déterminant d'une « école pour tous ». Cette interpellation humaniste vaut signe fort à tous les candidats à la présidentielle ; elle touche du doigt aussi les fibres les plus vitales du pays.