Tout le monde a entendu parler du scandale Enron en 2001-2002 aux Etats-Unis. Cette faillite frauduleuse, la plus gigantesque de l'histoire, dispose de nombreuses similitudes avec celle du groupe Khalifa et mérite d'être détaillée pour cela. Elle montre surtout qu'en Algérie ou aux Etats-Unis, la cupidité est uniformément répartie par les incitations du tout marché. Les faillites frauduleuses ont été nombreuses aux Etats-Unis en 2001-2002 lorsqu'a éclaté la bulle internet. La plus retentissante aura été celle du courtier en énergie Enron. Les similitudes avec l'affaire Khalifa sont nombreuses. D'abord celles du contexte. On sait que le groupe Khalifa est né de la double libéralisation du secteur bancaire et du transport algérien. Enron, un exploitant de gazoducs à l'origine, est devenu un géant mondial avec 101 milliards de revenus annuels (rapportés) grâce à la déréglementation, dans les années 90, de deux secteurs aux Etats-Unis, le gaz et l'électricité. Khalifa Bank a caché ses opérations de financement des entreprises apparentées et maquillé ses comptes. Enron a monté un système complexe de camouflages de ses dettes, de sorte que ses bilans affichaient d'année en année des profits record soutenant la valeur de l'action en bourse. Khalifa Bank a entraîné dans sa chute des organismes de contrôle comme la Banque d'Algérie et a dilapidé l'argent des déposants. Enron a causé la perte d'un des cabinets comptables les plus respectés Arthur Andersen qui a confectionné pour lui des bilans « illusionnistes » sur sa situation financière alors que des banques comme JP Morgan Chase Citibank et Merryl Lynch ont vu leurs noms salis par leurs combines visant à maintenir haut les cours de l'action Enron, notamment en l'aidant à cacher dans des paradis fiscaux ses colossales dettes. Enfin dernier trait de famille entre les deux scandales : l'arrosage de la classe politique. Dans le cas d'Enron la liste est particulièrement impressionnante. Des protections solides et bien rémunérées Le prix Nobel d'économie Joseph E. Stigliz qui a décortiqué la dérive de l'ultralibéralisme dans son livre « Quand le capitalisme perd la tête », consacre un chapitre entier à l'affaire Enron. On peut y lire cette énumération renversante des « largesses » de Enron qui ne sont pas sans faire penser à ce qu'on a entendu durant deux mois au procès Khalifa de Blida. « Au sein des administrations Bush et Clinton, la liste de ceux ayant travaillé pour Enron ou reçu son argent (pour un prétendu travail ou pour une contribution de campagne) est fort longue. On y trouvait, par exemple, Robert Zoelick, le représentant au commerce de Bush, et Lawrence Lindsey, le président de son National Economic Council, qui avaient bénéficié l'un et l'autre d'envrion 50 000 dollars en qualité de consultants. L'attorney général John Ashcroft a reçu en 2000 une contribution de campagne de 574 999 dollars. Certains ont gardé des liens avec la firme après avoir quitté leur poste. L'ambassadeur des Etats-Unis en Inde - où Enron a bénéficié d'un contrat avantageux de vente d'électricité à prix garantis par l'Etat indien - est rentré au conseil d'administration d'Enron. Robert Rubin (ex-secrétaire au Trésor) est devenu président du comité exécutif du Citibank Group, l'une des banques impliquées dans un nombre d'activités douteuses de l'entreprise. Un haut responsable de l'administration Bush, Thomas White, secrétaire à l'armée de terre, avait été vice-président de Enron ». La liste pourrait être bien plus longue. Il faut juste rappeler ici que le président Bush junior était particulièrement lié au patron de Enron, Ken Lay : « Celui-ci avait largement contribué financièrement à la campagne électorale du Président qui lui demandait conseil en matière de politique énergétique. » 24 ans de prison en bout de parcours Ses protections politiques et administratives ont servi à lever les obstacles devant les opportunités d'affaires d'Enron dans un premier temps, puis à retarder au maximum des mesures prudentielles contre sa gestion lorsque les fuites ont commencé à apparaître au sujet de la réalité de ses comptes et de son endettement masqué. Ainsi Enron a quasiment financé la déréglementation du marché de l'électricité en Californie autant qu'il en a profité. Courtier en énergie gaz et électricité, ses marges ont explosé dans un marché du court terme qui s'est avéré finalement non concurrentiel. En 2001 les prix du Mégawatt-heure ont flambé dans un contexte ou en plus des coupures de courant ont touché la Californie lors d'une crise qui a passé cet Etat au 7e PIB mondial pour un pays sous-développé. Enron a réussi par son « entregent » à obtenir encore plus de déréglementation en faisant tirer un faux diagnostic à l'Etat californien. La crise n'était pas une crise de sous-capacité de production – une enquête fédéral l'a montré deux ans plus tard – mais une manipulation des vendeurs privés d'électricité dont principalement Enron dans le but d'augmenter les prix et les profits. Enron a escroqué ses salariés et actionnaires, ses partenaires d'affaires et l'Etat fédéral. Dans le premier cas par exemple, ses salariés ont vu partir en fumée plus de un milliard de dollars de leurs fonds de retraite. Bien plus il est vrai que les 4 milliards de dinars non récupérés de chez Khalifa Bank de la Caisse nationale des retraites. Il existe dans l'effondrement de Enron, aussi des délits d'initiés sur le modèle de l'affaire Khalifa ou ceux qui étaient informés de la réalité comptable ont sauvé leurs meubles. Dans le cas d'Enron, le patron Ken Lay exhortait ses salariés à garder leur action en 2001 alors que lui-même vendait en sous main. Le total des actions vendues par la direction d'Enron avant que n'éclate le scandale est estimé à 1,1 milliard de dollars. Dernier détail, la justice américaine a jugé coupables les principaux responsables d'Enron. Kenneth Lay purgera une peine de 24 ans de prison.