Un livre paru récemment en France, Députés sous influences (éditions Broché), a relancé le débat dans ce pays sur les liaisons dangereuses entre les élus du peuple et les groupes d'intérêts. Les auteurs, Hélène Constanty et Vincent Nouzille, y rapportent, dans leur enquête sur les liaisons entre députés et lobbies, une foule d'exemples montrant des méthodes douteuses de prise en charge des parlementaires : création d'associations pilotées par des députés et financées par des industriels, voyages au service de grands groupes, rémunération d'attachés parlementaires par des groupes de pression. Une révélation parmi d'autres a même suscité une plainte en justice contre le groupe Suez par les députés verts de l'Assemblée nationale. Le groupe aurait offert des voyages tous frais payés à des parlementaires à différents matchs de la Coupe du monde de football en Allemagne. Une nouvelle qui a suscité l'émoi car parallèlement Suez préparait, par voie législative, sa très controversée fusion avec GDF. Un vote en faveur de la privatisation de GDF était nécessaire pour ouvrir la voie à cette fusion. L'affaire a provoqué des réactions en chaîne, deux députés de la majorité (UMP) ont pris les devants en proposant de rendre obligatoire l'inscription des représentants des groupes de pression sur un registre public. En réalité, la pratique du groupe de pression (lobby) est reconnue depuis longtemps dans les institutions européennes mais bénéficie d'une réglementation plus contraignante. La dérive galopante du lobbying décrite en France par le livre paru va sans doute précipiter la mise en place de « règles de transparence et d'éthique permettant aux intérêts privés de présenter leur point de vue aux parlementaires qui trancheraient ensuite en fonction de l'intérêt général », comme le souhaite la majorité de droite au Parlement, la plus exposée aux retombées électorales des scandales qui couvent. Il y a des raisons de douter que les choses en France comme en Europe en restent là. Chaque jour dévoile la montée en puissance de l'influence des lobbies des grandes multinationales auprès des décideurs et des législateurs dans les pays capitalistes avancés. L'exemple américain actuel est édifiant. Au lendemain de la série de faillites frauduleuses de grandes entreprises américaines (Enron Corld Com…), une loi, la loi Sarbanes-Oxley, était venue donner un tour de vis aux pratiques comptables des managers visant à gonfler artificiellement la capitalisation boursière de leurs entreprises. Selon le New York Times, deux influents groupes préparent des recommandations visant à réduire la capacité des investisseurs à entamer des procédures en nom collectif (class actions), à contenir les coûts associés à la loi Sarbanes-Oxley (qui renforce la législation boursière et comptable) et à limiter la responsabilité des cabinets comptables lorsqu'un de leurs clients est poursuivi en justice. D'après le quotidien, ces réseaux entretiennent des relations étroites avec l'administration Bush. Aux Etats-Unis, paradis nudiste du lobbying à découvert, le mélange des genres est naturel. Ainsi le premier de ces groupes, visant à rétablir le droit pour les entreprises de déplumer petits actionnaires et petits épargnants, était dirigé jusqu'à la mi-octobre par Robert K. Steel, membre de la Chambre de commerce des Etats-Unis, lobby patronal au sein duquel il dirigeait un comité militant pour l'assouplissement du cadre réglementant les marchés financiers. Depuis vendredi dernier, Robert K. Steel occupe le poste de sous-secrétaire au Trésor, chargé des affaires financières nationales. Le second réseau semble plus influent encore. Surnommé « comité Paulson » à Washington, en référence au secrétaire au Trésor, Henry Paulson, il est formé autour de Glenn Hubbard, ancien conseiller économique de George W. Bush, et compte parmi ses membres Donald Evans, ancien secrétaire au commerce du président, et Samuel A. DiPiazza Jr, le directeur général de Pricewaterhouse-Coopers. Le voyage au mondial allemand des députés français offert par Suez paraît presque anecdotique devant la permissivité américaine.