Le ministère de l'Education nationale vient d'organiser un colloque international sur l'éducation civique. Des lecteurs déconnectés de la vie scolaire se sont empressés de nous demander si cette matière était enseignée en Algérie. Nous tenons à les réconforter. Elle a sa place dans les emplois du temps des petits algériens depuis l'indépendance. Quoique des fluctuations d'ordre idéologique mais aussi méthodologiques aient quelque peu perturbé son déploiement, notamment par un chevauchement avec l'éducation morale dans un premier temps, puis avec l'éducation religieuse, l'éducation nutritionnelle, l'éducation environnementale et d'autres encore. Le bon sens aurait voulu que toutes ces matières soient harmonisées dans une seule et unique discipline scolaire. Ne visent-elles pas les mêmes finalités ? A quoi rimerait l'éducation civique — aussi raffinée soit elle — si elle n'intègre pas l'écologie, la sécurité routière, la paix et la compréhension internationales, la lutte contre les féaux sociaux ou la nutrition ? Finalité L'horloge de la Terre sonne le tocsin : elle est en danger de mort, selon les scientifiques. Les médecins vont dans le même sens. L'apparition de fléaux d'origine humaine (tabagisme, drogue, obésité, diabète…) vient hypothéquer les avancées enregistrées dans le domaine de l'allongement de la durée de vie des humains. Ils (ces fléaux) tuent des personnes de plus en plus jeunes. A l'orée de ce millénaire et à l'échelle planétaire, une unanimité se dégage en direction d'une mobilisation pour « le sauvetage de la Terre et de l'humain. » Le combat pour la sauvegarde de la biodiversité, chère aux militants écologiques, a besoin d'intégrer l'espèce humaine. Cela va de soi. Plusieurs pistes sont abordées par les scientifiques. Elles sont minutieusement analysées et débouchent sur des propositions concrètes. Tous les segments de la société sont interpellés pour apporter leur contribution. Aux Etats, il est demandé d'actionner les moyens législatifs de répression et de mettre en place des stratégies de développement durable. Aux simples citoyens le geste simple mais qui — répété régulièrement et à très grande échelle — peut participer au sauvetage de la planète. C'est la collecte et le tri des déchets domestiques, la lutte contre le gaspillage des énergies (eau , électricité), le frein à la pollution de la couche d'ozone (gaz des voitures), à la déforestation et au braconnage qui détruit la biodiversité (faune, flore et poissons), le respect des normes alimentaires et l'hygiène de vie… En réalité, si toutes ces actions sont indispensables et vivement souhaitées, il n'en demeure pas moins qu'elles posent problème. Il n'est pas facile d'exiger d'un adulte qu'il épouse au pied levé de telles recommandations alors qu'il est formaté, sa vie durant dans un bain et une logique de consommation effrénée. Avec en sus de mauvaises habitudes héritées de l'enfance. Allez demander aux gros patrons de multinationales d'accepter de réduire leur production donc leurs gains ou aux automobilistes entichés de grandes vitesses d'acheter une petite cylindrée au biocarburant ? Au risque de nous répéter – nous en avons déjà parlé dans ces colonnes – il ne peut y avoir de développement durable sans le préalable d'une éducation scolaire durable. On y ajoute le qualificatif « scolaire » pour la simple raison que l'individu passe au bas mot le tiers de sa vie dans une institution éducative, du préscolaire à l'université. Cela ne doit pas empêcher la famille et d'autres institutions de s'y impliquer. Les médias, les maisons de jeunes, les associations civiles se doivent d'intégrer dans leurs programmes des activités spécifiques à cette éducation. Leur engagement est nécessaire pour en renforcer les bases. Méthode L'éducation durable ne peut servir de moteur au développement durable qu'à condition de lui offrir les éléments d'une véritable stratégie pédagogique. A ce titre, les moyens mis en œuvre sur les plans organisationnel et méthodologique donneront vie et consistance aux contenus des activités. Ainsi sera atteint le but ultime : asseoir les fondements intellectuels et culturels d'une citoyenneté universelle. Certes, l'école transmet des valeurs que tout le monde connaît et souhaite les voir reprises par les enfants. Le plaidoyer pour ces valeurs a longuement été présenté par d'éminents éducateurs, politiciens et scientifiques de tous bords : la paix et la compréhension mondiales, la tolérance et le respect de l'autre, le vivre ensemble, la promotion de l'environnement et de la santé individuelle, etc. Les pessimistes vous répliqueront que « depuis assez longtemps, les systèmes scolaires du monde entier enseignent ces valeurs sans grands succès ». Ils ont raison. Ce qui a manqué à cette transmission des valeurs via l'école c'est le « comment du pourquoi ? » Comment agir auprès de l'élève pour susciter et ancrer en lui des attitudes, des réflexes et des comportements appropriés à cette éducation durable ? Là est la problématique. Contrairement aux autres disciplines dites classiques – mathématiques, physiques, langues – qui, elles, visent à développer un ordre spécial d'aptitudes et de connaissances nécessaires à la maîtrise du champ disciplinaire, l'éducation durable, elle, se meut dans une sphère particulière. Si les premières s'adressent essentiellement à l'esprit, l'éducation durable, au contraire, vise d'abord la sphère psychoaffective avant de toucher la sphère intellectuelle. Dans son architecture, qui doit rassembler en toute cohérence les matières dites éducatives (civique, environnementale, nutritionnelle, sanitaire…), l'éducation durable a pour finalité de compléter l'éducation intellectuelle, trop souvent majorée à l'excès. Elle cherche d'abord à provoquer le déclic émotionnel, susciter des sentiments et mettre l'enfant en appétence pour recevoir des explications approfondies. Arrivé à ce stade, l'enseignant peut et doit outiller son élève de ces concepts scientifiques qui expliquent et analysent les phénomènes présentés. A condition de veiller à les adapter à son niveau scolaire. Chez les enfants du préscolaire ou les élèves du primaire, l'éducation routière, par exemple, sera confinée, dans un premier temps, au rôle du piéton. Le choc des images d'un piéton heurté par une voiture suffira pour créer le climat nécessaire à ces explications. On parlera de l'utilité du trottoir, de la chaussée, des feux tricolores, du passage piéton, des excès de vitesse... Chez le lycéen, la famine et la sécheresse dans les pays pauvres seront expliquées à grand renfort d'images et de documentaires. On y abordera la dégradation du climat et la responsabilité des puissances industrielles, l'inconscience des habitants dans la déforestation. L'approche méthodologique à même de donner l'impact souhaité à cette éducation durable se décline en deux directions. Ses thèmes dans toute leur diversité (écologie, sécurité routière, nutrition, morale, civisme, paix mondiale…) seront étudiés dans une double approche : transdisciplinaire à travers la quasi-totalité des disciplines enseignées en classe (maths, physique, langues, arts, sport…) et disciplinaire. Cette deuxième approche consistera à regrouper toutes ces matières fondatrices de l'éducation durable (civique, morale, religieuse, environnementale, sanitaire, nutritionnelle..) dans une seule discipline. L'intitulé de la discipline est tout trouvé : « La citoyenneté universelle ». Elle viendra orner l'emploi du temps des élèves du monde entier. Cette nouvelle discipline scolaire disposera d'une gestion pédagogique spécifique et n'aura pas à souffrir de la logique de l'évaluation classique. Stimulante et captivante, elle pourra transmettre aux « futurs citoyens du monde » ces valeurs universelles qui transcendent – sans s'y opposer – les différences culturelles. A l'orée de ce IIIe millénaire, notre mère la Terre mérite bien ce cadeau.