Le dernier numéro de la revue Maghreb Machrek est consacré à la Mauritanie dont le peuple semble en voie de réussir une expérience électorale porteuse d'espoir. L'ouvrage intitulé Mauritanie : le devenir d'un Etat charnière, réalisé sous la direction du sociologue et géographe algérien Ali Bensaâd, a été présenté par ce dernier à Nouakchott il y a quelques semaines. Dans cette livraison entièrement consacrée à un « pays charnière », Ali Bensaâd aborde le positionnement géographique de la Mauritanie et ses implications géopolitiques sur le devenir de ce pays aux confins du monde arabe et africain. « Complexe géopolitique », à la double marginalité et aux frontières multiples, il reste, selon lui, malgré les stabilisations connues depuis l'indépendance, confronté au double péril de la marginalité et de la fragmentation sous l'effet des fractures ethno-nationalistes non résorbées et la réactivation des identités « primordiales » instrumentalisées dans des stratégies de pouvoir et des luttes de classement social. Mais, espace charnière entre Maghreb et Sahel, grâce à la réactivation des circulations transahariennes, il se retrouve de nouveau articulé à ces deux mondes et au-delà de sa restitution au rôle de « pont » entre eux, il conforte, dans une circulation eurafricaine plus large, une identité de « nœud géopolitique » porteuse d'un potentiel de dépassement de sa « double marginalité » et des fractures qui le traversent. C'est par l'évolution du pouvoir politique en Mauritanie, qu'est abordé le devenir de la Mauritanie par Abdel Wedoud Ould Cheikh. Il esquisse d'abord un tableau sociologique et historique du jeune Etat, en soulignant les transformations démographiques ainsi que la prégnance des cadres sociaux « traditionnels ». Il aborde ensuite l'évolution des structures étatiques qu'il analyse à la lumière de ce qu'il appelle l'héritage culturel sultanien. Il montre comment l'influence de cet héritage s'exerce pour transformer le fragile legs bureaucratique colonial en un dispositif autocratique, aiguillé par une corruption affichant une montée en puissance au cours des 25 dernières années. Ce devenir, Francis de Chassey le situe historiquement à travers celui des sociétés traditionnelles face au processus de colonisation-décolonisation et l'effet de déstructuration-restructuration induit sur elles et sur leur évolution. Selon l'auteur, la société moderne ne s'impose pas aux sociétés traditionnelles sans que celles-ci ne lui résistent et ne l'adaptent pour produire des valeurs et des formes sociales syncrétiques avec leurs contradictions. Ces évolutions, Vincent Bisson les étudie à partir de la période post-indépendance et au travers du phénomène de réactivation du « tribalisme ». La sédentarisation des nomades de Mauritanie, en voie d'achèvement, s'est traduite par un redéploiement des tribus maures en direction des villes et des régions méridionales, de peuplement noir africain, et par un renforcement du pouvoir central, aux mains de la notabilité maure. Parce qu'il est le lieu de confluences des questions ethniques, tribales, identitaires, religieuses, le système éducatif mauritanien cristallise les luttes autour du devenir du pays, notamment au travers des querelles linguistiques. Aurélie Candalot l'aborde donc au travers de la dimension linguistique, celle-ci restant la dimension essentielle dans les politiques éducatives connues par la Mauritanie indépendante. L'agriculture est également le reflet des évolutions du pays, y compris dans sa confrontation à la mondialisation. Ainsi, Marc Côte aborde comment cette agriculture, de subsistance pour l'essentiel, notamment dans sa partie centrale historique et aride, a réussi à surmonter la période de dure sécheresse, mais est pénétrée par la mondialisation, discrètement à travers ses acteurs et son autre financement, brutalement à travers le déficit alimentaire. Le bouleversement majeur, qui pèse sur le devenir de ce pays, est assurément le vigoureux processus d'urbanisation qu'il a connu. Pays le moins urbanisé d'Afrique de l'Ouest avec à peine 3% de sa population vivant dans des villes dont aucune ne dépassait les 10 000 habitants, la Mauritanie est aujourd'hui majoritairement peuplée de citadins dont plus d'un quart se concentre dans la seule capitale qui connaît un taux de croissance exceptionnel qui, malgré le ralentissement récent, reste au niveau de 9% par an ! Anne-Marie Frérot, Blandine Destremau et Philippe Tanguy abordent l'évolution de Nouakchott au travers des risques générés par sa croissance où elle inclut également les frustrations et les violences sociétales, sources d'insécurité. Et c'est justement sur la pauvreté dans ce pays qui figure parmi les pays les moins avancés (PMA), pays les plus pauvres de la planète, que se conclut ce numéro. Philippe Tanguy y aborde comment la pauvreté est devenue une « question sociale » dans le cadre d'un processus de recomposition du système référentiel de la société mauritanienne et dans lequel la pauvreté constitue une catégorie phare, emblématique, qui participe d'une nouvelle matrice de valeurs référentielles.