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Oui, l'Algérie est en droit de revendiquer un rôle régional (suite et fin)
Réponse à Abdellatif Filali, ancien premier ministre du Maroc
Publié dans El Watan le 10 - 09 - 2008

Observons au passage que toute concertation maghrébine en matière de politique étrangère pendant notre guerre de libération était nécessairement limitée car « aux termes d'un accord diplomatique avec la France, cette dernière assurait la représentation diplomatique du Maroc et de la Tunisie, auprès des Etats dans lesquels ces deux pays ne disposaient pas de représentation diplomatique permanente »(7).
Cette forme de coopération mettait la diplomatie du GPRA en difficulté là où ces deux pays n'étaient pas représentés, et nuisait à son travail de sensibilisation et de propagande. Malgré ces aveux, l'auteur persiste dans cette entreprise de mauvaise foi, en accablant le « nationalisme algérien » de tous les maux, parce qu'« il voulait s'imposer à toute la région… ce qui était une erreur de la part de nos voisins algériens » (p 99). Sans vouloir rouvrir les plaies du passé mal cicatrisées chez les passéistes, ou évoquer des souvenirs gênants pour certains, il est bon de rappeler pour la justesse de l'analyse, que notre pays a été toujours à l'avant-garde de la cause maghrébine :
Politiquement, la revendication indépendantiste algérienne s'est confondue avec la conscience maghrébine dès la naissance en 1926, de l'Etoile nord-africaine, premier mouvement nationaliste régional à insérer sa lutte dans un cadre nord-africain et à revendiquer l'indépendance des trois pays.
Militairement, il a payé un lourd tribut du sang de ses enfants pour hâter l'accession du Maroc et de la Tunisie à l'indépendance. En effet, l'Algérie a continué seule sa lutte armée malgré l'existence d'au moins deux accords secrets créant un front commun de libération et excluant des cessez-le-feu séparés : le premier, conclu début 1955, entre les dirigeants du FL N, de l'Istiqlal et du Néo-Destour(8) ; le deuxième, dévoilé par Allal El Fassi lui-même, leader de l'Istiqlal, qui proclama le 4 octobre 1955, alors qu'il venait d'être élu secrétaire général du « Comité de libération du Maghreb Arabe » après Habib Bourguiba, que « le Front de libération algérienne et la résistance marocaine ont unifié les deux mouvements en une Armée de libération du Maghreb arabe » (9). D'ailleurs, en quittant la Tunisie et le Maroc, la puissance de feu des forces armées coloniales allait se concentrer sur l'Algérie et c'est Christian Pineau, Ministre français des affaires étrangères, qui le reconnaît sans ambages devant le Parlement, le 2 Juin 1956, en notant que si la France avait jeté du lest en Tunisie et au Maroc, en concluant à l'amiable, l'accession à l'indépendance, c'était pour mieux se concentrer sur l'Algérie (10).
Ce que Boumediène, en connaissance de cause pour avoir été chef d'état-major de l'Armée de libération Nationale durant notre guerre de libération confirmera : « Si la guerre s'était poursuivie dans l'ensemble du Maghreb arabe de Tanger à Gabès, comme le FLN n'avait jamais cessé de la préconiser, aurait-il été possible à l'armée coloniale de contrôler toute cette région en révolte, et l'Algérie aurait-elle été obligée de sacrifier le dixième de sa population ? »(11). Heureusement que des dirigeants marocains crédibles reconnaissent publiquement ces sacrifices au profit du Grand Maghreb. Allal El-Fassi en est un, lui qui déclare à la séance de clôture de la Conférence de Tanger : « Gloire à nos frères Algériens qui, vaillamment, continuent seuls d'accomplir leur devoir. Leur persévérance dans la lutte a été le facteur déterminant pour la résurrection de la Réalité Maghrébine »(12).
Devenue indépendante, l'Algérie a contribué à donner à ce rêve unitaire une assise à la fois politique et économique : délimitation des frontières qui étaient autant de bombes à retardement léguées par le colonialisme pour maintenir une atmosphère d'hostilité et de suspicion ; construction de deux gazoducs qui traversent la Tunisie à l'est et le Maroc à l'ouest, contribuant ainsi, par un apport financier permanent et non négligeable, à améliorer les conditions de vie de nos voisins ; réconciliation maroco-mauritanienne évitant à la région un nouveau conflit. Boumediène s'était toujours interdit de profiter des faiblesses de la monarchie marocaine pour provoquer sa chute au moment où celle-ci était au bord du précipice. Pourtant, la coexistence ne peut être facile entre deux régimes politiques aux orientations diamétralement opposées : une monarchie conservatrice fondée sur des liens de sang et un régime révolutionnaire émanant de la volonté populaire. Il suffisait pour lui, par exemple, de lever le petit doigt lors de la sanglante tentative de coup d'Etat militaire de Skhirat en juillet 1971 pour que l'histoire prenne un autre cours dans ce pays frère. J'étais journaliste à la Télévision, et je me rappelle, ce jour-là du 10 juillet, de cette voix féminine qui répétait à intervalles réguliers en arabe sur les ondes de Radio-Rabat : le Roi est mort, vive la République. Où serait Filali aujourd'hui, si l'Algérie avait soutenu les putschistes ? Hélas, le roi du Maroc n'a pas eu la même attitude à l'égard de notre pays chaque fois que celui-ci se heurtait à des difficultés.
Par contre, quel est l'apport du Maroc à la construction du Grand Maghreb ? Le bilan est triste : deux guerres d'agression contre l'Algérie en 1963, et contre le peuple sahraoui depuis 1975 ouvrant la porte à une course d'armement effrénée au détriment du développement national et du bien-être du citoyen maghrébin ; onze tentatives de destabilisation de la Mauritanie revendiquée elle-aussi longtemps pour sa « marocanité » ! puis l'implication de celle ci dans cette guerre d'agression. Et quand le nouveau régime de Nouakchott a engagé le processus de désengagement militaire du Sahara-Occidental après la chute de Ould Daddah, l'aviation marocaine n'a pas hésité à bombarder Nouadhibou et la Guerra à la fin de juillet 1980 pour le dissuader de continuer dans cette voie salutaire. On peut ajouter à ce « livre d'or », le retard de 15 ans mis pour la ratification de l'accord frontalier avec l'Algérie, semant ainsi une crise de confiance entre les deux pays ; et c'est un allié du Roi Hassan II, l'ancien président mauritanien Ould Daddah qui le dit : « En vérité, la guerre du Sahara n'aurait pas eu lieu, si le Roi du Maroc avait ratifié les accords de Rabat » (13).
Sahara Occidental : L'Algérie derrière tous les maux !
Parlant de cette question sahraouie, Filali prétend que « l'Algérie de Boumediène s'en est emparée pour en faire une machine de guerre contre le Maroc » (p 113). Il y trouve « une des raisons qui fait (qu'il) ne croit plus au Maghreb arabe » (p 127), alors que l'idée de celui-ci a déjà été enterré, pour lui, comme on vient de le voir en 1963 ! Je dispenserai le lecteur ici de l'argumentation marocaine pour justifier l'invasion du Sahara -Occidental, tant elle est si bien connue qu'elle n'a même pas convaincu la Cour Internationale de justice de l'aveu même de l'auteur qui écrit : « La Cour (de La Haye) n'a pas tranché » (p 115). Je me contenterai d'un exemple d'interprétation tendancieuse qui masque le désarroi de la diplomatie de Rabat, passée maitresse dans l'art de semer la confusion. L'auteur écrit à la page 119, à propos du vote par l'ONU de deux résolutions en décembre 1975 : « La 4e Commission sera saisie de deux projets de résolution, l'un algérien demandant l'auto-détermination d'un peuple qui aspire à son indépendance, le second soutenu par le Maroc demandant la reconnaissance des accords de Madrid qui constituaient la nouvelle base des relations hispano-marocaines. La Commission votera les deux résolutions, ce qui représentait un immense confort pour le Maroc ». Filali a oublié de préciser que le projet de son pays a obtenu 54 voix dont celle d'Israël, contre 88 voix pour le projet soutenu par l'Algérie. Autrement dit, la communauté internationale s'est prononcée à une écrasante majorité en faveur du droit du peuple sahraoui à l'auto-détermination et a rejeté les accords de Madrid qui entérinent le fait accompli.
Rien d'étonnant dès lors, s'il se déchaine contre tous les dirigeants algériens qu'il « n'ose même plus regarder en face », mais avec lesquels, il a été « malheureusement obligé de travailler, sans que le cœur n'y ait été. Bien au contraire » (p 121). Ainsi lit-on, les Algériens ont réussi à « manipuler l'ONU pour l'introduire dans la solution du conflit » (p 119), à faire « le siège de l'Afrique moyennant finance »… « à acheter, oui avec de l'argent, les révolutionnaires angolais, mozambicains ou ceux qui venaient des îles au large de Dakar ou de la Guinée » (p 121). Ce que Filali omet de dire, c'est que l'Algérie a refusé la transaction de son souverain : la ratification de l'accord frontalier contre la liberté d'action marocaine au Sahara-Occidental ; et c'est encore l'allié de Hassan II qui le révèle en prêtant les propos suivants à Boumediène : « Je connais la chanson que Hassan II répète à qui veut l'entendre. Il veut conclure un marché avec moi : je chasse le Polisario et il ratifie l'accord des frontières. Mais je ne conclurai pas de marché avec lui pour deux raisons. D'une part, parce que rien ne me garantit qu'il respectera son nouvel engagement plus qu'il n'a respecté le précédent. D'autre part, parce que pour moi, le fait de donner refuge au Polisario et de l'aider à libérer son pays découle d'un principe de base de la politique algérienne : le soutien à tous les mouvements de libération qui luttent pour l'indépendance de leur pays. »(14)
Cessons de grâce de jouer sur la sensiblerie des foules pour mieux noyer les protestations dans le sang et justifier tous les abus. Initialement, la propagande marocaine présentait le problème sahraoui comme « une affaire personnelle de Boumediène » ; avec Chadli Benjedid, elle cible Ahmed Taleb Ibrahimi, alors ministre des Affaires étrangères, comme obstacle à la solution. Taleb parti, on entend dans les couloirs de l'ONU à New-York qu'« Alger fait du Taleb sans Taleb ». Aujourd'hui, c'est Bouteflika qui constitue l'obstacle parce qu'il cherche à détruire le Maroc !
BoumediÈne, Bouteflika, Taleb
C'est cette politique de l'autruche qui maintient toujours la région dans un état de tension préjudiciable aux intérêts de nos peuples qui aspirent à un avenir meilleur dans une solidarité fraternelle retrouvée. Et c'est cette politique des deux poids deux mesures qui obstrue l'avenir : Filali reconnait aux Kurdes irakiens le droit à l'autodétermination (p. 225) et le dénie au peuple sahraoui. Or, les Kurdes vivent à l'intérieur d'un Etat unitaire dont ils sont partie intégrante. Trois dirigeants sont nommément cités : Boumediène, Bouteflika et Taleb Ibrahimi : les deux premiers avaient l'ambition de faire de l'Algérie « le maître de la région » (p 117), et d'« atteindre d'une façon ou d'une autre, l'Atlantique » (p 115). Pour cela, « ils se sont mis au service de Franco dans l'affaire saharienne ». L'Algérie a-t-elle tenté un jour d'agrandir son territoire pour qu'on lui prête des intentions de domination et d'hégémonie ? Est-ce raisonnable que celui qui se met au service de Franco abrite en même temps sur son territoire un mouvement d'opposition hostile au régime de Franco, et lui fournit aide et assistance ? Taleb Ibrahimi le surprend : « Vous imaginez Ahmed Taleb Ibrahimi dont le père était un grand penseur algérien et un ami de Mohamed V, prendre la position qu'il a prise concernant le Maroc et ses relations avec l'Espagne ? »
(p 122). Néanmoins, celui qui semble lui faire le plus de mal, c'est Bouteflika parce qu'« il continue à jouer la carte anti-marocaine » (p 122), « rénove l'armement de l'armée algérienne », en vue de faire de l'Algérie « la première puissance d'Afrique du Nord » (p 131). Et de se demander en conséquence : « Comment le Maroc peut-il vivre au sein du Maghreb Arabe, avec un chef d'Etat exclusivement obsédé, depuis que je le connais, par la destruction du Maroc où il est né, et où il a grandi ? » (p 129). Ainsi, reproche-t-il à Boumediéne et à Bouteflika une volonté hégémonique, outre l'ingratitude que ce dernier partage avec Taleb. Bouteflika, en raison de son lieu de naissance présumé, et Taleb à cause de l'amitié de son père avec le roi Mohamed V. Tous les deux auraient dû servir les intérêts de « Sa Majesté », quitte à trahir leur propre pays ! Dans ce cas, Filali aurait-il mis en doute le patriotisme des deux enfants d'Allal El Fassi, A. et H., nés au Caire, au moment où les relations étaient tendues entre l'Egypte et le Maroc ?
Non, Monsieur Filali, vous allez un peu vite en besogne ! Personne ne peut reprocher à l'Algérie de revendiquer un rôle régional que lui dictent ses moyens, l'idée qu'elle se fait de son histoire, l'étendue de son territoire et sa position géostratégique. La politique de puissance n'est pas toute fois à confondre avec la politique de grandeur. C'est notre destin dont nous sommes fiers et c'est Hassan II qui le répète : « la géographie est la seule composante invariable de l'histoire » (15). De même, personne ne peut choisir son lieu de naissance, à moins que vous soyez l'exception qui confirme la règle. L'hérédité se transmet par le sang et non par le sol. Ayant fait des études de droit à Paris, vous devez certainement faire la différence entre jus soli et jus sanguini. Et si beaucoup d'Algériens sont nés à l'étranger, c'est précisément l'une des conséquences du régime colonial – dont votre famille n'a pas souffert - qui a condamné leurs ascendants à fuir leur pays en attendant la fin du cauchemar. D'ailleurs, certains par leurs compétences ont accédé à des postes importants dans les rouages de l'Etat au Maghreb et au Machrek. Vous en mentionnez deux pour votre pays : Maameri et El- Moqri.
Quant à l'amitié qui s'est nouée entre Cheikh Bachir Ibrahimi et le roi Mohammed V, vous ne dites mot sur son origine. Et pourtant, cette amitié n'est pas spontanée. Elle est née des positions prises par le Cheikh contre la destitution, par les autorités coloniales, du Roi en 1953, positions de principe qui expriment la solidarité du peuple algérien avec son frère le peuple marocain. Elles sont d'autant plus méritoires que le Cheikh ne s'est jamais rendu dans le royaume jusqu'à sa mort en 1965. Ses articles publiés dans la revue « El-Bassaïr », ont contribué à insuffler courage et détermination aux militants marocains qui les faisaient circuler sous le manteau, pour ne pas éveiller l'attention de la police. Ingratitude ou omission, le roi Hassan II dans ses deux livres Le Défi et Mémoire d'un Roi passe sous silence et ces articles, et la vague de solidarité du monde musulman avec sa famille. Par contre, « il rend un hommage reconnaissant à tous les Français qui ont soutenu son père dans son épreuve »(16).
D'ailleurs, celui-ci est devenu roi, grâce à deux Algériens qui l'ont choisi pour succéder à son père Moulay Youssef en 1927. C'est vous qui l'écrivez à la page 41 : « Dans l'affaire de la succession, à la mort du Sultan Moulay Youssef, deux personnages vont jouer un rôle décisif : El-Moqri, et Maâmeri, deux Algériens fidèles à la résidence, et conseillers de Moulay Youssef. Ce dernier a laissé quatre fils dont le plus jeune Mohamed est alors âgé de 18 ans. On ne réfléchira pas longtemps car El-Moqri et Maâmeri ont déjà fait leur choix en faveur du jeune Mohamed Ben Youssef avec l'idée que, ne connaissant rien à la vie du pays, il ne poserait aucun problème »… « c'est ainsi que le 18 novembre 1927, Mohamed Ben Youssef est devenu Sultan du Maroc » (p 40). De ma vie, je n'ai entendu évoquer dans mon entourage, cet épisode, et au plus fort de la crise entre les deux pays, aucune voix ne s'est élevée pour traiter Hassan II de renégat, ou pour lui rappeler, que sans les Algériens, il n'aurait jamais été probablement roi.
On peut mieux comprendre aujourd'hui, à la lecture de ce livre, pourquoi le Grand Maghreb, cinquante ans après l'accession de ses membres à l'indépendance, tarde à voir le jour, et pourquoi les relations algéro-marocaines demeurent tendues, aggravées par la fermeture des frontières terrestres et la crise de confiance qui sévit entre les deux capitales. C'est que « le Maroc avait toujours, depuis un passé lointain, choisi la ligne deforce Nord-Sud, plutôt que l'Est et l'Orient » (p168). Libéré de cette obligation morale que dictent une histoire commune et un destin commun sur une même étendue géographique, il s'est longtemps associé sans conviction à toute œuvre unioniste maghrébine pour mieux masquer sa maghréphobiecertaine. Les propos de Filali le confirment, on ne peut plus. Il fait partie de cette tendance anti-maghrébine forte, mais isolée au sein du peuple marocain qu'il aurait d'ailleurs souhaité déplacer pour ne pas vivre dans un entourage « indigne » : le F-Polisario « des mercenaires », les Algériens « infréquentables », la Tunisie « pays de la peur où les gens n'osent plus parler » (p153), « Kadhafi au pouvoir depuis plus de trente ans, ce n'est pas possible … » (p129) On peut, peut être, trouver une explication sentimentale à cet acharnement contre l'Algérie, dans l'effet de frustration ressenti par l'auteur de quitter la scène politique au soir de sa vie, sur un échec, sans laisser de trace dans l'histoire, telle une ride sur l'eau : exclusion du Maroc de l'OUA provoquant son isolement en Afrique, rejet de sa demande d'adhésion à la communauté économique européenne, impliquant l'effondrement du choix de « sa ligne de force Nord-Sud », fermeture de la frontière algéro-marocaine aggravant les difficultés sociales du pays, enlisement dans les sables du Sahara Occidental mettant le régime dans une impasse…
Que propose-t-il tout de même, pour l'édification d'un Maghreb arabe uni ? Pour le Sahara Occidental, rester sur place, c'est-à-dire perpétuer l'état de tension et de belligérance dans la région, et maintenir la menace d'ingérence étrangère à nos frontières. Pour le reste, satisfaire le besoin de démocratie et d'alternance au pouvoir des peuples, sans toutefois préciser si cela doit concerner aussi ceux qui règnent en vertu du droit de naissance. L'omission ici est significative. Et comme Filali invite ses lecteurs à suivre l'exemple des « Européens qui n'avaient pas autant que nous de ferment d'unité » (p.128), l'étude de cette expérience démontre que l'Union européenne s'est construite avec des hommes qui ont su transcender les antagonismes et les rancunes du passé pour se projeter dans l'avenir. D'abord, Adenauer et de Gaulle qui ont scellé la réconciliation franco-allemande en 1963, puis le chancelier Helmut Kohl qui a eu le courage de trancher en faveur de la réunification des deux parties de l'Allemagne, en acceptant la frontière Oder Neisse avec la Pologne.
Il l'a fait avec autant de mérite qu'il a risqué son devenir politique, en se mettant au dessus de la surenchère électorale de l'extrême droite qui revendiquait les territoires du Grand Reich. Décision difficile, certes - comment reconnait-on autrement un homme d'Etat ? Car il fallait abandonner à la Pologne près de cent mille km2 du Reich allemand d'avant-guerre. Il n'a pas pour autant sacrifié les Allemands expulsés de la Silésie polonaise et de la Tchécoslovaquie en 1945. Tous se retrouvent aujourd'hui citoyens à part entière de l'Union européenne, circulant librement, sans passeport ni entraves douanières, et pouvant élire domicile sur n'importe quel point de l'espace formé par les 27 Etats membres de l'Union, y compris à l'intérieur des territoires autrefois contestés. La construction européenne a été une solution au problème franco-allemand. Son modèle pourra servir d'exemple au conflit maroco-sahraoui. Et comme dans le premier cas, l'Allemagne de Bismarck ne reviendra plus, nos voisins doivent avoir suffisamment de sagesse et de réalisme pour admettre que le Maroc du Grand Maroc fait partie d'un passé révolu à jamais.
Il nous faudra donc, nous les Maghrébins, une nouvelle approche pour ne pas rester en retrait du développement historique et continuer à être entrainés vers une mêlée confuse où nous réagirons à nos malheurs en nous déchirant les uns les autres. Il nous faudra des hommes de conviction et non des hommes de circonstance pour se libérer du présent fugitif et gérer le cours de l'Histoire au mieux des intérêts de nos peuples réunis dans une union librement consentie de Nouakchott à Bengazi. Dans ce cas, le livre d'Abdellatif Filali, même s'il a comblé les vœux du clan maghrephobe qui se déchaine sans relâche contre l'Algérie, aura servi au moins, à relancer le débat sur une toile de fond claire.
(7) La France et le Tiers-Monde – La Documentation française n°4701/4702/14 janvier 1983 – page 65 – Paris 1983
(8) Paul Balta, citant Boumediène dans : Le grand Maghreb : des indépendances à l'an 2000, page 22 – Editions Laphomic, Alger 1990 et La Découverte, Paris 1990
(9) Mohamed El-Alami : Allal El Fassi : patriarche du nationalisme marocain, page 99 – Imprimerie Arrissala, Rabat 1972
(10) Gilbert Meyner : Histoire intérieure du FLN, page 562 – Editions Fayard, Paris 2002
(11) Discours du 19 juin 1965
(12) Mohamed El-Alami, page 224
(13) Mokhtar Ould-Daddah : La Mauritanie contre vents et marées, page 469 – Editions Karthala, Paris 2003
(14) Mokhtar Ould-Daddah : Idem page 492
(15) Eric Laurent : Hassan II : La Mémoire d'un Roi page 143 – Editions Plon, Paris 1993 (le Roi citant Bismarck) (16) Ahmed Taleb-Ibrahimi : Mémoires d'un Algérien, Tome I, page 57 – Editions Casbah, Alger 2006
L'auteur est ancien ambassadeur


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