Ils sont pas moins de 20 000 enfants à élire domicile dans la rue, dans seulement cinq wilayas (Annaba, Constantine, Tizi Ouzou, Oran et Aïn Defla), objet d'une enquête réalisée par la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (Forem) en 2006. Les spécialistes de cette ONG soulignent que la capitale est, de loin, la plus exposée à ce fléau, à cause de la fragilité des liens socioculturels. Les études effectuées jusqu'à présent s'accordent à expliquer l'errance juvénile par le facteur de la pauvreté ou les conflits familiaux. Pour la Forem, 40% de ces bambins SDF sont issus de familles aisées, mais préférant les trottoirs pour des divergences familiales. La pauvreté se greffe aussi comme principal facteur de ce phénomène désolant. Le ministre de l'Emploi et de la Solidarité nationale, Djamal Ould Abbas, a indiqué, hier à l'ouverture d'un séminaire de formation sur l'errance juvénile, que l'Algérie s'emploie à la mise en œuvre du projet Samu social Algérie. Le séminaire, auquel sont invités les animateurs de l'association Confluences méditerranéennes de Marseille, du réseau REMI, des services AEMO et une délégation de PACA, s'est penché sur la problématique de savoir qui sont ces enfants de la rue, pourquoi sont-ils dans la rue, où sont leurs parents et comment font-ils pour vivre dans la rue ? Le ministre a appelé à cerner les contours que pourrait prendre la stratégie autour des besoins et la fonction de l'éducateur de rue avant d'élaborer une méthodologie de projet pour un programme d'intervention. Il a également relevé que le lien reste « profond » entre l'enfance errante en danger et la délinquance juvénile. « C'est bien en veillant à ce que le moins d'enfants possible soit en danger que l'on pourra s'attaquer à la délinquance juvénile », illustre-t-il. De son côté, le directeur des établissements spécialisés a affirmé que le secteur de la solidarité nationale compte 258 établissements spécialisés. Ainsi, on compte 42 établissements chargés de la sauvegarde des mineurs en conflit avec la loi ou en danger moral, répartis sur 35 wilayas, dont 9 centres spécialisés pour filles. Le directeur cite, en outre, 30 centres spécialisés de rééducation répartis sur 25 wilayas avec une capacité d'accueil de 3270, un effectif réel de 1934 places, soit 59,14 %, avec un encadrement de 1369 personnels, dont 407 pédagogiques. Démission des parents Le département de Ould Abbas affirme encore l'existence de 12 centres spécialisés de protection et polyvalents dans la sauvegarde de la jeunesse, avec une capacité d'accueil de 1246, un effectif réel de 814, soit un taux d'occupation de 65,33% avec un encadrement de 610 personnels, dont 189 pédagogiques, en plus de 48 services d'éducation et d'observation en milieu ouvert. Parmi les difficultés de réinsertion de ces bambins de partout, le directeur des établissements spécialisés cite la démission des parents, la faiblesse du niveau scolaire, le manque de possibilités de formation, le manque d'encadrement et de moyens pédagogiques. Les enfants errants deviennent une véritable menace sur la société et leurs délits s'apparentent parfaitement à la délinquance juvénile, puisqu'ils sont coupables de vol, vol à main armée, agression sur parents, appartenance à un groupe de malfaiteurs, soutien au terrorisme, mendicité et vagabondage, ainsi que détention et consommation de drogue et stupéfiants. Le directeur exécutif de la Forem, M. Makki, joint hier par téléphone, plaide, en guise de remède, pour l'habitat social, c'est-à-dire des logements aménagés spécialement pour cette frange vulnérable, et éviter leur internement. Une solution ignorée par le ministre Ould Abbas qui a opté pour les centres spécialisés. M. Makki a souligné que le plus dangereux dans la situation est la séparation totale de ces enfants de leurs familles. Une autre enquête, effectuée entre mars et mai 2006 et réalisée par l'Observatoire des droits de l'enfant (ODE), a touché trois grandes wilayas (Alger, Oran et Annaba) et une région de l'extrême Sud (Tamanrasset). Les résultats montrent que 61% des enfants de rue vivent de mendicité, 15% de vols, 2% de prostitution. En outre, un enfant de la rue sur deux présente des dermatoses et des infections respiratoires et consomme des psychotropes (diluants, colles). Les conclusions révèlent, par ailleurs, que 33% des enfants n'ont jamais été scolarisés, 54% ont le niveau primaire et 13% ont un niveau moyen. Côté filiation, 71% des enfants ont encore leurs parents, 17% sont orphelins, 41% ont plus de 5 frères et sœurs et 44% d'entre eux ont rompu tout contact avec leurs parents. Parallèlement à ces données, 60% des enfants passent la nuit dans la rue ou dans les jardins publics, 29% sous des tentes ou dans des baraques de fortune et 6% squattent les gares routières. Pour 51% des enfants, la pauvreté est la principale raison du choix de la rue, 36% des enfants à cause des conflits de famille et 13% à la suite d'agressions (surtout sexuelles). Toutefois, 63% des enfants regrettent les foyers familiaux et 57% veulent aller dans un foyer de substitution contre 20% qui refusent d'y aller. Par ailleurs, Mme Kheira Messaouda, chargée de l'enfance à la police judiciaire, a révélé des chiffres inédits sur le drame quotidien que subissent des centaines d'enfants à travers le pays. 4554 enfants, dont l'âge ne dépassait pas 16 ans, ont subi, en 2004, des agressions sexuelles. 2603 gamins ont été victimes de violences physiques dans leur environnement extérieur ou familial. 20 parmi eux ont été assassinés après avoir subi des sévices sexuels. 53 mineurs ont, par ailleurs, été victimes d'incestes. 133 bambins ont été kidnappés durant la même période.