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Une institution à reconsidérer
Le Bureau de conciliation
Publié dans El Watan le 02 - 04 - 2007

Les lois de 1990 ont mis en place une nouvelle institution : le Bureau de conciliation aux côtés de l'Inspection du travail et de la Juridiction sociale, ponctuant ainsi l'originalité des relations de travail.
Les conflits individuels de travail, qui opposent l'employeur au travailleur dans leurs relations de travail, sont exposés dans ce bureau. Les membres qui le constituent ont pour mission de tenter la conciliation entre les parties au conflit. Nous nous interrogeons sur les raisons d'existence d'un bureau de conciliation : si en général, trois conditions suffisent pour faire vivre une institution un cadre juridique, un financement et la volonté de la faire fonctionner, il est opportun aujourd'hui de s'interroger sur les raisons de « son inertie ». Si cette institution continue de fonctionner en vase clos, mieux vaut attribuer la tâche de la conciliation aux assesseurs du tribunal qui siègent dans la juridiction sociale. Par contre pour qu'une dynamique s'instaure, il y a lieu de la reconsidérer.
I/ Une institution dépourvue de moyens
L'intervention de l'Etat diminue dans une économie ouverte sur le marché du travail. Un rôle important est accordé à la volonté des parties dans la détermination de leurs relations de travail. La logique du système, en cas de conflit, est de mettre employeur et travailleur dans un cadre professionnel adéquat à l'effet de régler leur problème : c'est la raison d'existence du bureau de conciliation. Mais comme toute institution, il doit répondre à des normes d'organisation et de fonctionnement susceptibles de concrétiser l'action pour laquelle il a été créé.
a) L'organisation du Bureau de conciliation Le Bureau de conciliation est constitué, actuellement, d'un local (murs) qui s'emplit de monde le jour de son audience. On note l'absence du secrétariat ; or, de nos jours, l'importance de cet appareil n'est plus à démontrer. Dans toute institution, le secrétariat est permanent et doit avoir à sa tête un secrétaire. Celui-ci serait désigné par le Bureau de conciliation de qui il reçoit des instructions et vis-à-vis duquel il est responsable de la bonne marche du bureau et de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Le choix du secrétaire doit être compatible avec le souci d'obtenir le meilleur rendement. Le Bureau de conciliation, avec son secrétariat, doit avoir un statut particulier et doit pouvoir recourir à la juridiction administrative pour ce qui est de l'observation des dispositions qui lui sont applicables. Les fonctions du secrétariat doivent être : la préparation technique de l'œuvre de la conciliation. Il doit rassembler toutes les informations sur la question à traiter. Pour ce qui est de l'accompagnement de la justice dans le sens d'un allègement, le secrétaire établit des rapports sur les différents points à l'ordre du jour. Il devra apporter toute l'aide nécessaire pour améliorer la pratique de la conciliation. Le Bureau de conciliation est une institution parrainée par deux tutelles : le ministère de la Justice concernant la nomination des membres élus et le ministère du Travail chargé de verser les indemnités. Cette caractéristique brouille quelque peu le statut du Bureau de conciliation, notamment sur le plan de la responsabilité, on peut assister à une déclaration d'incompétence et donc de renvoi des questions sensibles d'une tutelle à l'autre.
La composante humaine du Bureau de conciliation : Les membres représentant les travailleurs et les employeurs au sein du Bureau de conciliation sont élus par deux collèges électoraux distincts. Concernant les membres travailleurs, le collège électoral est constitué de syndicalistes désignés par l'organisation syndicale la plus représentative (D. E. n° 91-273 ; art. 4 ). A priori, les candidats à l'élection seront des adhérents de cette organisation. Pour les employeurs, la loi élargit le groupe des électeurs employeurs à des personnes qui juridiquement ne sont pas employeurs. Ce sont des personnes physiques, détentrices de parts sociales ou dirigeants d'entreprise, mais non employeur dans l'exercice de leur fonction (art.5 ali.2). Un salarié peut ainsi, dans le domaine qui nous intéresse, se métamorphoser en employeur. Le Bureau de conciliation est ainsi composé de quatre personnes représentant pour une partie les travailleurs salariés, pour l'autre partie, les employeurs. Cette composition paritaire est présidée de manière alternative par période de six mois : au président employeur succède le président travailleur salarié. L'installation des membres du bureau de conciliation se fait en audience solennelle par le président du tribunal du lieu du siège du bureau de l'inspection du travail. Ils sont nommés par ordonnance du président de la Cour localement compétente. Ceux dont le nom est porté immédiatement après le dernier candidat élu, sont appelés à remplacer les membres du Bureau de conciliation issus de la même liste dont le siège deviendrait vacant, pour quelque cause que ce soit, et ce, pour la durée du mandat qui reste à couvrir. Les membres du Bureau de conciliation reçoivent de l'Inspection générale du travail une indemnité forfaitaire par séance. La loi donne quelques précisions sur le statut des membres du Bureau de conciliation relativement à leurs charges et à leurs prérogatives. Celles-ci permettent aux travailleurs d'assurer normalement leur fonction dans le Bureau de conciliation. Leur employeur doit leur accorder les temps d'absence pour siéger dans les séances du Bureau de conciliation afin d'exercer leurs missions. Le temps passé hors de l'entreprise est normalement assimilé à une durée de travail effectif pour la détermination des congés payés et de tous les droits que les membres tiennent de leur ancienneté. De plus, l'employeur ne saurait invoquer cette absence comme cause de rétrogradation ou de rupture de la relation de travail. Mais cette absence entraîne-t-elle une diminution du salaire ? A l'indemnité qui lui est allouée, le membre du Bureau de conciliation reçoit la compensation des frais engagés pour assurer sa mission. Concernant ses charges, le membre du Bureau de conciliation ne saurait refuser d'exercer sa mission. En cas d'absence sans motif légitime à trois réunions successives du Bureau de conciliation, le président de la cour localement compétente prononce une sanction à hauteur de la gravité du manquement aux devoirs de la mission.
b) Compétence et fonctionnement du Bureau de conciliation Le Bureau de conciliation a pour mission de « tenter la conciliation » entre les parties dans un conflit individuel. Une interprétation large de la notion conflit individuel permet de dire qu'à chaque fois que le salarié se borne à demander le traitement de son dossier sur lequel le litige porte, le Bureau de conciliation est a priori compétent. Encore faut-il que la demande appelle une tentative de conciliation. Le Bureau de conciliation est compétent pour tout litige opposant le travailleur à son employeur ou le représentant de ce dernier dès lors qu'ils sont unis par une relation de travail, un contrat de formation ou d'apprentissage. En revanche, échappent à la compétence d'attribution du Bureau de conciliation, les litiges que la loi exclut de droit, car les personnes (fonctionnaires, agents) sont régies par des statuts spécifiques aux institutions administratives. Tenter la conciliation entre les partenaires sociaux ne signifie nullement se substituer au juge ou à l'inspecteur de travail pour donner une opinion ou un avis ou encore pour trancher une question. Concilier signifie tenter un rapprochement, réunir, accorder deux personnes dont les positions s'affrontent. Aujourd'hui le constat est clair : le Bureau de conciliation est réduit à un appareil administratif qui distribue les procès-verbaux de non-conciliation : pièce juridique élémentaire pour que le dossier soit recevable devant la juridiction sociale. Pourquoi le Bureau de conciliation est condamné à ne faire que des constats d'échec de conciliation ? Trois raisons majeures expliquent cette situation :
1/ Le Bureau de conciliation fonctionne sans qu'aucun programme ait été établi préalablement par sa propre structure (pas de secrétariat).
2/ Il n'a pas l'initiative de l'action, ses membres sont convoqués, par l'Inspection du travail, en même temps que les parties au conflit.
3/ Enfin le Bureau de conciliation manque d'outils juridiques : les statistiques révèlent que dans 90% des cas, l'employeur ne se présente pas à l'audience du Bureau de conciliation. Il ne reconnaît l'autorité qu'à l'institution qui a le pouvoir de trancher le différend (juridiction sociale). L'employeur dénie au Bureau de conciliation toute action effective dans le traitement des conflits individuels.
II/ Reconsidérer l'institution
Le Bureau de conciliation est un maillon relié à la chaîne de l'administration du travail. Il est au centre entre l'Inspection du travail et la Juridiction sociale. Sa stratégie doit reposer sur la logique des relations de travail dans un système socio-économique qui se veut libéral. Pour ce faire, les objectifs doivent être clairement déterminés (A) tout en impliquant les diverses parties prenantes (B).
a/ Des objectifs déterminés Alléger la justice tout en déchargeant l'Inspection du travail de la mission de la conciliation : voilà l'objectif pour lequel le Bureau de conciliation a été créé en 1990 (loi 90/04 relative au règlement des confits individuels de travail). Si on veut, aujourd'hui, conserver cette institution, il faut lui donner les moyens nécessaires à son action.
Les moyens matériels : Géographiquement, le Bureau de conciliation se situe dans les locaux de l'Inspection du travail : il est rattaché à la circonscription des bureaux de l'Inspection du travail. Il est généralisé sur le territoire, mais des problèmes d'équilibre géographique se posent. A notre avis, et pour favoriser les objectifs initiaux, placer cette institution auprès des juridictions sociales serait bénéfique à plus d'un titre, ne serait-ce que vis-à-vis des justiciables (éviter les distances surtout au Sud, être plus proche de la juridiction qui connaîtra le dossier...).
Les moyens humains : Les conflits de travail étant spécifiques à la profession, il semble judicieux d'attribuer cette question aux professionnels eux-mêmes comme c'est le cas aujourd'hui , car ils connaissent mieux que quiconque la réalité du terrain et la complexité des relations de travail. Toutefois, les membres du Bureau de conciliation manquent de connaissances juridiques et n'identifient pas tous les éléments juridiques de travail que le justiciable va débiter pour expliquer le litige qui l'oppose à son employeur. Aussi, une formation relative à la mission à accomplir semble nécessaire à l'intention des membres du Bureau de conciliation.
Les moyens financiers : Tous les Bureaux de conciliation n'ont pas le même volume de travail : il serait normal de calculer l'indemnité en fonction des dossiers à traiter. Verser la même indemnité forfaitaire à tous les membres de tous les bureaux de conciliation, sans considération du travail fourni est plus que décourageant. Certains bureaux de conciliation sont plus chargés que d'autres, la logique libérale voudrait que chacun soit rémunéré selon les efforts qu'il fournit.
b/ Une stratégie impliquant toutes les parties prenantes Le Bureau de conciliation est placé entre deux institutions astreintes à des obligations de résultat : l'Inspection du travail assure la protection des salariés par le respect de l'application des normes ; la juridiction sociale est tenue de rendre un jugement. Le Bureau de conciliation n'est astreint qu'à une obligation de moyen : tenter la conciliation. Celle-ci doit être entourée d'actions préventives et incitatives où toutes les parties concernées (organisme employeur, travailleur, organisation syndicale, Etat…) sont impliquées. Informer, communiquer, dialoguer… contribuent à faciliter l'action de la conciliation.
Dialoguer : L'objectif fondamental du Bureau de conciliation est de tenter la conciliation entre les parties dans un conflit individuel de travail. La conciliation ne pouvant se faire qu'en présence des parties à la relation de travail, il faut donc donner au Bureau de conciliation les moyens juridiques pour mettre en présence les deux parties. La radiation du dossier ne doit pas être sentie comme une victoire par l'une ou l'autre des parties. Si le Bureau de conciliation jouissait d'un pouvoir d'obliger les parties à se présenter à l'audience fixée (cela ne signifie pas que la conciliation réussira), un début de dialogue commence à s'instaurer.
Informer, communiquer : Le Bureau de conciliation n'est pas informé des suites du dossier, une fois sorti de ses locaux et mis devant le juge. Il nous semble qu'un système d'information continue autour des dossiers transitant par les institutions concernées contribuera à une meilleure pratique de la tentative de conciliation. Par exemple, lorsque le Bureau de conciliation réussit la conciliation entre les parties au litige, il dresse un procès- verbal de conciliation. Il est évident que le sort de ce dernier exécution ou inexécution de ce procès-verbal soit connu du Bureau de conciliation. Dans le cas où le procès-verbal de conciliation connaît des difficultés d'exécution, le juge social est saisi sans que le Bureau de conciliation soit informé. Celui-ci devrait avoir parmi ses prérogatives l'accès à l'information.
L'auteur est Professeur Directrice Laboratoire droit social Université d'Oran


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