Les « révélations » de Paul Delouvrier, retranscrites par le professeur et historien Daniel Lefeuvre, au sujet du prétendu « pactole » versé par la France au compte FLN pour que ce dernier n'attaque pas l'olédoduc du Sahara, continuent de susciter des réactions. Hier, c'est El Bachir Kadi, un ancien représentant du GPRA à Tripoli, qui a apporté des éclaircissements sur cette affaire. Notre interlocuteur a étayé d'emblée les remarques apportées par Rédha Malek, selon lesquelles Michel Debré avait fait des pieds et des mains pour acheminer les hydrocarbures à partir du Sahara algérien jusqu'à la côte nord. Démarches sur deux points Pour ce faire, la France, selon M. El Kadi, a entamé des démarches sur deux fronts. « Elle a lancé des négociations simultanées avec la Tunisie et la Libye », a-t-il dit. Par ailleurs, a-t-il ajouté, « la France a préféré le territoire libyen pour amener ce gaz de Idjelli jusqu'à la côte nord-ouest de la Libye ». Le Premier ministre du gouvernement libyen, selon M. El Kadi, était initialement favorable à la signature d'un accord avec la France pour que l'oléoduc en question traverse le territoire libyen. Ayant eu vent de cette information, les représentants du GPRA à Tripoli s'étaient déplacés au Palais royal et furent reçus par le ministre du royaume, en l'occurrence Bouciri Chelhi, qui était, précise M. El Kadi, « originaire d'Algérie et ami de la Révolution ». Situation embarrassante A l'évidence mécontent, Bouciri avait demandé au Premier ministre du gouvernement libyen d'arrêter immédiatement les négociations entamées avec la France. « Depuis, le Palais avait pris l'affaire entre ses mains et un autre négociateur fut désigné (...). Il s'agit de Mohamed Abdelkafi, directeur des Douanes libyennes, un proche de Bouciri et néanmoins ami de l'Algérie. Au début, le gouvernement français a voulu exercer une sorte de chantage sur le nouveau émissaire du palais royal : si la Libye n'accepte pas le marché, la France verra du côté de la Tunisie. » S'estimant dans une situation pour le moins embarrassante, Mohamed Abdelkafi proposa une solution intermédiaire aux représentants du GPRA à Tripoli. Pour M. El Kadi, « Abdelkafi voulait savoir si le GPRA acceptait de partager les royalties avec la Libye et nous avons fait part de ces propositions à Lamine Debbaghine qui a toutefois refusé cette offre ». Entre-temps, explique-t-il, « Debbaghine a contacté les autorités tunisiennes pour leur exposer le chantage exercé par la France sur la Libye (...). Bourguiba était catégorique : il n'est pas question que cet oléoduc passe par le territoire tunisien parce que ce serait un coup de couteau dans le dos de la Révolution algérienne. » La réponse communiquée par le gouvernement tunisien au GPRA a été transmise au Palais royal libyen qui fut aussitôt convaincu d'arrêter les négociations avec la France. « Dix jours plus tard, nous apprendrons que la Tunisie a conclu un accord secret avec le gouvernement français sur le dos de la Révolution. C'était une banderille assassine », commente notre interlocuteur. Le GPRA, par la voix du journal El Moudjahid, a réagi au revirement de la Tunisie en signant un article intitulé « Le pain empoisonné ». Le journal a été saisi par la suite par les autorités tunisiennes, et les responsables du GPRA ont riposté en transférant le siège du gouvernement provisoire au Caire.