On ignore le niveau de crédibilité de l'ancien délégué général du gouvernement français Delouvrier et le degré de sérieux de l'historien Daniel Lefeuvre. On sait seulement que le premier l'a confié au second et que celui-ci s'est contenté jusqu'ici de l'exposer dans quelques cercles d'initiés : la France aurait payé le FLN pour qu'il épargne les pipelines et gazoducs par lesquels s'exportent le pétrole et le gaz du Sahara ! Rien ne permet de croire ni de vérifier la confidence de l'ancien délégué général décédé en 1995, publiée par Science et Vie en 1983 et reprise dans son dernier numéro. Mais rien, sauf peut-être le désir revanchard de dénigrer, ne contredit la vraisemblance de cette histoire. Rédha Malek et Ali Haroun démentent “ces allégations ridicules” dans El Watan. Même si cela ne s'applique pas à ces deux acteurs de la révolution, nos “historiques” ne s'expriment, hélas, que pour démentir les faits et assertions qui les embarrassent. Il y a comme un sous-entendu dans l'imprécision chronologique contenue dans la réaction de Rédha Malek qui soutient que “Michel Debré voulait relever le défi pour montrer que le gaz pouvait être acheminé jusqu'à la côte, Bougie notamment. Mais que, constatant la précarité d'une telle opération, les Français ont négocié un accord avec le gouvernement tunisien”. Il ne s'agit pas, et ne peut s'agir de gaz, dans cette affaire, le premier gazoduc Hassi R'mel-Arzew, n'ayant été mis en service qu'en 1961… après le départ de Delouvrier. S'agissant donc de pétrole, l'oléoduc Hassi Messaoud-Béjaïa a été inauguré le 5 décembre 1959, presque une année avant le Edjeleh-Skhirrat. Même si la France a négocié avec la Tunisie, ce n'était peut-être pas pour éviter le tracé Hassi Messaoud-Béjaïa. L'histoire de la guerre d'Algérie est victime d'un étrange consensus algéro-français pour le black-out. En Algérie, trop d'intérêts claniques étouffent la recherche de la vérité ; et en France, trop d'enjeux de politique intérieure l'entravent. On ne peut donc que supputer. Et s'interroger : et si c'était vrai que la France, directement ou par gouvernement tunisien et sociétés pétrolières entremis, a payé et le GPRA encaissé ? Si c'était vrai… Cela expliquerait cette étrange déclaration de De Gaulle, dans sa conférence de presse du 10 novembre 1959 : “Ces jours-ci, le pétrole va arriver sur la côte à Bougie, par un oléoduc de 700 kilomètres de long. En vérité, malgré l'insurrection, malgré la propagande et la terreur par laquelle la rébellion cherchait à maintenir la population dans une sorte de grève permanente, l'Algérie nouvelle se dessine dans l'apaisement”. Si c'était vrai…. On comprendrait mieux le silence coordonné en France et en Algérie sur cette page d'Histoire. Si c'était vrai… On comprendrait pourquoi le pétrole est resté, pour nos clans, l'enjeu le plus obsédant et le patrimoine le mieux défendu. Si c'était vrai… On comprendrait pourquoi, à partir de fin 1957, la ligne Morice fut d'une telle efficacité et pourquoi l'armée des frontières était si bien équipée qu'à l'indépendance elle écrasa toutes les oppositions à son projet anticipé de prise de pouvoir. Mais comme ce n'est pas vrai… M. H.