R. N., sans qualification, a été propulsée, sans le demander, au rang de puéricultrice ou d'infirmière spécialisée chargée de l'entretien des nourrissons, fonction réservée aux seuls agents permanents. Une jeune fille âgée de 24 ans issue du filet social, a été incarcérée au cours de la semaine dernière par la justice. Au-delà de la stupéfaction et des interrogations que cette mesure a suscitées, c'est en grande partie le détournement de la vocation des activités d'utilité publique prévues par le dispositif au soutien de l'Etat aux catégories sociales défavorisées qui est mis en cause. R.N., sans qualification, a été affectée par son employeur (la commune) à la pouponnière de Béchar dans le cadre d'un atelier dit « d'aide aux enfants assistés ». Mais la jeune fille a été, sans qu'elle l'ait demandé, propulsée au rang de puéricultrice ou d'infirmière spécialisée chargée de l'entretien des nourrissons (préparation de biberons, toilettes etc.), fonction réservée aux seuls agents permanents. Celle-ci ne pouvait refuser, indique-t-on, par crainte d'être renvoyée. Le 22 février dernier, au cours d'une nuit de garde, un bébé prénommé Farouk Imad, après avoir été langé et reçu son biberon, a fait une crise. Evacué rapidement aux urgences médicales, il décédera dès son arrivée à l'hôpital. Le lendemain, la jeune fille rend compte à la responsable de l'établissement qui aussitôt saisit à son tour le procureur de la République. Une enquête a été ouverte. Mais l'affaire prend une tournure inattendue. Le médecin de la pouponnière constate le décès dû à un étouffement à la suite d'une mauvaise position du bébé. Mais le certificat de constat de la mort de l'enfant délivré par le médecin de l'hôpital parle d'un décès d'origine néonatale. La contradiction entre les deux constats est flagrante. La direction de l'établissement des enfants assistés affirme que la tutelle locale (la DAS) a été saisie à propos de la mauvaise répartition, l'affectation et le manque crucial de personnels spécialisés pour protéger les pupilles de l'Etat dont le nombre avoisine la cinquantaine. Du point de vue réglementaire, la direction de l'établissement signale qu'elle ne peut interférer dans les fonctions du médecin de la pouponnière seule habilitée à définir les charges des deux infirmières de l'établissement. Mais la question qui revient dans la bouche des personnes qui suivent l'évolution de cette affaire est la suivante : a-t-on le droit de confier à de jeunes filles issues du filet social, rémunérées sur la base de 3000 DA/mois, des responsabilités qui exigent une formation et des connaissances médicales appropriées ? Le procureur de la République a ordonné la mise en détention préventive de la mise en cause, alors que cette mesure, estime-t-on, est jugée disproportionnée au stade de l'instruction. La détention provisoire, fait-t-on encore savoir, est une décision exceptionnelle (art 123 du code de procédure pénale). Mais pour les défenseurs de la cause de la jeune fille incarcérée, celle-ci paie les frais de la multitude de paradoxes qui émaillent de la formule du filet social dont les objectifs déclarés, selon ses initiateurs, se veulent un palliatif au chômage endémique des jeunes, mais entraînant malheureusement souvent des excès.