« Le savoir a toujours été l'un des trois instruments clés du pouvoir : les deux autres sont la violence et l'argent » Toffler Quand j'étais petit, on n'habitait pas très loin d'un aérodrome. De ma fenêtre, je pouvais regarder les avions décoller. J'étais fasciné. C'est là que j'ai attrapé le virus de l'espace. Je me suis dit qu'un jour, moi aussi j'investirai le ciel et je pourrai ainsi décrocher la lune. La passion de l'espace ne m'a jamais plus quitté. C'était ma destinée et personne ne pouvait me détourner de mon objectif. » Ainsi parle M. Farès, premier cosmonaute arabe syrien qui relate, parcimonieusement mais avec émotion, son expédition dans le cosmos, à bord du vaisseau soviétique Soyouz 3. Prisonnier de son statut de militaire — il est général de l'armée —, il livre les informations au compte-gouttes. Il est peu loquace lorsqu'il s'agit de politique. Entre lui et l'espace, c'est une vieille histoire d'amour. Pourtant, dans ce registre, il est peu connu, en tous cas moins que l'Egyptien Farouk El Baz, éminent expert à la Nasa, que les médias arabes en particulier encensent à chaque fois que l'occasion leur est offerte. Il faut remonter à l'été 1987 pour apprécier l'événement qui venait de bousculer les convenances et mettre un peu de baume au cœur d'une dignité arabe bafouée. Un Arabe dans l'espace ? C'était assurément un sujet de fierté pour la ouma divisée, déchirée, humiliée et votre serviteur qui, à l'époque, se trouvait en Syrie pour les Jeux méditerranéens de Lattaquié. Il avait pu mesurer l'engouement et l'effervescence suscités par cette victoire dans une Syrie au nationalisme ombrageux dont l'excès a même frisé le chauvinisme. « Dans un pays sevré de libertés, c'était comme une soupape, une revanche contre le sort et une manière de s'affirmer et d'affirmer sa force », avait commenté à l'époque un éditiorialiste peu suspect de complaisance envers les dirigeants arabes. Vingt ans après, le spationaute se remémore pour nous son exploit, autour d'un café à Alger, où il venait d'achever une visite à l'invitation d'une association juvénile de Ghardaïa, initiatrice du 12e congrès de l'astronomie et des techniques de l'espace. Visite à alger « A l'origine, j'étais dans l'armée en qualité de pilote de chasse sur Mig. J'ai intégré le programme spatial soviétique après un dur apprentissage dans la cité des Etoiles près de Moscou. Je remplissais tous les critères et sur les 60 candidats, j'étais l'heureux élu. Je pouvais donc voler sans la moindre anicroche. Cela est la résultante des recherches spatiales effectuées en Syrie qu'il fallait matérialiser. Mon expédition consistait en 13 expériences scientifiques, qui touchait aussi bien l'industrie, la chimie que la médecine. » M. Farès n'omettra pas de souligner les dures conditions dans l'espace, le rôle insignifiant de l'apesanteur et la situation physiologique qui permet, selon les cas, de s'adapter ou non à l'espace extérieur. Sa qualité de pilote de chasse l'a beaucoup aidé à se mouvoir dans la nouvelle atmosphère. De l'univers qu'il a côtoyé il y a 20 ans, il garde des images variées, pas toujours nécessairement agréables. « Dans l'espace, c'est l'obscurité totale. Quand on y parvient, un sentiment étrange vous envahit. La terre vous paraît si petite mais si importante à la fois, car c'est notre mère et le seul astre où il y fait bon vivre malgré tout. C'est pour cela que les revendications écologistes, les appels à la diminution de l'effet de serre, à la préservation de la nature et à la lutte sans merci contre la pollution effrénée sont primordiaux, voire vitaux. » Plus angélique, le militaire qu'il est lance un appel pathétique. « Pourquoi déclencher des guerres injustes alors que l'humanité peut vivre dans la paix et dans la prospérité ? » Le retard des arabes Nous devons commencer par construire des satellites. L'Inde en a envoyé un, le Japon et le Brésil aussi. Israël en a envoyé cinq, alors que les Chinois se mettent aussi de la partie. Il considère que les efforts, faits en direction de la recherche spatiale dans le monde arabe, sont dérisoires. Les budgets qui leur sont consacrés frisent le ridicule. Pourquoi cette inertie alors que les compétences et l'argent existent. Et surtout il y a une forte demande des jeunes qui s'intéressent de plus en plus à ce volet. La profusion des associations juvéniles, qui manifestent un intérêt constant à l'astronomie et à l'espace dans le monde arabe que j'ai visité, est révélateur et un signal fort qui nous incite à l'optimisme, malgré tout, décrète-t-il. Là-haut dans l'espace, il est resté 8 jours. Interminables. « J'ai pensé à mes enfants, à ma famille, à la vie que nul ne peut remplacer. Partir ainsi c'était mourir un peu, car on n'avait pas la certitude de revenir. Mais un autre sentiment nous submergeait, celui de la fierté d'avoir rendu service au pays et à la nation, à l'humanité tout entière. C'était l'inquiétude et la fierté mêlées, mais le sentiment de joie était le plus fort, car on revenait en quelque sorte à la vie, à laquelle, quoi qu'on dise, tout le monde tient. La terre, notre mère, était à nos pieds et c'est peut-être à ce moment-là qu'on mesure toute l'importance de notre planète, la seule qui vaille. Sur un autre plan, le fait d'avoir franchi le pas nous faisait accéder à la modernité. On pouvait sans complexe traiter d'égal à égal avec nos partenaires occidentaux. Le satellite, une arme stratégique Le cosmonaute, qui a eu les faveurs des médias, à l'époque, estime qu'on ne fait pas assez pour propager la bonne parole et vulgariser l'information sur les technologies de l'espace. Les politiques ont d'autres chats à fouetter. « La recherche et la science ne font pas partie de leurs préoccupations. C'est bien dommage ! », regrette-t-il, tout comme il dénonce l'inertie des décideurs qui ne font rien pour unir leurs forces dans ce domaine. « L'Europe l'a fait en créant une union continentale spatiale, alors que nous restons à la traîne, malgré les compétences humaines, les fonds et les bonnes intentions qui, hélas, ne sont jamais concrétisées. » Les compétences existent « La Ligue arabe a donné son feu vert pour la création d'une agence spatiale arabe, réunissant toutes les compétences mais aucune avancée n'a été constatée. Les financements n'ont pas été débloqués et le projet est resté au stade du vœu pieux. En face, les agences occidentales multiplient les avancées chaque jour davantage pour assurer leur mainmise sur le monde qu'ils contrôlent à leur aise grâce aux satellites dont beaucoup ont été installés à des fins militaires. » De son pays, toujours ciblé par Washington, Farès estime que la politique suivie par les dirigeants syriens va dans le bon sens. « On veut nous sanctionner parce qu'on n'admet pas la capitulation. On a notre opinion sur le cours des événements en Irak et au Liban. Nous restons persuadés que nul ne peut porter atteinte à notre intégrité car nous sommes dans le vrai. » De son parcours et de la place qu'il occupe dans le cœur de ses compatriote, M. Farès est naturellement satisfait, au plus haut point. « L'important n'est pas de dormir sur ses deux oreilles, mais de créer les conditions nécessaires pour les jeunes générations afin qu'elles s'imprègnent de la science et des techniques spatiales qui garantissent inéluctablement le développement des sociétés. C'est en direction de nos enfants qu'il faut mettre le paquet, d'autant qu'on a remarqué chez eux un intérêt grandissant pour l'espace et ses secrets », témoigne-t-il. M. Farès estime que, dans ce domaine, les Arabes ont beaucoup de chemin à parcourir et un retard difficile à combler. « Ils devraient savoir que rien n'est acquis à l'homme ; ni sa force ni sa faiblesse, et que les Arabes avaient été dans le passé les maîtres de l'espace et de l'astronomie, à l'image d'El Khawarizmi et Essoufi notamment. Actuellement, insiste-t-il, ce n'est pas un luxe, mais une nécessité absolue de développer les technologies de l'espace, car c'est une question de sécurité, voire de survie. Jusqu'à quand peut-on laisser les autres installer dans l'espace des satellites pour nous espionner, pour surveiller nos moindres gestes ? En plus, ces technologies nous aideraient dans les sciences humaines, dans la géologie, dans notre vie de tous les jours ! » Ainsi parle le petit enfant qui, la tête dans les étoiles, regardait les avions décoller, il y a un demi-siècle, dans le ciel d'Alep… PARCOURS Mohamed Farès est né en 1951 à Alep en Syrie. Il a été pilote de chasse dans l'armée syrienne avant d'être choisi pour faire partie du programme spatial soviétique. Il a effectué sa première expédition sur Soyouz le 22 juillet 1987 avec un équipage soviétique pour rejoindre la station Mir. Le choix de Farès s'est fait après des examens minutieux et un apprentissage très poussé dans la cité des étoiles près de Moscou. Farès a été chargé par son pays de concrétiser 13 expériences. Mohamed est le plus jeune d'une fratrie de 7 enfants, dont deux filles. Il s'attache depuis sa retraite à sillonner le monde arabe où il donne des conférences en direction, notamment de la jeunesse. « Je me suis fait tout seul grâce à ma volonté et à mes convictions », tient-il à souligner en rendant un vibrant hommage à son père, simple teinturier, sans lequel il ne serait pas devenu un célèbre astronaute…