Zouïa est une bourgade blottie au pied des monts Asfour, à 3 km du territoire marocain. Le souk de pacotille, quotidien, a, au moins, le mérite d'avoir sorti toute la région de Beni Boussaïd, une région berbère, de l'anonymat. Mais aussi, il a aussi enrichi des milliers de personnes sur place et dans tout l'extrême ouest du pays. Contrairement à Tadjenanet ou Sidi El Khettab, Zouïa est un marché illégalement légal, en ce sens qu'officiellement et juridiquement, il n'a pas d'existence. « Il est toléré », confie un élu de l'APC. En fait, il s'agit d'une sorte de deal passé entre la population et les autorités depuis la nuit des temps. Et puis pourquoi le cacher, ici, tout le monde fait son beurre, y compris les responsables censés protéger l'économie nationale. S'il est vrai qu'on paie un droit de place à l'adjudicateur, dans la réalité, on paie pour exister. Et pas toujours l'Etat. « On paie des impôts, mais pas toujours à l'Etat. Comprend qui veut... » Sur les lieux, les produits provenant « normalement » du Maroc sont exposés à même le sol dans la grande place. Des espadrilles, des jeans, des robes pour femmes, des cosmétiques, des portables, de l'électronique, des pruneaux, des pistaches... Des produits griffés, mais aussi du toc. Selon les bourses. Pour les grandes quantités, on s'adresse directement aux magasins qui ceinturent le village. Et là, des commerçants du territoire national s'y approvisionnent. Un fait curieux tout de même et qui contredit le principe même de la transaction commerciale : à Zouïa, on ne marchande jamais. « Vous savez, ici tout le monde sait qu'il n' y a pas de tricherie ou d'arnaque, les prix sont identiques pour les mêmes produits chez tous les vendeurs ; des prix, il faut le reconnaître, très compétitifs en comparaison avec Maghnia à 25 km d'ici », dira Kouider, la quarantaine et qui connaît l'agglomération depuis l'âge d'or. Cet âge, c'est les années 1980 et 1990. « A l'époque, il n'y avait pas encore d'importateurs qui nous concurrençaient, on peut dire qu'on était des maîtres, plus aujourd'hui », souligne avec amertume notre interlocuteur. Mais, ce que n'osera jamais nous dire Kouider, c'est que depuis quelque temps déjà, on vend aussi des produits algériens, de Turquie et de Syrie sans que les clients soient mis au parfum. L'escroquerie, c'est de tricher sur l'origine du produit. Des jeunes de Beni Boussaïd, quelque peu indignés, reconnaissent la présence de ces produits. « Nous n'en sommes pas responsables, ce sont des gens malintentionnés qui viennent de partout et se convertissent en trabendistes. Ils vendent n'importe quoi. C'est vrai que ce n'est pas honnête de faire passer la marchandise algérienne pour marocaine ou autre... » A 4h c'est le branle-bas de combat : des bus et des taxis immatriculés dans toutes les wilayas du pays se déversent. Les « touristes » connaissent les lieux et les personnes. Ils font leurs emplettes en un tour de main. Ils savent tout à l'avance et leur commande est toujours prête. Et ils rebroussent chemin rapidement, avant le lever du jour, pour éviter les barrages de tous les corps de sécurité. Et c'est là l'ambiguïté : comment peut-on imaginer qu'on tolère un marché de contrebande et qu'à la sortie de Zouïa, en allant vers Maghnia, les éléments de la gendarmerie et ceux des Douanes dressent des barrages où l'on effectue des fouilles systématiques et procède à des saisies ? « C'est vrai et on n'y comprend rien. C'est une véritable souricière qu'on nous tend, sans compter l'itinéraire Maghnia-Aïn Témouchent-Oran où l'on est obligé de payer la route, si on veut que notre marchandise arrive en totalité à destination », affirme un jeune Oranais. Au lever du jour, le plus gros des transactions est fait. Les clients sont des pères de famille qui, avec 3 000 DA ou bien moins, habillent bien un enfant. De la tête au pied, comme on dit. Fait connu à Zouïa, aussi : ici, on ne vole pas, et si on attrapait un voleur, on le lyncherait. « On ne veut pas que notre marché ait une mauvaise réputation qui ferait fuir nos clients », déclarent les Boussaïdis. Mais, Zouïa, c'est aussi une carte politique : Rabiaâ Méchernène, l'ex-ministre de la Solidarité, avait juré de légaliser le marché, l'ancien wali également. Des députés et des sénateurs ont promis de défendre Zouïa... mais c'est toujours à la veille d'une élection. Mais comme on n'est pas dupe dans cette contrée, on joue le jeu : « Vous connaissez l'adage : le cupide bat le menteur. Nous, on s'en fout, qu'on nous laisse travailler ! » A 11 h, il n'y a presque plus personne, aucune marchandise... Zouïa reprend un rythme normal, humain... Et il faut lorgner du côté de Roubane, à quelques mètres du Maroc, pour savoir que le royaume est toujours là. Pour notre « bonheur » avec la bénédiction de ceux qui sont payés pour nous protéger et préserver notre économie...