Le phénomène d'internet, même s'il est assez récent en Algérie, n'a pas pris pour autant des lustres pour s'imposer comme mode ludique d'abord, de recherche ensuite et plus récemment de communications. Il est en effet aisé de faire des parties de scrabble ou de billard avec des internautes demeurant à Sydney ou à Ouagadougou. De même qu'il n'est pas difficile de se dégoter le fameux discours de Martin Luther King (I have a dream) ou les mouallaqate, célèbres poèmes antéislamiques. Nos petites têtes brunes, pour leur part, ont aussi vite à assimiler les secrets de l'informatique et de la navigation sur le Net, reléguant leurs géniteurs aux abysses des archives jaunies sentant le moisi. « J'ai acheté un micro pour mon fils, quand il est entré à l'école, mais c'était surtout pour moi. A l'époque, il n'y avait pas encore internet et les seules saisies sur le clavier étaient pour le Word ou pour les jeux en trois dimensions. Je pensais lancer mon fils sur le chemin de l'informatique, mais au bout de trois ans c'est lui qui est devenu mon éducateur, car j'ai été largué loin, vu le développement fulgurant des matériels et des logiciels que je n'arrivais plus à suivre. Aujourd'hui, mon fils a quinze ans, il flirte aisément avec le monde du Net, alors que moi, du haut de mes 48 ans, je galère toujours tout en le sollicitant à chaque fois que je sens un proche naufrage dans la toile », nous dira Farouk, un père égaré comme tant d'autres dans les méandres des disques durs et des microprocesseurs. Si la maîtrise de l'informatique a induit des têtes bien pleines, des dérapages ont conduit malheureusement à des dérives dans l'enseignement dont les retombées commencent déjà à se manifester. La tendance se déclare déjà au premier palier de l'enseignement, le primaire en l'occurrence, où des exposés sont demandés aux élèves sans aucune étude préalable du niveau d'assimilation ou de recherche des gosses. La star des exposés revient sans aucun doute à Abdelhamid Benbadis, un sujet récurrent qui revient à l'approche de chaque 16 avril, journée du savoir et anniversaire de la mort de l'imam. « Au début, je recevais à peine un feuillet de chaque élève, signe d'une recherche puérile, mais recherche quand même. Puis j'ai remarqué que les textes s'allongeaient et se ressemblaient étrangement. Après enquête, je me suis rendu compte que le tout était copié mot à mot et provenait de petits livrets vendus pour pas cher et toujours à l'approche du 16 avril. Puis, avec l'explosion de l'internet, c'était carrément la diarrhée, car du feuillet unique que je recevais, c'était 15, 20 ou 30 pages assorties de photos en tout genre. Malheureusement, plus les exposés devenaient épais, plus mes élèves se transformaient en machines à copier des textes sans aucun discernement de sites sur internet. Un labeur qui ne demande que quelques minutes, alors qu'un thème de recherche correctement travaillé devait prendre plusieurs jours. » Aveu d'un enseignant au lycée Soumeya et il n'est pas le seul à se plaindre de cet état de fait qui s'impose chaque jour comme l'exemple à suivre, une façon d'être in dans un système d'éducation où le mot recherche a été banni du lexique des élèves. Au niveau des cybercafés, c'est la même tasse à boire. « Chaque jour que Dieu fait, des élèves, essentiellement du moyen et du secondaire, me ramènent des thèmes que je dois rechercher moi-même. Etant ingénieur de formation, j'ai fait des centaines d'exposés tout au long de mon cursus scolaire. Mais les sujets que me soumettent les élèves me laissent pantois. Cela va de l'interview avec Britney Spears, à de sombres personnalités historiques comme c'est le cas pour Hocine MacMahon, un Perse semble-t-il, pour se terminer avec l'extinction de la culture des Mayas, alors que Tiddis, à une trentaine de kilomètres de Constantine, avec son histoire millénaire, est quasi inconnue de ces mêmes élèves et que le musée Cirta n'a jamais reçu la visite des enfants, curieux de tout mais pas de l'essentiel », dira avec amertume le gérant d'un cyber à Sidi Mabrouk. Le musée « Bardot » Aujourd'hui, même les élèves les plus récalcitrants au suivisme informatique baissent les bras. « A chaque thème de recherche que nous proposaient nos profs, mon père m'obligeait à fouiner dans plusieurs sites sur internet et dans plusieurs livres qu'on a à la maison. Il refusait systématiquement que j'imprime les pages du premier site que je rencontre. Cela me prenait plusieurs jours et des heures de labeur que je devais soustraire de mes autres cours et révisions, alors que mes amis appliquaient tout bonnement le fameux copier - coller sans aucun problème et recevaient en plus des notes meilleures que les miennes. Depuis, je suis obligé de faire comme tous les autres, bien que mon père m'oblige à lire mon copier - coller et à disserter avec lui avant de le remettre à mon prof », nous dira Amine, collégien en quatrième année moyenne. Cette tendance qui se développe à une grande vitesse a créé des élèves paresseux, imperméables à toute idée de débat ou de recherche, créant des étudiants spécialistes en clonage d'un même savoir pour tous. L'anecdote la plus succulente a été relevée lors de l'excellente émission « De fil en aiguille » sur les ondes d'Alger Chaîne III, où un prof du secondaire avait demandé à ses élèves de faire des recherches sur le musée du Bardo d'Alger. Qu'elle ne fut sa surprise à la remise des exposés de constater que l'écrasante majorité des élèves lui avait remis un thème sur… Brigitte Bardot, avec les photos en moins, heureusement ! Des dégâts bien connus qui proviennent des fameux mots clés qu'on propose aux moteurs de recherche, comme Google ou Yahoo par exemple, qui vous proposent le premier site qui ressemble de loin ou de près à votre demande. Faut-il en rire ou en pleurer ? « Il faut en pleurer et beaucoup. Toutes les larmes de son corps », nous répondra un professeur de français dans un lycée du Coudiat. « Les matières à enseigner ont changé, la formation des professeurs a changé, les élèves ont changé et le genre d'élèves aussi. Mais moi qui accumule une vingtaine d'années d'ancienneté – beaucoup de mes collègues sont dans le même cas – je continue à enseigner tel que nous avons été formés, alors que les programmes varient d'une année à l'autre sans que l'on arrive à suivre tous les chamboulements, même si nous sommes animés de la plus grande volonté du monde. On nous berne en nous "recyclant" une matinée… par an. C'est absurde. Pour ce qui est d'Internet, il serait plus juste de dire que ce sont nos élèves qui doivent nous donner des cours sur le sujet. Nous sommes conscients que le fameux copier - coller est en train de faire des ravages, mais quand vous avez une classe de plus de trente potaches et que la majorité n'est au lycée que pour passer la journée, il est normal mais inexcusable que certains profs se contentent de ‘'pontes'' de l'internet et non d'un travail de recherche comme il se faisait dans le temps et comme il s'en fait encore sous d'autres latitudes. Je ne sais pas si c'est l'enseignant fainéant qui a créé l'élève fainéant ou le contraire. Mais tout ce que je sais, c'est qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans la planète de l'éducation », ajoute-t-il. Internet qui a été généré pour assister l'intelligence humaine a fini par asservir la nôtre et chaque jour qui passe fait que nous nous empêtrons davantage dans les fils d'une toile qui n'a pas fini de nous surprendre.