Le marché parallèle, que l'on désigne également sous le vocable d'économie informelle ou d'économie souterraine, renvoie à cette partie de l'économie où les entreprises fonctionnent dans la clandestinité parce qu'elles ont fait fi des procédures légales de création (registre du commerce) et de fonctionnement (déclaration d'impôts, facturation). De ce fait, l'Etat ne reconnaît pas l'existence de ces entreprises qui fonctionnent en marge de l'économie officielle même si elles ont, comme c'est souvent le cas, pignon sur rue. Le ministère du Commerce algérien et le Forum des chefs d'entreprises (FCE) estiment à environ 75 le nombre de zones commerciales informelles ayant un rayonnement national, voire même international, en activité à travers le pays. En 1998 déjà, le FCE avait attiré l'attention sur la gravité du problème et suggéré aux pouvoirs publics un certain nombre de mesures pour y remédier. Dans ces zones de non-droit sont pratiquées au grand jour des activités aussi nombreuses que variées allant du commerce multiforme de gros et de détail à l'atelier industriel ou artisanal en passant par la vente d'automobiles et le commerce de la devise. Ces plaques tournantes du commerce informel qui alimentent les commerces à la sauvette qui prolifèrent dans pratiquement toutes les villes algériennes, s'approvisionnent de l'étranger (Dubaï et Istanbul notamment) dans des conditions opaques à la faveur de réseaux impliquant souvent des complicités dans les rouages des administrations chargées de la régulation et du contrôle. Les produits contrefaits, déclassés et hors normes constitueront l'essentiel des marchandises proposées à la vente à des prix auxquels ne peuvent rivaliser ni les produits fabriqués localement et encore moins ceux importés dans le strict respect de la législation. Comme il est impossible de résister à une concurrence aussi déloyale, les commerçants respectueux de la légalité n'ont alors d'autre choix que celui de se démettre ou de se soumettre au diktat des trabendistes en recourant eux aussi au commerce sans facture, à la vente d'articles contrefaits et à la fraude fiscale. Le marché parallèle gangrène ainsi chaque année davantage l'économie algérienne qui se bazardise au gré des super profits qu'il génère et de l'incapacité des pouvoirs publics à apporter des réponses au problème de l'informel qui ne cesse de conforter son ancrage dans la société depuis son apparition au milieu des années 1980. Le marché parallèle est aujourd'hui adossé à une véritable société parallèle où activent des centaines de milliers d'opérateurs offrant environ un million d'emplois, selon une estimation de la Banque mondiale. En règle générale, l'activité spéculative domine largement l'activité productive qui se résume bien à quelques ateliers clandestins fabriquant le plus souvent des produits alimentaires. Parce qu'elles activent en marge de la législation en vigueur, ces activités clandestines qui échappent totalement au fisc et ne supportent aucune charge sociale, portent un lourd préjudice aux entreprises légalement constituées en leur livrant une concurrence déloyale. On estime le manque à gagner fiscal pour l'Etat à plus de 60 milliards de dinars par an, mais le préjudice pour l'économie algérienne est en réalité plus lourd. Ces entreprises clandestines qui ont peu de charges de fonctionnement du fait qu'elles ne payent pas d'impôts et ne déclarent pas leurs travailleurs aux caisses sociales, font subir aux entreprises légalement constituées une concurrence déloyale qui pénalise lourdement leurs chiffres d'affaires et bien entendu leurs résultats financiers. Les rendements fiscaux de l'Etat sont en conséquence de plus en plus bas. Plus grave encore, les gros capitaux brassés dans ces zones de non-droit attirent toute une faune de délinquants qui recourent à des pratiques maffieuses pour protéger du fisc et autres institutions de contrôle de l'Etat les acteurs du marché informel. Des actes de corruption et de racket ont récemment été signalés par la presse dans les zones informelles du Hamiz et de Tadjenanet où certains acteurs du marché informel sont même soupçonnés d'entretenir des liens avec le terrorisme islamiste. Mais qu'est-ce qui a bien pu pousser ces opérateurs à activer dans la clandestinité dans un pays où il y a place pour tous les opérateurs économiques tant la demande intérieure reste considérable pour une très large gamme de biens et services ? La première grande raison a trait à la complexité des démarches administratives à accomplir pour créer une entreprise en Algérie. Selon le type d'activité que vous envisagez de créer, il vous faudra plusieurs mois, voire des années pour venir à bout des interminables procédures. La Banque mondiale a en effet recensé à la faveur d'une récente enquête pas moins de 18 procédures. Les déboires de l'entreprise ne s'arrêtent malheureusement pas là, car une fois créée tout le problème consiste à en assurer la survie face à la désinvolture des banques et à la déliquescence de pratiquement tous les services publics (eau, télécommunication, transport etc.) qui influent énormément sur le fonctionnement des entreprises et que ressentent beaucoup moins les entreprises informelles fonctionnant sur une toute autre logique. La seconde raison, et non des moindres, a trait au coût exagérément élevé des prélèvements obligatoires (impôts, taxes, cotisations sociales, etc.) auxquels sont soumises les entreprises « enregistrées ». Ces derniers peuvent représenter en cas de déclaration de bénéfices un peu plus de la moitié du chiffre d'affaires réalisé. La tentation de ne pas déclarer son affaire est alors grande, notamment lorsqu'on est sûr de bénéficier d'une protection en cas de difficulté avec les services de contrôle. En dépit des coups de boutoir que lui portent périodiquement les services de sécurité et les contrôleurs des impôts, le secteur informel connaît une très forte expansion en raison notamment de son aptitude à exploiter les dysfonctionnements du marché, à fonctionner en réseaux et à réaliser à court terme des profits prodigieux. Il fonctionne aujourd'hui selon les mécanismes de l'économie de marché avec son propre marché des changes, ses propres marchés foncier et immobilier et pratiquement tous les autres éléments structurants de l'économie de marché que l'Etat algérien n'a pas été en mesure de mettre en place. L'ancrage du secteur économique informel dans la société algérienne est aujourd'hui si fort que d'aucuns estiment que le système de marché, que les pouvoirs publics algériens s'entêtent à construire par le haut, a plus de chance de résulter d'une mutation positive des entreprises privées légalement constituées ou pas, beaucoup mieux adaptées au marché que celles du secteur public dont on connaît la raideur du mode de gestion, les coûts prohibitifs et l'intérêt encore trop marginal pour être porté au marketing